Je ne pensais pas grand-chose déjà du temps où elle évoluait entre cour et jardin de la rue Saint-Honoré, cette pimbêche au regard voletant au dessus des foules, guindée dans des nippes sorties d’ateliers de haute couture voisines, évoluant telle une poule dans une basse-cour d’inféodés. Depuis la sortie de son brûlot (qui ne ravira que certaines personnes avides de lecture people style Closer, Paris-Match etc.) se glosant des infortunes conjugales et contribuant à l’hallali d’un roitelet en pleine dégringolade politique, je ne vois dans cette affaire que basse vengeance adoubée de profits réalisés par l’éditeur et la fausse ingénue, grâce à la crédulité des lecteurs. MC
D’abord les aveux : j’ai acheté le livre infâme [de madame Trierweiler] (…) et je l’ai lu. En moins de deux heures et en sautant sans la moindre mauvaise conscience les pages consacrées aux engagements humanitaires de ma consœur de Paris-Match, mais sans les terribles haut-le-cœur moraux éprouvés par des confrères plus vertueux que moi.
Ni nausée ni mains sales, désolé, mais pas beaucoup d’empathie non plus, peu de joie mauvaise, plutôt un mélange de léger étonnement (il serait méchant avec les pauvres, en plus?) et de routine blasée, et (…) l’annonce officielle de leur séparation un soir d’élections législatives, deux mois plus tard.
Et Cécilia en jogging à la Concorde, et la famille recomposée traversant la cour de l’Elysée, et Carla à Eurodisney, et la « présidence normale », et le tweet de Valérie, et ses bonnes œuvres obligatoires, et ses chroniques littéraires dans Match, « pour donner envie aux gens de lire », pitié pour eux.
Tant de mises en scène minables, tant de n’importe quoi depuis si longtemps que c’est peut-être un peu tard pour exprimer son dégoût indigné devant le phénoménal degré d’abaissement de notre monarchie républicaine.
Mais qu’est-ce qui est le plus scandaleux, au fond?
Qu’un président élu avec les voix des électeurs d’Eva Joly et de Jean-Luc Mélenchon fasse pendant cinq ans une politique de droite décomplexée, sans que rien ni personne ne puisse l’en empêcher? Ou que son ex-compagne raconte — peut-être faussement, (…) qu’il ne daigne manger de pommes de terre que de Noirmoutier ?
Le problème est moins la vengeance — sonnante et trébuchante, certes, mais parfaitement compréhensible, et même humainement prévisible, d’où son succès.— d’une femme répudiée à la va-vite que l’épouvantable spectacle d’un système politique à l’agonie.
« Tu as l’air d’une reine… », disait François à Valérie, quand celle-ci apparaissait dans ses plus beaux atours lors d’une quelconque cérémonie officielle. En racontant cela, madame Trierweiler se remémore l’inconstance et l’insoutenable légèreté d’un homme qu’elle a beaucoup aimé, mais elle n’a pas l’air de se rendre compte que tout son livre résonne comme un témoignage accablant contre la Ve République, ses ors et ses fastes, son étiquette grotesque et son trop évident travestissement monarchique.
Que faire de la reine quand elle ne l’est pas tout à fait, car non épousée? Bah, tout compte fait, comme ses devancières, elle aura des bureaux, des collaborateurs, occupera « l’aile de Madame » et fera dans la soupe populaire, et tout ça aux frais de l’Etat, le plus naturellement du monde.
(…) Ces fantasmes de journaliste politique à Match transformée en « première dame », presque malgré elle, constituent un terrible révélateur, par le plus petit bout de la lorgnette, de la déliquescence de nos institutions, écartelées entre leur modèle naturel Ancien Régime et l’américanisation des us et coutumes de la vie publique.
Frédéric Bonnaud – Les Inrocks N°980