Etre « connecté » ou ne plus exister !

« Mon téléphone me sert de réveil. Le matin, en coupant la sonnerie, j’en profite aussi pour consulter mes mails et mon feed Instagram, et ce avant même d’avoir posé un pied hors du lit. » Ce comportement, décrit avec le sourire par un jeune trentenaire parisien, n’est pas une exception.

Il poursuit : « Même si je n’ai moi-même rien posté depuis des jours, je peux passer des heures à faire défiler les dernières news ou les derniers tweets/photos Instagram d’un parfait inconnu. C’est à la fois inutile, chronophage mais hypnotisant. »

L’année dernière, un chercheur de l’université d’Oxford, Andrew Przybylski, menait une étude académique approfondie sur ces questions.

Ses conclusions tendaient à prouver que la peur de manquer quelque chose avait un lien de corrélation fort avec un malaise plus général, matérialisé notamment par la crainte que les autres puissent vivre des expériences plus gratifiantes.

Pour Nathan Jurgenson, jeune chercheur américain spécialisé dans la théorie des médias sociaux,

cette polarisation médiatique autour du concept de Fomo est un leurre. « Le web est l’endroit parfait pour faire ressortir des insécurités séculaires et les rendre particulièrement visibles sur l’écran », écrivait-il sur son blog il y a quelques mois, après que de très nombreux journalistes avaient cherché à l’interroger sur le sujet.

Pour autant, dire que la peur de « passer à côté de divers avantages sociaux, d’expériences, de réseaux, de richesse, d’un certain statut, etc. » existait avant le web ne suffit pas. Car bon nombre de sites où nous nous retrouvons quotidiennement, et qui ont pour point commun de flatter la faille narcissique, sous couvert de social, ont été structurés pour accroître cette crainte. Encouragés à délivrer au jour le jour des fragments autobiographiques sur Facebook, Twitter, Instagram, Google+, Vine et consorts, chacun se voit plus ou moins suivi, aimé, glorifié ou ignoré.

Un message chassant l’autre dans un présent perpétuel où la solitude se vit ensemble (d’après l’ouvrage de référence de Sherry Turkle, Alone Together, 2011). L’architecture même des sites et applications les plus populaires aujourd’hui en témoigne.

A l’image de la time line Twitter qui affiche tous les tweets sur une seule et même page, celle-ci se rechargeant au fur et à mesure du mouvement descendant de la souris, dans un mouvement hypnotique dont on ne voit pas la fin. Sans repères chronologiques clairs, la valeur se mesure à la nouveauté de ce qui est publié. Dans cette perspective, la peur de louper se trouve largement intensifiée.

Putsch du push

« Notre société s’est réorientée dans le moment présent. Tout est en direct, en temps réel (…) Ce n’est pas une simple accélération, même si notre rythme de vie et nos technologies ont accéléré la vitesse à laquelle nous essayons de faire des choses. Mais plutôt une diminution de tout ce qui ne se passe pas dans l’instant », écrit ainsi Douglas Rushkoff.

Dans son ouvrage Present Shock: When Everything Happens Now sorti l’année dernière aux Etats-Unis, ce suiveur de Marshall McLuhan et figure du mouvement cyberpunk soutient cette thèse : « Si la fin du XIXe siècle peut être caractérisée par le futurisme, le XXIe siècle peut, lui, se définir par le présentisme. »

Un dogme du présent pourtant loin du carpe diem des anciens. En somme, un « présent distrait » où chacun s’évertue à être à plusieurs endroits différents. « Peu importe où nous nous trouvons, notre personne virtuelle est bombardée d’informations et de messages. Notre boîte de réception se remplit, notre feed Twitter défile, nos updates Facebook changent, nos agendas se remplissent et notre profil de consommateur s’ajuste à chacun de nos clics », écrit-il. Notant que l’heure est, dans le monde occidental, souvent lue sur des écrans.

Des chiffres statiques remplacés sans transition par d’autres, sans mouvement linéaire ou sens des aiguilles, de sorte que tout le monde reste suspendu dans un instant prolongé où l’heure qu’il est s’affiche simplement au-dessus d’autres données (SMS, mails, notifications, push, etc.) qu’il convient de ne pas rater.

« Les addictologues considèrent parfois que nous sommes dans une société de sur-stimulation, affirme Joelle Menrath. Les outils que nous avons entre les mains nous sollicitent en permanence afin de mieux capter nos désirs. » Et donc de créer de nouveaux besoins?

Dans le système fondé sur le modèle consumériste qui est le nôtre, difficile de rester indifférent à toutes ces stimulations rythmant le passage du temps. L’occasion de rappeler qu’avec le présent distrait qui nous est imposé, s’offre aussi à nous tout un mode de vie pré calibré dans lequel la crainte de ne pas en être est un pilier.

« Regarder et déverrouiller son smartphone, c’est comme allumer une clope ou se passer la main dans les cheveux : un réflexe un peu irréfléchi. Effectivement, je me sens nu sans mon portable pendant une journée normale mais je ne pense pas que ce soit un problème, c’est juste la vie moderne », renchérit notre trentenaire qui a pris pour habitude de répondre à ses mails en pyjama dans son lit. Mais aussi dans le métro ou à l’apéro. Avec un verre de vin.

Diane Lisarelli  (Extrait d’un article « L’angoisse de la déconnexion ») – Les Inrocks N°990


 

Mon avis : Smartphone et télé, sont les instruments de destruction/déstructuration de la conversation et par conséquence l’univers familiale. MC