La polémique que soulève les derniers propos inscrit dans le livre d’Éric Zemmour, Le Suicide français (Albin Michel), on apprendra que Jean-Marie Le Pen, avec sa fâcheuse déclaration de septembre 1987 (« Je ne dis pas que les chambres à gaz n’ont pas existé. Je n’ai pu moi-même en voir. Je n’ai pas étudié spécialement la question. Mais je crois que c’est un point de détail de l’histoire de la Seconde Guerre mondiale. »), est « avant tout coupable d’anachronisme », (…)
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Le Pen révisionniste?
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Un tantinet négationniste?
- Pensez-vous, jamais de la vie !
Cette hypothèse, pourtant sérieuse, voire criante, n’est même pas envisagée par Zemmour.
Non, il s’agit de tout autre chose : « Politiquement, (Le Pen) tente alors maladroitement de contenir la montée en puissance d’un ‘lobby juif’ (…) qui, selon Mitterrand (et lui), se sert de la Shoah d’hier pour affermir son pouvoir d’aujourd’hui. » On appréciera le « maladroitement » et les guillemets de rigueur à « lobby juif ».
Cette analyse toute personnelle de l’affaire dite du « point de détail » rend beaucoup moins surprenante la tentative de réhabilitation du régime de Vichy, « qui n’aurait livré les Juifs étrangers aux nazis que pour protéger les Juifs français autant que possible », adaptation zemmourienne de l’antique système de défense vichyste dit « du bouclier ».
Rien de bien neuf sous le soleil, donc, sinon l’immense satisfaction de faire plaisir à l’extrême droite la plus croulante, qui n’osait plus défendre l’État français, tout en savourant son effet Vichy : scandale immédiat, réprobation et réfutations unanimes, le tout démontrant, selon un Zemmour euphorique, qu’il y a bel et bien des vérités officielles qui ne sont que de pieux mensonges et qu’on ne saurait aller contre la dictature de la doxa politiquement correcte sans s’attirer de gros ennuis.
Alors que c’est l’inverse : il a fallu un temps fou pour que la vérité raciste de Vichy soit mise au jour et décortiquée, et il s’est passé vingt-deux ans entre la sortie du livre fondateur de Robert O. Paxton, La France de Vichy, et le discours officiel de Jacques Chirac au Vél’ d’Hiv’ en 1995. Entre-temps, Alain Delon aura produit et interprété M. Klein.
Affirmer que Vichy a défendu les Juifs n’est guère défendable, mais le prétendre suffit à vous faire passer pour un courageux iconoclaste qui veut déculpabiliser le bon peuple de France. Avec moins de grossièreté qu’un Dieudonné, salué dans le livre pour sa « talentueuse truculence désacralisatrice », Zemmour lève ses dernières inhibitions et constate que son succès ne fait que croître. (…)
Frédéric Bonnaud –Extrait, édito des Inrocks N°986