C’est ce que tente de comprendre Julian Mischi dans « le Communisme désarmé ». L’auteur, sociologue et spécialiste de l’histoire de ce parti, tente de décrire les processus qui ont abouti au déclin du PCF dans les milieux populaires.
Selon lui, il a été désarmé par les évolutions sociales et ses adversaires, autant qu’il s’est désarmé lui-même. Entretien.
QUESTION : Dans quel contexte s’opère, selon vous, la perte d’influence du PCF auprès des classes populaires?
JULIAN MISCHI. Un certain nombre d’évolutions internes aux classes populaires font que l’engagement dans ces milieux devient beaucoup plus difficile. Pour le dire brièvement, on est passé de la classe ouvrière aux classes populaires.
Au moment où le Parti communiste français (PCF) est influent, dans les années 1970, c’est l’apogée de la classe ouvrière, nombreuse et relativement homogène. Il y a un groupe central au sein des classes populaires: l’ouvrier qualifié de la métallurgie, qui a un rôle structurant. On observe une certaine homogénéité des classes populaires en termes de conditions de travail et de résidence.
À partir des années 1970, il n’y a pas de disparition de la classe ouvrière mais un éclatement et, progressivement, une diversité plus forte.
Si les ouvriers déclinent, les employés se développent du côté des métiers d’exécution, très féminins. Aujourd’hui, les membres des classes populaires, qui restent majoritaires, travaillent de moins en moins dans les grandes entreprises, et on assiste à une mise en concurrence entre CDI, CDD et intérimaires.
Il y a également une relégation spatiale importante avec un embourgeoisement très fort des centres-ville. Aujourd’hui on peut difficilement parler de classe ouvrière en tant que classe, puisque tout un faisceau d’éléments font qu’il y a un déclin de la culture de classe. Le déclin du PCF est l’un d’eux.
QUESTION : Selon vous, ce déclin était-il inéluctable?
J.M. Non, car s’il n’y a pas de stratégie consciente de distanciation des classes populaires de la part du PCF, certains choix ont conduit à la disparition progressive de la relation privilégiée qu’il entretenait avec celles-ci.
Dans son discours, le simple fait qu’il n’y ait plus une priorité donnée à la classe ouvrière et aux classes populaires a un eff1970, le. Lors de ce qu’on a appelé le tournant misérabiliste, à la fin des années 1970,1e PCF a mis en avant la figure du pauvre, qui tend alors à se substituer à celle de l’ouvrier.
La figure héroïque de la classe ouvrière a été mise de côté au profit de populations auxquelles il ne s’agit plus de donner le pouvoir, mais au nom desquelles il s’agit de parler. Auparavant, le but était de faire entrer des ouvriers à l’Assemblée nationale ou d’avoir des municipalités ouvrières. Quand on parle de pauvreté, les questions de lutte de classe passent au deuxième plan.
Au milieu des années 1990, les dirigeants communistes, sous l’impulsion de Robert Hue vont surtout mettre l’accent sur le fait que le PCF doit être à l’image de la société, dans sa diversité. Ce ne sont plus des classes qu’il faudrait représenter, le PCF doit être divers et adopte alors un politique assez consensuel et humaniste que l’on retrouve ailleurs dans le champ politique, surtout dans le secteur associatif.
Le PCF reprend ainsi à son compte une idéologie qui promeut le fait que les frontières de classes deviendraient secondaires.
QUESTION : Les transformations internes du PCF, ont-elles également joué un rôle dans ce processus?
J.M. Le fait que le PCF a eu des dirigeants issus des classes populaires était le fruit d’un vrai travail en son sein pour les promouvoir. Ce mouvement n’avait rien de naturel au départ : la sélection, la formation et la promotion des membres des classes populaires étaient une réussite exceptionnelle dans l’histoire politique française.
Le PCF avait réussi à mettre en cause le monopole de la bourgeoisie sur les fonctions politiques. L’organisation était au diapason du projet d’émancipation des travailleurs. Les choses commencent à changer au moment du programme commun (1972-1977 – NDLR), où le PCF attire les classes moyennes en vue de la prise du pouvoir d’État.
Ces nouveaux militants, au capital culturel important, prennent rapidement des postes de pouvoir dans l’appareil en marginalisant parfois, sans que cela soit intentionnel, les militants d’origine ouvrière dont l’organisation faisait la promotion.
Dans les années 1990, les dispositifs qui avaient permis cette promotion sont abandonnés. C’est lié, selon moi, au fait que le rejet du stalinisme a été assimilé à celui de l’ouvriérisme. En effet, priorité a été donnée à la construction d’une nouvelle image du parti dans un but de communication électorale.
On a rejeté à la fois le passé stalinien et les aspects militants, qui étaient positifs pour la promotion des catégories populaires. Ça a eu un impact très important sur la relation du PCF aux classes populaires et cela a entraîné une crise de renouvellement du Parti dans ces années 1990 et au début des années 2000.
QUESTION : Vous décrivez également un transfert de pouvoir au sein du PCF vers les élus, comment expliquez-vous ce processus?
J.M. C’est un processus assez classique, dans le sens où il a touché tous les partis français et, de manière très précoce, le Parti socialiste. Le PCF s’est fondé dans les années 1920, sur le rejet de la prédominance des élus qui détenaient beaucoup de pouvoir au sein de la SFIO. Le poids des élus dans le PCF n’est pas un processus voulu mais le résultat de plusieurs phénomènes.
On assiste d’abord à une autonomisation des élus qui se mettent à distance de l’appareil pour miser davantage sur leur capital personnel que sur une affiliation communiste en déclin. Et certains d’entre eux y ont été poussés à la suite de mises à l’écart des années 1980 consécutives aux débats internes de l’organisation. Le deuxième processus est lié au fait que l’appareil est devenu tellement faible d’un point de vue militant et des ressources financières que la présence du PCF dans certains territoires repose surtout sur ses élus.
Comme l’appareil est faible, les permanents doivent chercher des ressources grâce aux mandats électoraux. Le tournant s’opère lors des élections régionales de 1998, où les responsables départementaux ont pour consigne de se présenter sur les listes d’union de la gauche. Depuis 1920, les permanents sont rétribués par l’appareil, pas par des mandats d’élus, et ont donc comme premier intérêt de développer le Parti dans un territoire.
À partir de 1998, les permanents départementaux sont aussi des élus régionaux ou départementaux, et c’est un tournant car les élus, qui doivent leur mandat aux électeurs, vont substituer aux réseaux militants ceux qui sont liés aux municipalités. Cette évolution a pour conséquence notamment une substitution des cadres issus des collectivités à ceux issus des classes populaires.
QUESTION : Voyez-vous une évolution dans le PCF d’aujourd’hui?
J.M. Oui, car depuis le milieu des années 2000, il y a un arrêt du déclin qui était continu depuis la fin des années 1970. Il y a une réactivation des réseaux militants, qui s’étaient « endormis ».
Cela s’opère en particulier pendant la campagne contre le traité constitutionnel européen, en 2005, au cours de laquelle d’anciens militants se sont remobilisés, rejoints par de nouveaux mobilisés contre le CPE (contrat première embauche – NDLR), l’année suivante. Il y a une génération de jeunes communistes qui émerge.
Si, numériquement, le phénomène reste faible, c’est important par rapport à l’absence de renouvellement dans les décennies précédentes. La campagne présidentielle de 2012 marque également un rajeunissement du public dans les meetings et une réactivation d’un discours communiste qui avait eu tendance à être euphémisé jusqu’ici.
Entretien réalisé par Cédric Clérin pour « HD » du 27 nov au 03 dec 2014
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