La politique familiale du gouvernement n’a comme unique boussole la réalisation d’économies et remet en cause les principes mêmes hérités du Conseil national de la Résistance (CNR). L’enterrement de la loi famille a représenté un gage donné à une frange réactionnaire ultra-minoritaire et mis un frein au progrès social légitimement attendu d’un gouvernement de gauche et aux nécessaires adaptations de notre droit aux mutations familiales des dernières décennies.
Nous considérons aujourd’hui qu’il est essentiel de réaffirmer l’ancrage salarial de la Sécurité sociale au travers de son financement par la cotisation sociale et non par l’impôt. Le système d’allocations familiales s’inscrit dans le cadre du projet du CNR et constitue une part indirecte du salaire des travailleurs.
C’est non seulement un outil de distribution de ressources salariales à l’endroit des familles, mais c’est aussi ce qui justifie que la branche famille soit partie intégrante de la Sécurité sociale et relève des institutions de la démocratie sociale exercée par les partenaires sociaux au sein des conseils d’administration de la branche famille (Cnaf et CAFs).
Nous affirmons sans ambages notre hostilité au contenu du pacte de responsabilité qui tend à diminuer la cotisation patronale famille. Ce pacte tend à transférer sur l’impôt (donc sur les allocataires eux-mêmes) le financement de la branche famille et constitue de fait une réduction collective des salaires.
De plus, la fiscalisation de la branche famille aura pour conséquence de la sortir littéralement du champ de la Sécurité sociale et de renforcer l’étatisation de cette branche, alors même qu’elle est actuellement celle où les administrateurs exercent le rôle politique le plus actif (grâce à l’importance de l’action sociale).
Nous nous opposons à la dénaturation de la politique de prestations sociales en un instrument des politiques redistributives. Elle est un mode de couverture égalitaire des charges de famille. L’universalité des allocations familiales est une reconnaissance politique que certaines situations sociales doivent avoir une signification commune.
La recherche de justice sociale redistributive doit rester l’apanage de l’impôt progressif républicain mais en aucun cas de la Sécurité sociale. Par conséquent, le vote par l’Assemblée nationale de l’amendement 324 rectifié dans le cadre de l’examen du projet de loi de financement de la Sécurité sociale 2015 sur la modulation des allocations familiales constitue une grave menace en termes de cohésion sociale de notre pays.
La modulation entraînera un délitement de l’attachement à notre modèle social de la part des classes moyennes. Elle constituera surtout un précédent grave qui pourrait préfigurer une possible mise sous conditions de ressources des remboursements de l’assurance maladie avec le même argumentaire.
Nous nous dirigeons tout droit vers un double mouvement d’étatisation / privatisation de la protection sociale: au travers de la réduction du champ d’action de la Sécurité sociale pour la restreindre à une simple fonction de filet
de sécurité ; au travers du renforcement de l’assurantiel privé et des solutions individuelles de garde pour les classés intermédiaires qui en ont les moyens.
Au lieu de faire de la politique familiale un investissement égalitaire pour l’avenir de la nation, le gouvernement choisit d’en faire un gisement d’économies et d’opposer les Français entre eux selon leur niveau de revenus : élever un enfant ne constituerait pas le même travail éducatif de parent suivant les revenus que l’on perçoit !
La conséquence est une division des Français sur des questions où ils se retrouvaient jusqu’à présent. Il en découle une exaspération sociale des classes intermédiaires situées juste au-dessus des seuils sociaux.
Alors que le projet de loi de financement de la Sécurité sociale 2015 est mis aux voix aujourd’hui à l’Assemblée nationale, nous appelons les parlementaires à prendre conscience de leur responsabilité à l’égard des familles et de l’avenir de la Sécurité sociale.
Si les parlementaires entendent rétablir la justice sociale, alors ils doivent réhabiliter l’impôt sur le revenu républicain et progressif, vecteur essentiel de redistribution de revenus pour corriger les inégalités sociales.
Si les parlementaires veulent réaliser des économies, alors ils doivent permettre de mener une lutte sans merci contre le travail non déclaré pour permettre aux organismes sociaux, dont la Cnaf, de récupérer les cotisations qui combleront leur déficit (selon la Cour des comptes, 20 milliards d’euros échappent au financement de l’ensemble des branches).
Christian Gaudray, Président de l’UFAL