Le nouveau consumérisme.

Regardons de près ce qui se passe aux États-Unis, pays à la pointe du management commercial systématiquement en avance d’une vingtaine d’années sur la vieille Europe en matière. Dans ce pays les complexes commerciaux (concentration de boutiques et commerces en tout genre dans un seul lieu agrémenté de parking) sont en train de faire faillite les uns après les autres.

Est-ce un retour aux sources, aux bons vieux commerces de proximité pour une partie oui et pour l’autre partie la majoritaire c’est le commerce via les réseaux numériques qui remportent des suffrages.

Ainsi n’importe qui peut passer commande à n’importe quelle heure du jour et de la nuit et même sans complexe les jours fériés, demandant de préparer ainsi via des « drives » produits ou matériels dont ils ont besoin le lendemain à une heure précise.

Cette nouvelle offre commerciale qui s’apparente à une facilité pour le consommateur, n’en est pas moins lectrice de destruction d’emplois. À force de supprimer des emplois pour rentabiliser les entreprises et en allant dans l’absolu (pas absolument utopique au demeurant) les entreprises robotisées à outrance établiront de caste dans la société. Une proportion, ceux capables de faire fonctionner, réparer les robots, et les autres, les plus nombreux, qui se retrouveront sans emploi.

Étant impossible de vivre sans avoir une ressource financière, les sans-emploi vont devoir d’une manière ou d’une autre être indemnisé. Reste à savoir par qui état, entreprises, comment, sous quelles conditions, ou ira-t-on vers la répartition du temps de travail pour que chacun « touche » une rémunération lui permettant de vivre! Est-on sûr que cette vision de l’avenir soit utopique à terme, compte tenu de l’expansion de la robotique. MC


Aux Etats-Unis, les grands centres commerciaux

sont devenus d’immenses vaisseaux fantômes

Nouveaux modes de consommation et crise économique seraient les facteurs de cette désaffection est Bloomfield, banlieue blanche de Detroit, un samedi de janvier par -30°C. Un temps à squatter les malls. Mais sur le parking, les voitures se font rares.

A l’intérieur, les haut-parleurs diffusent des chants de Noël de Sinatra entre deux annonces promotionnelles. Des mamans juives trompent leur ennui en allant se faire couper tes cheveux. A part un hypermarché discount, on ne trouve que des magasins de décoration intérieure ou des salons de coiffure.

Le centre commercial est devenu un repaire de vieux. Où sont les magasins de sneakers, les fast-foods? Où sont les jeunes? Ils restent chez eux. Ils passent commande sur Amazon. Les voitures sont trop onéreuses à entretenir pour les adultes, alors pour les millenials (la génération Y, celle des jeunes gens nés entre le début des années 80 et le début des années 2000)… Avec un taux de chômage de 16%, les 16-34 ans n’ont pas les moyens. Ils sont moins de 7 sur 10 à passer le permis de conduire.

En filant vers Detroit sur la Motorway 10, à un quart d’heure de voiture du malt de West Bloomfield, on tombe sur l’ancêtre du mall, le Northland Center, construit sur la frontière nord de Motor City en 1954 par un architecte viennois, Victor Gruen.

Le concept, révotutionnaire à l’époque, était de recréer un centre-ville à l’européenne, une agora pour les Blancs qui quittaient Detroit pour sa banlieue.

Moins d’un an après, un entrepreneur nommé Ray Kroc ouvrait le premier McDonald’s à Des Plaines, Illinois. Laboratoire de l’american way of life, paradis de la bagnole et du shopping, le Midwest allait influencer le monde entier. Le futur s’annonçait radieux et ne devait jamais pâlir.

Ce fameux premier mall du monde est toujours debout, soixante ans après, avec cent magasins et un parking immense. Mais la « shopping experience », au Northland Center, n’a plus rien d’ « amazing ». Detroit et sa proche banlieue sont fauchées jusqu’à l’os. Les faits divers à l’intérieur du malt n’ont rien d’exceptionnel. Le 30 janvier, trois vigiles tuent un homme de 24 ans par asphyxie après l’avoir gazé, menotté et maintenu à terre. En mars, trois adolescents échangent des tirs à l’arme semi- automatique sur tes dalles en faux marbre de la galerie marchande. Aucune de ces histoires n’a fait la une des news nationales. Au moins le Northland Center est-il toujours en activité.

Ailleurs, les malls ferment et deviennent d’immenses vaisseaux fantômes. La défection a frappé en premier la Rust Belt : Michigan, Ohio, Illinois.

Les malls tentent bien de se réinventer : « Nouvelles chaînes, nouveaux magasins discount… », explique le consultant Howard Davidowitz au Guardian, qui a publié un portfolio glauque sur la fin des mails cet été. « Mais le truc, c’est que les clients n’ont plus de fric. » Des employés témoignent qu’ils ne gagnent pas assez pour entretenir une voiture; ils viennent au boulot en covoiturage. A la première occasion, les millenials du Midwest fuient ces coins sans avenir pour les métropoles côtières.

Dans la foulée, on apprend que les Etats-Unis ont atteint leur pic de consommation de fast-food. Pour la première fois de son histoire, McDonald’s a vendu moins de burgers que l’année précédente. La crise est pourtant une bonne affaire pour McDo : la firme attire une clientèle pauvre avec ses fameux menus à 1 dollar lancés en 2002.

Mais les teenagers qui peuvent se le permettre aiment moins le burger-frites que les générations précédentes. Ils mangent moins gras, dans des chaînes plus saines comme le mexicain Chipotle Grill, et aiment customiser leur sandwich. McDo s’adapte mais ses salades se vendent mal. Burger King, Wendy’s, Pizza Hut aussi réagissent. « Ils pigent bien ce qui arrive, remarque Ravi Dhar, enseignant à Yale sur les pratiques de consommation, interrogé par Bloomberg Businessweek. Mais ils sont un peu coincés. »

La génération qui tractera l’économie américaine dans quelques années ne veut plus de bagnole ni de burger, commande ses fringues sur internet, et va chercher le boulot là où il est : New York, Seattle ou la Californie. Ils réinvestissent le centre des villes délaissé par leurs grands-parents : la suburbia ne fait plus rêver. Ce n’est peut-être pas plus mal, de l’avis même du créateur des mails. En fin de carrière, Victor Gruen en rejette farouchement la paternité. La vue des parkings le plonge dans une dépression sévère; les promoteurs immobiliers, disait-il, ont transformé son rêve en cauchemar. « Ces constructions bâtardes ont détruit nos villes », déclare-t-il en 1978 alors que son innovation l’a consacré comme l’un des architectes les plus influents du XXe siècle.

Ecoeuré, Gruen quitte les Etats-Unis pour terminer sa vie dans la banlieue de son enfance, à Vienne. Et sur quoi il tombe? Un bon vieux mall. « Une gigantesque machine à sous », qui condamne tes petits commerces alentour.

Victor Gruen voulait européaniser l’Amérique : c’est l’inverse qui s’est produit.

Maxime Robin –Les Inrocks N° 987