Une circulaire publiée discrètement cet été a mis un terme à la « bourse au mérite ». Désormais, les critères d’éligibilité seront uniquement sociaux. A gauche comme à droite, la mesure divise et remet la notion de méritocratie au centre du débat.
« Ils ont décidé d’arrêter de récompenser la jeunesse qui travaille. » Elma n’a que 17 ans, mais ses mots semblent tout droit sortis d’un discours politique. Il y a quelques semaines, la lycéenne a appris qu’elle ne toucherait pas la « bourse au mérite » qu’elle s’attendait à recevoir pour sa moyenne de 19,36/20 au bac.
Jusqu’ici, l’État versait une aide de 1800 euros par an aux bacheliers boursiers qui avaient obtenu une mention très bien à l’examen national, ainsi qu’aux meilleurs élèves à l’université qui souhaitaient continuer des études après leur licence. Mais cette année, le ministère de l’Éducation a décidé de supprimer progressivement ce complément, et de ne plus l’accorder aux nouveaux bacheliers.
Elma est amère : « Ça a vraiment été une grosse déception. Je m’étais dit que j’aurais cette bourse, et je comptais dessus pour financer mes études 200 euros par mois, ce n’est pas rien, surtout à Paris, où les loyers sont très élevés. » Près de 8.000 étudiants boursiers ont, comme elle, eu la mention très bien au bac cette année.
Certains se sont regroupés grâce à une page Facebook nommée « Touche pas à ma bourse, je la mérite », et ont lancé une pétition contre cette suppression, qui compte à ce jour plus de 7000 signatures. Si la bourse au mérite n’est plus versée aux nouveaux bacheliers, elle continuera toutefois à être distribuée aux étudiants qui La touchaient durant l’année 2013-2014.
Le gouvernement avait déjà tenté de la faire disparaître l’an passé, mais avait décidé de repousser le dispositif à 2014 face à une levée de boucliers au sein de l’opinion publique. Il faut dire que la méritocratie est un sujet sensible.
Valérie Pécresse, qui avait élargi le dispositif à tous les élèves boursiers en 2009 alors qu’elle était ministre de l’Enseignement supérieur, a été la première à s’indigner du retrait de ce complément financier, par un gazouillis assassin sur Twitter : « Effort, mérite, des mots qui dérangent? » « assistanat ». Du côté du député UMP Eric Ciotti, on parle de la bourse au mérite comme de « l’expression de la méritocratie républicaine et la reconnaissance de l’excellence ».
Les termes sont pompeux car le symbole est fort. Alors que le 14 juillet, François Hollande rappelait dans son intervention qu’il comptait faire de la jeunesse une « priorité », le gouvernement fait disparaître une mesure dont bénéficiaient, en 2013, près de 30.000 étudiants. Le ministère de l’Enseignement supérieur assume pourtant cette suppression « inscrite dans la loi de finance 2014 », justifiant une redistribution de ces 12 millions d’euros économisés en 2014 vers la totalité des 650.000 étudiants boursiers français. Une mesure issue de la grande réforme des bourses entamée par la ministre Geneviève Fioraso depuis 2012, qui avance un budget de « 457 millions d’euros » injectés entre 2013 et 2015.
« Évidemment, on ne se réjouira jamais de la suppression d’une bourse », confie William Martinet, président du syndicat étudiant de gauche Unef, qui précise n’avoir pas participé aux discussions sur la suppression de la bourse au mérite. « Mais nous pensons que le gouvernement va dans le bon sens. Pour ce qui est des réformes des aides sociales, on préfère que ce soit la situation des étudiants qui soit prise en compte, et non pas leurs notes. D’autant plus que la méritocratie, dans notre démocratie, c’est surtout le symbole de l’injustice. » C’est-à-dire qu’elle profite aux catégories sociales les mieux dotées en capital culturel, celles qui vont en prépa par exemple.
L’analyse est partagée par Marie Duru-Bellat, sociologue à Sciences-Po et auteur de « Le Mérite contre la justice » (Presses de Sciences-Po, 2009) : « Le problème du mérite, c’est que personne ne sait le définir. S’il y a de plus en plus de mentions très bien au bac, c’est surtout parce que les jeunes accumulent les options pour l’obtenir! » Pourtant, dans le débat public, il n’est pas de bon ton de remettre en question le mérite, à droite comme à gauche. « C’est consensuel, la méritocratie. Tout le monde s’y rallie, continue-t-elle, c’est un critère flou mais pratique : dans la société, on est théoriquement tous égaux, pourtant il faut que certains décrochent des places plus attractives. Mais quand on regarde concrètement, les ‘méritants’ ressemblent souvent à leurs parents… »
C’est contre cette reproduction sociale que le gouvernement a choisi de lutter, en supprimant progressivement ces compléments. Pourtant, la décision a quelque chose d’anecdotique, car les économies effectuées (12 millions d’euros cette année) représenteront une goutte d’eau de l’investissement de plus de 80 millions d’euros injectés en 2014 dans la refonte des bourses sur critères sociaux.
Un argument de plus dans la bouche des boursiers qui s’opposent à sa suppression, comme Anna, en deuxième année de master à Sciences-Po, qui a touché ta bourse au mérite depuis son entrée dans le supérieur. « Ça fait toujours rire jaune, quand on nous parle de mesure symbolique. Oui, certains élèves qui la touchaient n’en avaient peut-être pas besoin pour survivre, mais moi je ne sais pas comment j’aurais fait sans. Et si c’est une goutte d’eau pour le gouvernement, pour moi, cela faisait une vraie différence. »
De l’écart entre la théorie, et la pratique.
Marie Turcan – Inrocks N°979.