Nous sommes tous un peu sous le choc, forcément.
C’est une question d’accoutumance. Près de vingt-neuf mois sans Sarkozy, diète absolue, décrochage complet après cinq longues années de pilonnage quotidien, et puis quarante minutes d’un seul coup, du Sarko à l’état chimiquement pur, la bonne grosse dose qui fait chanceler. Nous avions un peu oublié, on oublie vite, trop vite.
Sur le fond, c’est cristallin : il veut redevenir président de la République, scoop, stupéfaction, pinçons-nous, et s’il parvient à éviter les cases quasi éliminatoires « primaire ouverte de l’UMP » et « juges« , il aura de bonnes chances d’y parvenir. Sur la forme, c’est toujours aussi pénible, avec cette exaspérante manie de nous prendre pour des crétins, sur le modèle du « plus c’est gros, mieux ça passe« , qui lui a longtemps réussi mais n’a pas suffi à lui éviter une Courte défaite face à un adversaire dont le principal — le seul? mérite était de ne pas lui ressembler.
C’est triste à dire — et ça fera de la peine à Carla Bruni, qui n’a jamais supporté le Cavaliere, che vergogna ! — mais en vieillissant, Sarkozy ressemble de plus en plus à Berlusconi.
Cette façon d’en rajouter, d’en faire des tonnes en proférant des énormités. Et puis le coup si usé du retour forcé, du devoir patriotique accompli sans joie pour sauver le pays :
« J’y peux rien. Non seulement j’ai envie mais j’ai pas le choix, je dois rendre à mon pays une partie de tout ce qu’il m’a donné. »
Mais non, Nicolas, tu ne dois plus rien à ton pays, tu as réglé ta dette, n’en parlons plus, allons… Ce serait presque drôle si ce n’était pas parti pour durer si longtemps. Et l’admirable — à propos
Arrête, on te dit. Toute cette comédie pour en arriver à l’essentiel, le syllogisme qui tue, censé scotcher le contradicteur : « Si j’avais quelque chose à me reprocher, est-ce que je reviendrais ? » Ben oui, pour sûr que tu reviendrais ! Et ma préférée — histoire de souligner qu’Alain Juppé est quand même tout vieux et tout gâteux : « Alain Juppé, je l’ai connu quand j’avais 20 ans ! » Dix ans les séparent, dix ans seulement, mais dix ans dont le malheureux Juppé n’a pas fini d’entendre parler.
Il n’a donc pas changé, pas pris la moindre hauteur, toujours le même bateleur, vieux même numéro du vieux même histrion, et pour l’autocritique, on repassera. Mais dans sa théâtralité forcée et légèrement ridicule, l’intervention de dimanche soir contient des éléments de langage qui dénotent que Sarkozy s’est fait faire des fiches à propos de la « France périphérique », le concept contestable — mais désormais majoritaire — du géographe Christophe Guilluy, celle que la gauche aurait culturellement laissé tomber et livrée au Front national, à grands coups de « mariage pour tous » et d’amour immodéré des immigrés.
L’évocation répétée de « certains compatriotes, certains territoires qui ont décroché de tout » ne trompe pas et démontre que la vieille machine politique s’est remise en branle : Sarko entend disputer ses électeurs à Marine Le Pen. Et s’il sait parfaitement que revenir sur la loi Taubira sera bien difficile, il n’hésite pas à prétendre — toute honte bue — que « la famille a été humiliée ».
Ça promet.
Frédéric Bonnaud, Editorial – Les Inrocks N°982