Il n’est pas une revue hebdomadaire ou mensuelle qui, à l’approche de la période estivale juillet-août ne programme des articles, qui sur les derniers maillots de bain à la mode, les autobronzants efficaces, la perte de plusieurs kilos en moins de huit jours et en dernier lieu (à moins que ce soit le premier dans l’esprit des directeurs de publications afin de doper les ventes en période estivale) de faire paraitre des articles sur le sexe. Les Inrockuptibles, et son numéro 973, toujours un peu provocateur, a sorti un « 4 pages » sur un aspect particulier l’esthétisme du sexe se. J’aurais peut-être du utilisé le qualificatif « savoureuse » dans le titre; mais je ne veux pas tomber dans la grivoiserie à bon marché. MC
Prenons les paris : dans cinq ans, internet foisonnera de diaporamas de stars avant/après leur opération du sexe. Exit les photos de nez bien droits et de 90E plantureux, place aux images de vulves refaites. Les opérations existent et se popularisent.
Elles s’appellent « nymphoplastie », « labiaplastie » ou encore « labioplastie » et consistent à réduire tes petites ou les grandes lèvres du sexe féminin contre 2000 euros environ. Les chirurgiens sont formels : la demande est croissante. Si l’on ne possède pas de statistiques en France, le nombre de nymphoplasties pratiquées au Royaume-Uni a augmenté de 50% ces cinq dernières années.
Depuis 2005, les messages consacrés au complexe des « petites lèvres qui dépassent » pullulent sur les forums sexo. « Elle est grosse et renflée, je ne l’aime pas, balance Orkiday au sujet de sa vulve sur Aufeminin.com. Quand je vois les autres avec un sexe bien plat, des strings bien échancrés et une petite chatte toute mignonne, je les envie vraiment. » Sur Doctissimo, Coralie, 15 ans, s’épanche : « Je suis hyper complexée par ma vulve, j’ai l’impression qu’elle n’est pas normale. En fait, mes petites lèvres dépassent des grandes lèvres et en clair quand je me mets debout devant la glace on voit un petit peu les petites lèvres et je trouve ça horrible. »
Une seule question : « Suis-je normale ? »
Lili Puce, 16 ans, lâche sur Santé-médecine.net : « Toute ma vulve dépasse, elle est trop grande par rapport aux grandes lèvres, ou les grandes lèvres sont peut-être trop petites? »
Leur répondent des femmes déjà passées sur le billard, comme Luce qui décrit L’après-opération sur Aufeminin.com :
« Ça reste impressionnant les premiers jours car c’est hyper gonflé et violet mais il ne faut pas paniquer, il faut attendre minimum dix jours avant de savoir ce que ça donne. Tu auras des fils qui sont résorbables ou que le chirurgien t’enlèvera. » Elle conseille au passage : « Apporte des photos de sexes que tu aimerais avoir »
La nymphoplastie n’est pas la seule intervention esthétique concernant te sexe féminin.
Au rayon chirurgie intime, les chirurgiens-plasticiens proposent également un rajeunissement de La vulve avec injection dans les grandes lèvres d’acide hyaluronique (aux propriétés hydratantes et volumatrices) ou de graisse prélevée sur une autre partie du corps. Objectif : repulper les « lèvres qui deviennent flasques, qui diminuent avec le temps », explique le Dr Bénadiba.
Basé à Paris, ce chirurgien-plasticien, spécialisé dans ta chirurgie intime, réalise deux à trois labiaplasties par semaine depuis maintenant dix ans. Ses patientes ont en majorité entre 25 et 35 ans. « Mais je reçois aussi des mineures et des femmes de plus de 60 ans », précise-t-il. Aucune ne s’est pointée avec une photo de vulve « idéale » mais toutes ont débarqué avec d’énormes complexes. « La plupart de ces femmes sont gênées physiquement, par exemple pour faire du sport, avoir des rapports sexuels ou même dans des vêtements. » Eléonore a franchi le cap il y a quelques mois après avoir été complexée pendant une dizaine d’années. « Je ne regrette rien, le résultat est très satisfaisant et naturel, Je me sens plus libre dans mes mouvements. » De même pour Julie, 32 ans :
En sous-vêtements ou en maillot, je sentais une gêne. C’était aussi douloureux parfois pendant les rapports avec mon mari. »
D’autres consultent par pur souci esthétique. Car la mode est à la vulve fringante, jeune et dynamique.
