Ambivalence ?

Je ne suis ni ambidextre, ni « gaucher », normalement constitué comme la très grande majorité des humains, ma préhension est droitière. Lorsque je commence à me déplacer à pied, c’est ma jambe droite qui part en premier. Ainsi donc mes neurones, mon cerveau commandent à tous mes organes gestuels et de déplacement, d’utiliser le côté droit.

  • Dois-je en conclure docteur que je suis totalement droitier dans mes gestes et dans mon esprit ?
  • De même et réciproquement, les « gauchers » sont-ils les seuls à être de gauche ?

Sur le strict plan anatomique, même si j’ai aussi comme la majorité des humains le cœur à gauche, cet organe n’est qu’une pompe assurant ma vie, je ne puis affirmer que c’est grâce à lui que je suis de gauche.

  • Alors que veut dire être (politiquement) de gauche ?
  • Se comporter en humains de gauche, dans ses choix, ses raisonnements ?

Être de gauche, c’ est un regard sur soi et sur le monde, sur soi dans le monde : voir l’ Autre, qu’ il soit malien ou chinois, hétéro ou homo, catholique, juif ou musulman, gitan, SDF, comme d’abord semblable à soi et non pas d’abord différent, d’abord étranger. C’ est, au fond, le regard de Térence – ancien esclave, est-ce un hasard ? « Je suis homme et rien de ce qui est humain ne m’ est étranger. »

Et donc, être de gauche, c’ est considérer que ce que je veux pour moi – la liberté, un toit, l’égalité de traitement, de dignité, la justice, le respect, des perspectives d’ avenir, etc. –, tout le monde y a droit. Devrait.

Être de gauche, fondamentalement, c’ est ne pas prendre son parti de ce qui existe, de l’ injustice du hasard de la naissance, de l’ inégalité des conditions, des dominations sociales, culturelles, sexistes. C’est être convaincu que les sociétés sont perfectibles et non pas fondées sur un ordre naturel inéluctable.

Donc vouloir une politique qui corrige les injustices : priorité de l’éducation sur la répression, partage du travail, redistribution des richesses par l’impôt avec la taxation supérieure des revenus du capital sur ceux du travail, création d’un revenu minimum pour tous. Une politique écologique qui préserve l’avenir de la planète.

Être de gauche, ce n’est pas être idéaliste, mais au contraire très réaliste, en refusant les « recettes » libérales et le repli conservateur, en misant sur les forces actives de toutes les composantes – y compris la plus récente – de la société française.

Annie Ernaux, écrivain.

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Être de gauche, c’ est affirmer et organiser sa vie en fonction de deux impératifs : partager la richesse et refuser la réalité telle qu’ elle est aujourd’hui. Refuser le monde tel qu’ il va, car il pourrait toujours aller mieux, donc penser que la vie est un combat qui ne doit pas connaître de pause. Partager le monde, donc penser que le bonheur individuel ne peut s’ épanouir parmi tant d’inégalités.

Être de gauche ne relève pas de l’économie, ou de la politique, ou du social, mais de la morale. Si je ne peux vivre qu’en me conformant à ces deux règles morales, si je veux être de gauche aujourd’hui, je dois répondre aux trois questions, sociale, économique et politique suivantes. Comment partager sans contrôler la réalité et la justesse de ce partage ?

Comment contrôler ce partage alors qu’ il n’ est plus question de s’approprier les moyens de production et d’échange, pour l’ instant et selon les modes qui ont vécu ?

Comment effectuer ce partage au niveau national sans contrevenir aux règles européennes ?

Robert Guédiguian, cinéaste.

Je finirais sur une citation d’Élisée Reclus, que j’ai redécouverte récemment, et qui synthétise bien ce que je pense à l’égard des prises de positions :

« Il est cependant des esprits timorés qui croient honnêtement à l’évolution des idées, qui espèrent vaguement dans une transformation correspondante des choses, et qui néanmoins, par un sentiment de peur instinctive, presque physique, veulent, au moins de leur vivant, éviter toute révolution. Ils l’évoquent et la conjurent en même temps : ils critiquent la société présente et rêvent de la société future comme si elle devait apparaître soudain, par une sorte de miracle, sans que le moindre craquement de rupture se produise entre le monde passé et le monde futur. Êtres incomplets, ils n’ont que le désir, sans avoir la pensée ; ils imaginent, mais ils ne savent point vouloir. »

Texte m’étant parvenu en réponse à un article « posté » sur mon blog, d’un lecteur tenant à son anonymat