Enchaîner les salariés

Bientôt présenté en Conseil des ministres, le projet de loi d’Emmanuel Macron veut favoriser le travail du dimanche et de nuit.

La mouture finale  du projet de loi « pour la croissance et l’activité » préparé par Emmanuel Macron, ministre de l’Économie, et transmis le 17 novembre au Conseil d’État, contient des dispositions explosives qui détricotent le code du travail pour le secteur du commerce.

Dont un chapitre intitulé « Travail dominical et en soirée », qui entend « libérer le commerce » et entérine « des conditions de travail dignes du Moyen Âge dans le commerce », lance Alexandre Torgomian, secrétaire général du SCID-CFDT.

Le texte a provoqué un tollé au sein de l’intersyndicale du commerce parisien Clic-P (CGT, SUD, SCID-CFDT, CFE-CGC et Seci-Unsa) et des confédérations syndicales [1]. Les syndicats ont découvert que les trois zones commerciales, touristiques et touristiques « internationales » pourront ouvrir le dimanche avec, en théorie, des contreparties fixées par accord de branche ou d’entreprise, comme le doublement du salaire pour les volontaires.

Par ailleurs, le nombre de dérogations autorisées par les maires pourra passer de 5 à 12. Et les commerces des grandes gares pourront désormais ouvrir après 13 heures chaque dimanche. En outre, comme souvent, le diable se niche dans les détails.

Le dispositif de contreparties ne concernera pas les établissements de moins de 20 salariés. « C’est le pire aspect de ce projet. Les magasins de moins de 20 salariés constituent 80 à 90 % des commerces », explique Karl Ghazi (CGT). « Kiabi, par exemple, qui est une grande chaîne de prêt-à-porter, n’a que des magasins de moins de 20 salariés », réagit Éric Scherrer (Seci-Unsa).

En clair, « les patrons vont s’arranger pour ne pas dépasser ce seuil par établissement » et éviter ainsi le doublement de la rémunération, assure Alexandre Torgomian. « Qui peut croire qu’une fois généralisé, le travail du dimanche et de nuit sera mieux payé que d’autres moments de la journée ou de la semaine ? », réagit Clic-P.

Une autre mauvaise surprise attend les salariés du commerce des zones touristiques internationales.

Celles-ci seront soumises à un régime particulier, « puisqu’elles seront créées par arrêté ministériel et non par décision du maire, comme c’est le cas à Paris », souligne Karl Ghazi. Pour ces zones, le projet de loi d’Emmanuel Macron « a inventé le travail du soir », explique Alexandre Torgomian.

Il contourne ainsi la loi sur le travail de nuit, qui correspond aux périodes de travail comprises entre 21 heures et 6 heures du matin. « Les commerces pourront ouvrir jusqu’à minuit. C’est dangereux pour notre santé. Car, on le sait, les conditions de travail se dégraderont de plus en plus. C’est une régression importante. »

Pour ce syndicaliste, « cela ne réglera rien en termes de compétitivité. Cela ne créera pas d’emplois. Les entreprises vont juste décaler leurs horaires, et le salarié n’aura aucun recours. De plus, dans dix ans, il n’y aura plus de contreparties au travail du dimanche ».

Pour Clic-P, « une fois cette étape franchie, la prochaine pourra être de nous faire travailler 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7 ». Le futur projet de loi est fort éloigné de la promesse de François Hollande, alors candidat socialiste à la présidence de la République, qui déclarait : « Le combat de 2012, c’est de préserver le principe du repos dominical. »

[1] L’intersyndicale Clic-P appelle à faire grève et à manifester à Paris le 16 décembre.

 

Thierry Brun – Article paru dans Politis n° 1329

Couv Politis 1329