Si la chirurgie intime est née aux Etats-Unis et au Brésil à la fin des années 90, c’est la mode de l’épilation intégrale qui l’a propulsée sur le devant de la scène : sans poils, la vulve se révèle, avec ses forces et ses faiblesses. Le porno s’est ensuite chargé de véhiculer une image imberbe, lisse et harmonieuse du sexe féminin. « Je revois de très jeunes filles qui se sont comparées avec d’autres ou avec des actrices de films X à la recherche de normalité », confirme le Dr Bénadiba. (…)
(…) Les membres imposants (et épilés) des acteurs de films X filent des complexes aux hommes, qui ont eux aussi de plus en plus recours à des opérations de chirurgie esthétique. Le Dr Azoulay, qui pratique la chirurgie intime à Paris depuis cinq ans, assure assister à une véritable explosion des opérations du pénis, pour des grossissements ou allongements de la verge. La première opération consiste à injecter de la graisse ou de l’acide hyaluronique dans le pénis. Problème : les effets s’estompent en règle générale au bout de huit mois. La seconde nécessite de sectionner les ligaments suspenseurs situés à la base du sexe, ce qui permet de gagner entre 10 mm et 2 cm tout au plus, et uniquement au repos.
Le « syndrome du vestiaire ».
« Souvent, les hommes expliquent qu’ils trouvent leur pénis petit car au vestiaire de la salle de sport ils en voient des plus gros que le leur. On va alors traiter le pénis comme un nez qui a une petite déformation. Psychologiquement fragilisé, on est prêt à tout », analyse Ronald Virag, chirurgien-urologue auteur du Sexe de l’homme (Albin Michel, 1997).
Sur le forum du site Doctissimo, un certain Blackstrobe, 24 ans, décrit son complexe : « Quand je vais dans un bar et que d’autres hommes urinent à côté de moi ou dans des douches collectives, j’ai vraiment honte et je bloque. » Il poursuit : ‘Je trouve mon pénis au repos bien trop petit par rapport à mon âge ! Je n’ai pas l’impression d’avoir un pénis d’homme mais plutôt d’ado. Le gland ne sort pas de la peau, mon sexe est très fin, petit et chétif » (…)
Pour le Dr Azoulay, ce type d’opération apporte « un bien-être psychologique » au patient : « L’homme a tendance à penser que la taille de son sexe détermine ses performances sexuelles.
Cette chirurgie va lui donner davantage confiance en lui et peut donc effectivement avoir une incidence sur ses performances et sa libido. »
C’est aussi l’argument psychologique qui est invoqué pour justifier la labiaplastie. Pourtant, les conséquences ne sont pas à prendre à la légère : « Il faut aussi faire très attention à ce type de chirurgie car c’est un organe hyper sensible, on peut induire des troubles de la sensibilité, de la perception », assure Ronald Virag qui, au passage, apporte un sérieux bémol aux injections d’acide hyaluronique dans la zone du point G destinées à provoquer davantage d’orgasmes en augmentant la sensibilité de la zone, mais dont les effets ne sont pas scientifiquement prouvés.
Mélanie, 27 ans, infirmière, les a pourtant bien sentis, Les effets. Il y a sept mois, prenant exempte sur une amie, elle a procédé à une injection chez le Dr Azoulay : « Le changement est radical ! », s’exclame-t-elle au téléphone. Les effets s’estompant déjà, elle a décidé d’en faire une deuxième l’année prochaine.
Tout le monde n’est pas aussi enthousiaste. Créée en 2000 pour lutter contre « la médicalisation de la sexualité », l’organisation américaine New View Campaign livre une guerre sans pitié à ce que l’on appelle outre-Atlantique et outre-Manche le « designer vagina », le sexe féminin esthétiquement modifié.
Pour Leonore Tiefer, docteur en psychiatrie à l’université de New York et membre active de New View Campaign, la labiaplastie cause des « cicatrices inutiles » et un « sentiment d’insécurité psychologique et sexuelle ». « Ce n’est pas nouveau, on a déjà vécu ça avec la peau, les cheveux, le poids, les seins, les fesses, les dents. On s’attaque juste à une nouvelle partie du corps de la femme ! », s’emporte-t-elle.
