La loi santé va permettre de transformer les hôpitaux publics en établissements privés.

HD – Pouvez-vous nous présenter le contenu du projet de loi santé?

ANDRÉ GRIMALDI. Il s’agit d’une loi qui prétend « refonder » notre système de santé. En réalité, elle se contente de l’aménager. Parmi les bonnes intentions, on peut retenir l’accent mis sur la prévention, l’élargissement de l’accès à la contraception d’urgence, l’éducation à la santé dès l’école, la mise à disposition d’une information nutritionnelle unique et simple, la possibi­lité pour les sages-femmes et les pharmaciens de vacciner, le plafonnement des coûts des soins bucco-dentaires pour les bénéficiaires de l’aide à la complémentaire santé, la volonté af­firmée de mettre en place d’ici à 2017 le tiers payant permettant au patient de ne pas avoir à avancer les coûts des soins remboursés par la Sécurité sociale et par les mutuelles, la mise en place d’un numéro unique d’appel à un médecin de garde, la possibilité d’actions de groupe pour les personnes victimes d’un scandale sanitaire et enfin la création du statut d’infirmier clinicien pouvant effectuer un certain nombre d’activités médicales. Attendons de voir comment cela se traduira en pratique. Mais elle est décevante sur les sujets majeurs.

HD Est-elle en rupture avec la loi hôpital, patients, santé et territoires (HPST) de Roselyne Bachelot?

A.G. Elle est en rupture dans les mots. D’une part, la loi restaure la notion de service public hospitalier (SPH) que la loi Bachelot avait supprimée et, d’autre part, elle pointe très justement le défi auquel fait face notre système de santé: le développement des maladies chroniques. 17 millions de personnes en sont atteintes en France, dont 9 mil­lions utilisent 65 % du budget de la Sécurité sociale. Or le traitement de ces patients nécessite une médecine personnalisée et intégrée à la fois biomédicale, pédagogique, psychologique et sociale. Il faut aussi une    mé­decine coordonnée entre la ville et l’hôpital. Le financement des hôpitaux à l’activité (T2A) et la rémunération des médecins libéraux à l’acte sont des obstacles au développement de cette nouvelle médecine.

HD N’est-ce pas un progrès de parler de « service public hospitalier »?

A.G. Oui, c’est un progrès, mais se contenter de le définir par ses obligations (permanence et adaptation des soins, non-sélection des patients, absence, de dépassement d’honoraires) est très insuffisant. Les deux principaux critères devraient être l’indépendance des professionnels vis-à-vis des puissances financières et une gestion fondée sur le juste soin pour le patient au moindre coût pour la collectivité et non sur la recherche de la rentabilité. Le fait de verser des divi­dendes à des actionnaires ou de choisir les activités en fonction de leur rentabilité devrait être incompatible avec l’appartenance au SPH. Or la loi dit l’inverse. Elle affirme que si les cliniques commerciales respectent les « obligations » du SPH, elles pourront en faire partie ! Il faut que les soignants soignent en fonction de l’intérêt du patient, et pas en fonction de leur intérêt personnel ou de l’intérêt de leur financeur. Cela ne veut pas dire qu’ils n’ont pas de comptes à rendre. L’hôpital public doit être au service du public et agir dans son territoire au service de la santé publique.

HD Que recouvre la notion de « service territorial de santé au public »?

A.G. Pour ne pas dire « service public », on a inventé l’expression de « service au public »Tl s’agit d’une auberge espagnole où les professionnels imposeront leurs choix en passant contrat avec les agences régionales de santé (ARS). Il fallait au contraire assumer la dualité de notre système avec, d’un côté, la vieille médecine libérale et son paiement à l’acte et, de l’autre, une nouvelle médecine d’équipe, en centre de santé ou en maison médicale secteur 1, non payée à l’acte et travaillant en liens structurels avec les hôpitaux publics.

HD Vous dites que les frontières entre le privé et le public sont de plus en plus poreuses. En quoi?

A.G. Non seulement notre système est mixte, fruit du double compromis his­torique de 1945 entre, d’une part, l’État et la médecine libérale et, d’autre part, la Sécurité sociale et les assurances privées dites complémentaires, mais en plus on brouille les cartes. On laisse en­tendre que la Générale de santé, qui vient d’être rachetée par le groupe Ramsay, pourrait très bien faire partie du SPH et on mélange sous le terme de protection sociale l’assurance maladie obligatoire et les assurances complémentaires moins égalitaires, moins solidaires et beaucoup plus chères. Pour accroître la confusion on joue sur les mots. Des cliniques commerciales s’appellent hôpital, des assurances privées lucratives s’appellent mutuelles et, à côté de l’UNCAM (l’assurance maladie obligatoire), il y a les assurances privées mutualistes ou non regroupées dans l’UNOCAM !

HD Vers quel système de santé vaton?

A.G. On va garder notre système mixte, mais en continuant progressivement à le privatiser. La Sécu se consacrera aux personnes les plus pauvres (CMU) et aux patients ayant les pathologies les plus graves, et les soins courants seront de plus en plus laissés aux assurances complémentaires. L’institution de l’obligation d’une assurance complémentaire d’entreprise (subventionnée par l’État) est une première étape. Les conséquences du désengagement de la Sécu au profit des mutuelles et des compagnies d’assurance sont connues: accroissement des inégalités sociales de santé, augmentation des dépenses de santé, mais réduction relative de la dépense publique. La structure des dépenses de santé détermine en grande partie leur coût global. Elle est aux Etats-Unis pour moitié publique et pour moitié privée, avec une dépense totale de 18 % du PIB.

En Grande-Bretagne elle est à près de 100 % publique avec une dépense totale de 9 % du PIB. La France a une structure de dépense de 75 % publique et de 25 % privée avec une dépense totale de 12 % du PIB. Les enjeux financiers sont évidemment colossaux pour les assureurs privés.

Dans cette affaire, la mutualité joue hélas le rôle du cheval de Troie.

En ce qui concerne les hôpitaux, la logique de privatisation entreprise par Nicolas Sarkozy a été freinée par les mouvements d’opposition qu’elle a suscités. Mais, avec la nouvelle définition du SPH, les hôpitaux publics pourraient devenir des établissements privés à but non lucratif. Ils auraient ainsi une plus grande « souplesse » pour embaucher et débaucher les personnels. C’est le programme clairement exprimé par François Filon, un ex-gaulliste social!

HD Quelles mesures aurait-il fallu prendre pour asseoir un système

de santé solidaire?

A.G. Il aurait fallu aller en sens inverse, en définissant un panier de soins égalitaire remboursé à 100 % par la Sécu permettant à chacun d’être bien soigné au moindre coût. Les soins superflus ou relevant de choix personnels seraient financés par les assurances supplémentaires (mutualistes ou non) ou directement par les ménages eux-mêmes. Ce n’est pas à la Sécu de rembourser les cures thermales, l’homéopathie, les médicaments sans amélioration du service médical rendu et la multiplication d’examens inutiles… Mais elle ne rembourse plus à 100 % la prise en charge de l’hypertension artérielle sévère et rembourse de façon dérisoire les soins bucco-dentaires et les soins d’optique. La définition d’un panier de soins solidaire pris en charge à 100 % permettrait des gains de gestion considérables quand on sait que la France y consacre près de 15 milliards d’euros.

André Grimaldi, Professeur émérite d’endocrinologie-diabétologie au CHU Pitié-Salpêtrière (Paris)Entretien réalisé par Anne-Laure de Laval pour l’HD N°21526