Le premier ministre, Manuel Valls, a beau martelé que son gouvernement ne « mène pas une politique d’austérité », les faits sont têtus. Deux nouvelles études, l’une réalisée par l’Institut national de la statistique et des études économiques (Insee) et l’autre par le cabinet d’audit et de conseil Deloitte, viennent encore de le contredire.
L’étude de l’Insee révèle une baisse du niveau de vie des Français en 2012 de 1% par rapport à 2011, et ce pour la troisième année consécutive. Il s’établit en moyenne à 19.720 euros. Cette fois-ci, toute l’échelle des revenus est concernée, avec des reculs plus marqués dans les deux extrémités, chez les 10% les plus aisés et les 10% les plus pauvres.
Le niveau de vie de ces derniers, chute à 10.610 euros. Certes, cette évolution n’est pas à mettre directement sur le compte du gouvernement socialiste qui n’a pris ses fonctions qu’au cours de l’année 2012, mais rien ne semble indiquer une inflexion de la tendance.
Les perspectives sont toutes aussi sombres, comme le révèle l’étude de Deloitte. D’après celle-ci, les entreprises ne prévoient d’augmenter les salaires que de 2% en 2015. Les budgets prévisionnels varient de 1,9% pour les non-cadres à 2,25% pour les cadres supérieurs. Cette progression, inférieure à celle de 2008 (2,4%), est inquiétante.
Le faible niveau d’inflation en juillet (+ 0,5% sur un an) sert en partie de prétexte à cette tendance. L’économie française aurait pourtant bien besoin que les salaires progressent significativement, afin de soutenir une consommation molle et donc de relancer une croissance aujourd’hui atone, qui ne permet pas de créer suffisamment d’emplois.
Kevin Boucaud Huma quotidien 09 sept 2014
Le vrai-faux recul de la pauvreté
Les derniers indicateurs sur le niveau de vie, publiés hier par l’Insee, révèlent, à première vue, la sortie de 200 000 personnes de la pauvreté. Une baisse en trompe-l’œil liée au mode de calcul.
Décryptage.
Cela aurait pu être une bonne nouvelle. Un miracle, même. En 2012, année de croissance zéro pour la France, le taux de pauvreté a reculé. D’après l’étude de l’Insee, rendue publique par l’AFP à 0 h 3 – c’est dire combien ces chiffres sont attendus -, 8,5 millions de personnes vivaient, cette armée-là, en dessous du seuil de pauvreté monétaire, fixé par convention à 60 % du niveau de vie médian de la population. Elles étaient 8,7 millions sous ce seuil en 2011.
La pauvreté, mesurée par référence à ce seuil, « diminue et revient à un niveau proche de celui de 2010 », passant de 14,3 % de la population à 13,9%. Officiellement, 200.000 personnes sont sorties de la pauvreté. Cela n’a pourtant pas de quoi réjouir les millions de Français qui continuent de renoncer à l’achat d’une prothèse dentaire, de repousser de plusieurs mois une consultation chez le dentiste, de faire une croix sur leurs vacances ou d’être confrontés à des impayés de loyers. Pour eux, rien n’a changé. Ou plutôt si.
Pour eux, cela va en réalité de mal en pis.
La baisse du niveau de vie, en réalité, frappe l’ensemble des catégories sociales. Et elle est encore plus accentuée pour les 10 % les moins fortunés. Ces ménages, qui réussissaient le tour de force de vivre avec moins de 10 610 euros par an, ont vu leurs revenus fondre de 2 % entre 2011 et 2012. Une véritable « intensification de la pauvreté », constate l’Institut national de la statistique. « De fait, la moitié des personnes pauvres vivent avec moins de 784 euros par mois, un niveau qui n’avait jamais été aussi bas depuis 2006. »
Comment a-t-on, alors, fait disparaître 200.000 pauvres des statistiques officielles ?
La réponse est évidemment liée au mode de calcul choisi pour mesurer la pauvreté. Elle est déterminée par comparaison avec l’évolution du niveau de vie du reste de la population. Sont pauvres toutes les personnes vivant avec un revenu inférieur à 60 % du revenu médian (987 euros mensuels).
Résultat, le taux de pauvreté peut diminuer sans qu’il y ait une augmentation des revenus des plus démunis. Il suffit que l’ensemble des revenus de la population recule plus rapidement que le revenu des plus modestes…
Ce fut le cas au Royaume-Uni, où le taux de pauvreté a fortement baissé entre 2008 et 2011, malgré la récession constatée outre-Manche sur la même période. Même chose pour la France en 2012. « Au bout du compte, la baisse de dix euros du seuil mensuel a provoqué une baisse du nombre de pauvres de 200 000 », décrypte Louis Maurin, de l’Observatoire des inégalités.
Le nombre de pauvres est passé de 7,4 millions en 2004 à 8,6 en 2012 Peut-on définir plus précisément ce qu’est la pauvreté ?
L’Unicef, par exemple, utilise neuf critères pour déterminer si une famille peut être considérée comme démunie ou non : s’offrir des protéines chaque jour, chauffer convenablement son domicile, s’acheter une machine à laver, se payer une semaine de vacances, posséder un téléphone, etc. Si une famille ne remplit pas quatre de ces conditions, elle est considérée comme démunie. Une définition absolue de la pauvreté, élaborée en fonction de l’accès à un ensemble de biens et de services, qui semble à première vue bien plus efficace que celle choisie par l’Insee.
La pauvreté, après tout, n’est pas seulement monétaire. « II n’existe pas, en réalité, de bonne ou de mauvaise définition, tranche Louis Maurin. Un seuil de pauvreté absolu, s’il n’évolue pas assez dans le temps, peut aussi avoir pour effet de minimiser la pauvreté. » Posséder une télé couleur n’est pas un signe de grande richesse en 2014. C’était pourtant un luxueux privilège en1974! Et faire évoluer les critères de pauvreté dans le temps reviendrait, de facto, à utiliser une définition relative de la pauvreté… Une définition calculée en fonction des revenus médians, si elle comporte certains défauts à court terme, présente au moins l’intérêt de révéler l’explosion du nombre de pauvres, passés de 7,4 millions en 2004 à 8,6 en 2012. Soit un accroissement de plus de 1,2 million de pauvres en huit ans.
« Pour une analyse plus fine, il faudrait ouvrir un débat sur le sujet », prévient Louis Maurin, qui propose de combiner les deux modes de calcul. Un débat plus que salutaire. Car s’il faut aujourd’hui trois mois pour connaître les chiffres consolidés du PIB, que les statisticiens peuvent même calculer six mois à l’avance, il faut toujours deux ans à l’État pour connaître les dégâts de politiques – en l’occurrence celles de Nicolas Sarkozy – qui n’ont cessé de délaisser les classes populaires.
Pierre Duquesne Huma quotidien 10 sept 2014.