Dans une vidéo parodique disponible sur YouTube et réalisée par New View Campaign, un chirurgien crapuleux explique à son jeune assistant comment créer des complexes chez les femmes et trouver des solutions onéreuses pour les en débarrasser. Le court métrage dénonce l’influence néfaste des images porno, des magazines féminins, des célébrités et le faux discours féministe prônant La liberté de la femme à l’œuvre derrière la chirurgie esthétique des sexes. « La beauté a toujours été une préoccupation humaine mais elle est désormais devenue un marché très florissant », explique Sophie Cheval, auteur de Belle autrement! – En finir avec la tyrannie de l’apparence [Armand Colin, 2013).
- Elle l’affirme : ledit marché ne perdure que parce qu’il entretient des complexes chez l’homme et la femme, au travers notamment des magazines féminins et masculins.
- Deuxième problème pointé par la psychologue : en portant toute notre attention sur l’esthétique du sexe, on en oublie sa fonction première qui est de procurer du plaisir.
Lancé cette année, le site Large Labia Project (Largelabiaproject.org) collecte et expose des photos de vulves de toutes sortes. (…)
[Avec ce projet se pose une troublante] question : qu’est-ce qu’un « beau » sexe ?
Sophie, 30 ans, se souvient qu’ado, la vision d’une de ses copines nue l’avait amenée à se demander si son propre sexe était « normal ». Puis, alors qu’elle avait 20 ans, son copain lui avait dit que son clitoris était « bizarre ». « Ça m’a rendue parano pendant des années jusqu’à ce que je me rende compte que les mecs suivants ne s’en plaignaient pas. J’ai compris qu’il n’y avait pas de normes. Maintenant, je m’en fous un peu. »
En matière d’esthétique du sexe, chacun a ses critères de beauté, souvent bien précis.
Lisa, 30 ans, explique préférer les sexes de femme avec un peu de poils. « Mais pas de ticket métro, ça fait actrice porno. » Quant aux pénis, elle n’aime pas les « bites champignon avec un gland très gros » mais apprécie « les veines saillantes ». ‘j’avais un plan cul qui s’épilait entièrement et c’était pas désagréable mais ça faisait bizarre », lâche-t-elle.
Lorsqu’on l’interroge sur ce qu’est une belle vulve, Raphaël, 28 ans, opte pour les adjectifs « démonstrative, présente, externe ». Le pénis, Lui, « doit être bien proportionné par rapport au corps du mec, assure-t-il. Les bites tordues en érection c’est bof, j’aime bien qu’elles soient raides et droites. Une bite au repos bien proportionnée, ça peut être magnifique. Enfin, souvent, c’est décevant. » Il confie se sentir dégoûté par un sexe « de couleur violette » et préférer « les mats ». « Si le pénis est doux, qu’il sent bon, ça participe aussi à en faire une belle bite », ajoute-t-il.
Thomas, 27 ans, kiffe Les sexes féminins qui « laissent deviner leurs petites lèvres ». « C’est chaud et cosy. Mais en même temps, ils ne doivent pas trop en dire pour garder le côté territoire à explorer: » A l’inverse, le pénis est pour lui « la partie du corps masculin la moins gracieuse ». ‘Au repos, je le place au même niveau de laideur que les orteils, lâche-t-il, en revanche le pénis en érection a un certain panache, notamment lorsqu’il est décalotté. «
Anaïs, 27 ans, a une préférence pour les sexes circoncis.
Quant à Louise, 26 ans, si elle assure ne pas avoir de critères spécifiques concernant la beauté du sexe féminin (« il reflète notre personnalité »), elle en aligne pas mal lorsqu’il s’agit du pénis : « Il doit être droit, assez long et large (pas trop quand même, il faut pouvoir le mettre dans la bouche !) Et avoir une jolie couleur »
La popularisation des pratiques oraux-génitales (fellation, cunnilingus) a sans doute entraîné une augmentation des opérations chirurgicales. Il y a un siècle, ces relations étaient réservées au cadre de la maison close. N’étant pas destinées à la reproduction, elles n’avaient pas de raison d’être au sein du couple marié. De plus, mettre sa bouche en contact avec un sexe n’était pas jugé hygiénique. « Aujourd’hui, presque tous les moins de 35 ans ont des rapports oraux-génitaux. De là découle aussi la pratique du sexe épilé et de la chirurgie labiale », estime Philippe Brenot, psychiatre et sexologue. Au contact du visage de l’autre, le sexe s’expose dans toutes ses imperfections et sa fragile beauté. Si les années 90 ont vu exploser la chirurgie plastique des seins, les années 2000 celle des fesses, les années 2010 devraient être celles du grand boom de la chirurgie des sexes.
Carole Boinet – Inrocks N° 973 ( Extraits)