Avec son projet d’oléoduc géant, TransCanada ouvre une nouvelle porte à l’exportation massive des sables bitumineux de l’Ouest canadien, extrêmement polluants. Les pétroliers se partagent la manne alors que l’Europe, France en tête, pourrait bien y voir un moyen de répondre à ses besoins énergétiques.
Dans sa course folle à l’exploitation des sables bitumineux, rien ne semble pouvoir arrêter le Canada. Dernier en date, le projet d’oléoduc géant appelé Energie Est, déposé par le mastodonte TransCanada en début d’année, dépasse en envergure en impacts environnementaux tous les autres « tubes » d’Amérique du Nord.
Sur 4.600 kilomètres, d’Hardisty en Alberta à Saint-John au Nouveau-Brunswick, le serpent de fer Energie Est prévoit d’acheminer 1,1 million de barils de brut par jour, des mines de sables bitumineux jusqu’aux infrastructures portuaires de la façade atlantique.
Si cet oléoduc permettra effectivement d’abaisser les importations de pétrole de l’est du pays en les approvisionnant directement avec le pétrole de l’Ouest canadien, pour nombre d’experts, l’objectif d’un tel chantier reste l’exportation transatlantique, entre autres vers l’Europe.
D’un côté, les pays d’Europe de l’Ouest, au premier rang desquels la France, y trouveront le moyen de réduire leur dépendance au pétrole des pays du Golfe ; de l’autre, le Canada, soumis à la baisse de la demande des États-Unis en raison de leur exploitation des pétroles et gaz de schiste, s’offre un nouveau débouché pour écouler sa production.
En somme, chacun devrait s’en tirer à bon compte. Pour autant, les sables bitumineux, nouvel eldorado pour spéculateurs de l’or noir, est de loin l’hydrocarbure le plus « sale » au monde.
Aberration environnementale
Pour atteindre la couche de sables bitumineux, l’industrie du pétrole commence par déforester massivement les zones d’extraction. La terre ainsi mise à nu est ensuite raclée en surface jusqu’à atteindre la couche de sables bitumineux.
Présent à des profondeurs variables, souvent à plusieurs mètres sous terre, le bitume épais et visqueux doit être dilué. Le procédé consiste à injecter de l’eau douce à très haute température, assortie d’un mélange de produits chimiques et explosifs. La manœuvre a pour but de rendre le bitume assez liquide afin d’être pompé par un oléoduc.
L’opération est à elle seule une aberration environnementale.
La production d’un baril issu des sables bitumineux émet trois fois plus de gaz à effet de serre que celle d’un baril de pétrole traditionnel, et nécessite l’équivalent de quatre barils d’eau douce. Énergie Est permettrait une augmentation de 40 % de la production des sables d’Alberta. Mais, il y a plus préoccupant encore.
Sur les 4.600 kilomètres d’oléoduc, 3.000 existent déjà sous forme de gazoduc, construit dans les années 1960 et 1970. Des installations vétustes qui décuplent les risques de déversement. Reste à construire 1.600 kilomètres de pipeline traversant le sud-est de la province de Québec, en longeant le fleuve Saint-Laurent qui approvisionne la moitié de la population de la province en eau potable.
En plus du pipeline, TransCanada envisage la construction de stations de stockage, de stations de pompage et de deux terminaux portuaires dont l’un, à Cacouna, sur les rives du Saint-Laurent, qui menace directement la population marine d’espèces pourtant protégées.
Qu’importe les signaux d’alerte tirés depuis des mois par les associations de protection de l’environnement, pour le gouvernement canadien, mené par le très libéral Stephen Harper, qui a d’ailleurs retiré le Canada du protocole de Kyoto en 2006 et refusé de recevoir Nicolas Hulot début octobre dernier, le jeu en vaut la chandelle. Les pétroliers ont mené leur lobbying de main de maître, la route est dégagée et le marché juteux.
Le français Total, qui s’est offert en juillet 2010 l’entreprise canadienne UTS Energy, a signé récemment un accord de coopération avec la compagnie canadienne d’extraction et de distribution de pétrole Suncor. Un accord qui concerne… l’exploitation de mines de sables bitumineux.
La visite de François Hollande
Dans ce contexte, la visite de François Hollande en Alberta, il y a quelques jours, n’a rien d’anodin. « Je souhaite que la France puisse continuer à mettre en valeur les immenses richesses du Nord-Ouest canadien, que ce soit dans les techniques d’exploitation, de transformation, d’acheminement des hydrocarbures, ou que ce- soit dans la construction d’infrastructures », a déclaré le président de la République lors de sa visite et alors même que Paris accueillera, l’an prochain, la conférence internationale sur le climat, COP 21.
En matière de développement durable, la France n’en est vraisemblablement pas à une contradiction près.
Marion. D’Allard – Permalien
«En s’ opposant au pipeline, on s’ oppose à toute l’industrie des bitumineux»
Notre association est active principalement au Québec. Par conséquent, nous n’avons que peu de levier pour intervenir dans les provinces d’extraction, sur les mines de sables bitumineux. Pour autant, toutes les infrastructures d’extraction, sur les mines de sable bitumineux. Pour autant, toutes les infrastructures de transport font partie intégrante du processus.
On ne peut pas développer la production de sables bitumineux sans développer les infrastructures pétrolières. Le projet Énergie Est de TransCanada prévoit de construire un pipeline qui traverserait la province du Québec. En s’y opposant, on s’oppose à toute l’industrie des bitumineux.
Ce projet reviendrait à faire augmenter les émissions de gaz à effet de serre (GES) du pays de 32 millions de tonnes, soit près de la moitié des émissions totales du Québec. C’est un non-sens, une aberration. Le tracé du pipeline traverse en outre deux cours d’eau majeurs, la rivière des Outaouais et le fleuve Saint-Laurent, source d’approvisionnement en eau du Québec.
Dans le cas d’une fuite, d’un déversement d’hydrocarbure le long du tracé, ce sera une question d’heures avant que les dégâts rejoignent la prise d’eau de Montréal. Ce qui menace directement l’accès à l’eau potable de 2 millions d’habitants. Les enjeux sont colossaux, aussi bien en termes de réchauffement climatique qu’en matière de sécurité publique.
Par ailleurs, un pipeline qui traverserait le fleuve Saint-Laurent est aussi un danger pour la vie marine du secteur, particulièrement en ce qui concerne les espèces protégées qui y vivent. En d’autres termes, les espèces marines sont protégées, à moins que vous soyez un pétrolier qui veut construire un port. Le gouvernement fédéral a depuis des années fait annuler toutes les lois qui pouvaient nuire au développement de l’industrie des sables bitumineux.
Ils ont annulé les consultations publiques, ainsi que tous les mécanismes d’évaluation environnementale crédibles et autres régimes de contrôle des émissions de GES. Ce gouvernement est décidé à faire sauter toutes les barrières sur la route des pétroliers, c’est une situation tragique d’un point de vue démocratique. »
Sydney Ribaux – Directeur général de l’ONG Équiterre – Permalien
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Merci pour l’intérêt que vous portez a ma sélection d’articles – MC
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