En déplacement à Londres le 6 octobre 2014, Manuel Valls a frappé fort. « Je refuse qu’on vive avec un chômage de masse parce qu’il est bien indemnisé », lâcha-t-il alors à la presse. Six mois à peine après la signature de la nouvelle convention chômage qui repousse à 2016 tout projet de réforme de l’Unédic, Le Premier ministre socialiste semble vouloir réformer encore l’assurance chômage.
Trois jours plus tard, François Hollande le recadre : l’heure n’est pas aux déclarations pyromanes. Il y a « suffisamment de sujets pour que nous soyons bien occupés et que nous montrions que nous faisons des réformes utiles à l’emploi », avertit le chef de l’État.
Dimanche 12 octobre 2014, le ministre de l’Économie, Emmanuel Macron, sort du bois dans une interview accordée au JDD.
Non seulement il donne les grands axes libéraux de la loi sur l’activité (travail le dimanche, réforme des professions réglementées, libéralisation des lignes d’autocar…), mais le ministre annonce à son tour la nécessité de réformer le système d’indemnisation des chômeurs. « Comme l’État garantit financièrement le régime, il peut aussi reprendre la main si les blocages sont trop lourds. Le sujet reviendra en temps voulu. »
Ses déclarations sont rapidement critiquées par l’aile gauche du P5 qui raille des « initiatives désordonnées », mais aussi par des ministres hollandais dont François Rebsamen.
Hollande laisse filer, et pour cause : l’interview de Macron a été relue et validée par l’Élysée avant publication selon Europe 1… Mais à quoi joue l’exécutif ?
« Cette polyphonie résulte à la fois de partitions personnelles – Valls qui veut s’affirmer à la droite du parti, Hollande qui veut donner des gages à tout le monde -, et de maladresses », explique le politologue Rémi Lefebvre.
A un mois du vote de la loi de finances 2015 et alors que la Commission européenne menace de sanctionner la France sur le budget 2015, le gouvernement entend d’abord donner des gages à Bruxelles, ainsi qu’aux investisseurs, au risque de froisser sa gauche. « Ces réformes vont nous aider à redonner confiance à nos partenaires et ainsi à pousser l’Europe à investir davantage pour relancer nos économies », admet ainsi Emmanuel Macron dans « Le Parisien » du 19 octobre.
Exit le patriotisme économique cher à Arnaud Montebourg. Alors que son prédécesseur critiquait ouvertement l’austérité de l’Union européenne, le ministre actuel ne souhaite accuser ni « Bruxelles, Berlin, [n] l’étranger » déclare-t-il au JDD. Dans la perspective de séduire Bruxelles et d’afficher son changement de ligne, « « mentionner le contrôle des chômeurs ou dire qu’on va toucher aux allocations chômage, ça ne mange pas de pain », analyse Rémi Lefebvre.
Surtout pour faire oublier les ratés en matière de réduction de déficit budgétaire. Emmanuel Macron a d’ailleurs assuré dimanche 19 octobre au Grand Jury « RTL-LCI-Le Figaro » « qu’il n’y aura pas d’avis négatif de la Commission ». Cette sortie a-t-elle un lien avec une information du « Spiegel » parue le lundi 20 octobre ?
Selon le journal de gauche allemand, Angela Merkel aurait proposé son aide à la France sous forme d’un « pacte écrit » qui pousserait la Commission européenne à donner son feu vert au budget 2015 en échange d’engagements de Paris envers Bruxelles sur la réduction des déficits et les réformes structurelles.
L’exécutif semble gouverner à vue. Il ne doit pas donner l’impression que La France abandonne sa souveraineté budgétaire à Bruxelles et à Allemagne. Il ne doit pas non plus laisser penser qu’il applique à la lettre le programme du Medef. « Le PS a manqué de faire sa mue et de clarifier sa position pendant qu’il était dans l’opposition, explique un proche de Macron à Bercy. Il la fait maintenant qu’il est au pouvoir; donc trop tard. Tony Blair l’avait fait pour les travaillistes, et les Allemands ont eu le programme de Bad Godesberg » [abandon par les sociaux-démocrates des idées d’inspiration marxiste, reconnaissance de l’économie de marché, dès 1959 – ndlr]. Même si, déjà en 1983 avec le tournant de ta rigueur, ou sous Lionel Jospin Premier ministre, les socialistes au pouvoir menaient parfois une politique sociale-démocrate qui ne disait pas son nom.
A l’instar de Clinton ou de Blair dans les années 90, Valls et Macron s’engouffrent dans la troisième voie et apparaissent comme les tenants d’un néolibéralisme jadis monopolisé par la droite. Mais si la triangulation propre à la troisième voie consiste à se placer sur les thématiques de l’adversaire pour le déstabiliser, il ne s’agit pas de le copier entièrement.
Désormais, les députés UMP ironisent, ainsi de Patrick Ollier : « Si aujourd’hui monsieur Macron reprend les idées de l’UMP et les développe, je ne peux que m’en réjouir. »
Les régionales de 2015, les primaires socialistes de 2016, la présidentielle, le prochain congrès du PS… Les échéances électorales ne vont pas manquer et poussent Manuel Valls à se dissocier du Président pour rebondir dans les sondages.
Quant au Président, lui-même chantre de la politique de l’offre, il ménage à la fois l’aile droite et l’aile gauche du PS. Quelques jours après avoir validé l’interview d’Emmanuel Macron dans le JDD, le chef de l’Etat faisait volte-face sur la modulation des allocations familiales souhaitée par les députés socialistes.
Une contradiction flagrante avec ses engagements de campagne. « Entre les réformes libérales de Valls et les frondeurs, Hollande se retrouve au centre du parti, analyse Rémi Lefebvre. L’occasion de faire la synthèse – et il aura besoin de toutes ces forces s’il souhaite être réélu. »
Reste que le retour de Martine Aubry dans le débat politique pourrait à nouveau déplacer le centre de gravité du PS sur sa gauche. Et faire perdre son équilibre à Hollande.
Mathilde Carton – Les Inrocks – 22 oct 2014