Le distributeur en ligne Amazon a invité samedi les lecteurs à prendre parti dans le conflit qui l’oppose à l’éditeur américain Hachette Book Group, filiale du groupe français Lagardère.
- Amazon, qui se pose en défenseur de prix plus bas pour les livres électroniques, retarde délibérément la livraison des ouvrages d’ Hachette.
- Dimanche, dans le New York Times, 909 écrivains dont certains très renommés ont dénoncé ces « représailles » qui prennent des auteurs en otages. Le Centre national du livre soutient le combat de l’éditeur.
Vincent Monadé « Au-delà des négociations commerciales secrètes entre Hachette et Amazon, il y a dans ce conflit des enjeux idéologiques et éthiques cruciaux pour l’industrie mondiale du livre. La société Amazon essaie d’imposer des conditions de plus en plus drastiques aux producteurs de contenus.
Son objectif est d’accroître ses marges car son activité est aujourd’hui très peu rentable, compte tenu notamment de la gratuité des frais de port. Il faut bien comprendre qu’il s’agit d’un véritable supermarché en ligne, qui ne vend pas seulement des produits culturels, mais aussi de la nourriture, de l’électroménager…
Le livre, comme le DVD, n’est pour lui qu’un produit d’appel. Or une baisse trop forte des prix risque de menacer toute la chaîne de fabrication des livres, y compris les auteurs dont les droits calculés en pourcentage pourraient devenir ridicules. La pétition de plus 900 écrivains publiée dans le New York Times montre qu’ils l’ont bien compris. Si des auteurs aussi différents que Stephen King et Paul Auster l’ont signée, c’est qu’ils ne veulent pas se retrouver dans un tête-à-tête mortifère avec Amazon.
Je suis persuadé que le géant de la distribution en ligne souhaite en effet se passer à terme des producteurs de contenus culturels pour rester le seul intermédiaire entre les auteurs et les consommateurs. Il a déjà créé sa pseudo-maison d’édition numérique. Il favorise aussi l’autoédition en la mettant en avant sur son site.
Or les vrais éditeurs, en soutenant les auteurs, en les aidants à retravailler leurs manuscrits, contribuent à la qualité des livres. Le combat d’ Hachette me paraît donc juste. Il le mène seul et de manière courageuse.
J’espère que d’autres éditeurs le rejoindront afin qu’ils fassent, ensemble, plier Amazon. L’Union européenne, à la suite d’une plainte de libraires allemands, devrait aussi examiner un éventuel abus de position dominante. »
Recueilli par Sabine Gignoux – La Croix – Permalien
Autre approche de la part de CCFI – Comptoir des Chefs de Fabrication de l’Imprimerie –
Extrait – Permalien
« Face à Godzilla »
L’enjeu du conflit ne fait pourtant pas de doute. “Amazon, qui subit une énorme pression de Wall Street pour améliorer ses marges, essaie d’obtenir d’ Hachette de meilleures conditions sur les livres numériques d’ Hachette”, explique le New York Times (23 mai). Tous les observateurs du secteur sont convaincus qu’ Hachette entend pour sa part réintroduire dans son contrat une forme de contrat de mandat (agency model) pour, comme il l’avait fait avec succès en 2010, empêcher Amazon de casser les prix des livres numériques.
Pourquoi l’affaire a pris de l’ampleur ?
L’affaire a quitté la sphère habituelle des négociations bilatérales pour être portée sur la place publique en raison de l’ampleur des mesures de rétorsion prises par Amazon contre Hachette. “Amazon la joue hard boiled, remarque Michael Jacobs. C’est dans son style de monter très vite aux extrêmes.”
Amplifiant une démarche testée trois ans plus tôt contre Macmillan, Amazon a allongé de plusieurs semaines les délais de livraison des titres d’ Hachette, puis incité ses clients à acheter chez d’autres éditeurs avant de bloquer toute possibilité de précommande des titres à paraître du groupe. Ces mesures brouillent l’image d’un distributeur supposé dédié aux consommateurs.
Sur son site le 27 mai, le cyber-marchand leur conseille même curieusement de se fournir chez d’autres. “Il a ignoré la première loi qui s’impose aux Gate Keepers [gardiens du temple, leaders du secteur, NDLR], à savoir que le pouvoir donne aussi la responsabilité de protéger ce qui le fonde, en l’occurrence les livres, les lecteurs, les auteurs, les éditeurs… On n’élimine jamais ainsi les livres qu’on n’apprécie pas. Même Barnes & Noble ne l’a pas fait quand il contrôlait le marché”, remarque le P-DG de Seven Stories, Dan Simon.
Cette stratégie maladroite d’ Amazon réveille non seulement les rancœurs de tous les éditeurs qui ont dû à un moment ou à un autre passer sous ses fourches caudines, mais aussi tous ceux qui s’inquiètent de la tendance monopolistique d’ Amazon. Un éditeur rappelle que les “détaillants, éditeurs, vendeurs, distributeurs du monde physique” sont la première cible d’ Amazon, “répétée depuis douze ans dans son rapport annuel”.
Dès le mois de février, The New Yorker publiait une grande enquête sur le thème “Amazon est bon pour les clients. Mais est-il bon pour les livres ?”. Et tandis que la controverse envahit la presse, du Wall Street Journal à USA Today et aux journaux locaux, le New York Times est carrément entré en campagne, enchaînant plusieurs fois par semaine articles et prises de position : “Amazon intensifie sa bataille contre Hachette” (23 mai), “Les stratégies d’intimidation d’ Amazon” (30 mai), ou encore“Comment les éditeurs peuvent battre Amazon” (30 mai).
Mais … rappelons-nous que le 29 juillet 2011 était publié …
Google et Hachette se mettent d’accord
Si les balbutiements du livre numérique inquiétaient déjà les libraires, cette nouvelle ne les rassurera pas. A la suite d’un accord définitif conclu entre Hachette Livre et Google, la numérisation des ouvrages épuisés en langue française (qui représente un potentiel de 40.000 à 50.000 titres) sera désormais soumise à une autorisation préalable des maisons d’édition concernées.
Sont principalement concernés les classiques de la littérature, les ouvrages de référence et les livres universitaires. En tout, c’est 70% de son fond que confie l’éditeur à Google. Un protocole préliminaire établissant les termes de l’accord avait déjà été signé en novembre dernier.
Bien que le groupe Hachette, premier éditeur français et deuxième mondial, garde le contrôle de la numérisation des œuvres et reste le seul à décider de leur commercialisation sous forme d’e-book, cet accord marque probablement un nouveau pas vers une généralisation de la lecture sur écran.
Hachette Livre devrait cependant pouvoir exploiter les fichiers numérisés et permettre leur impression à la demande. De quoi rassurer les amoureux du livre d’encre et de papier?
Par ailleurs, en empruntant des voies légales, Google semble bien vouloir se racheter une conduite. Car jusqu’alors, la société américaine n’avait pas vraiment pour habitude de demander leur avis aux ayants-droit.
En six ans, elle aurait déjà numérisé près de 12 millions d’ouvrages selon l’AFP, et fait actuellement l’objet de plusieurs poursuites judiciaires en France. Cette fois, la numérisation de textes non tombés dans le domaine public pourrait valoir « de nouveaux revenus à leurs auteurs et à leurs éditeurs ».
Dans un communiqué, Google a dit souhaiter « parvenir à des accords similaires avec d’autres éditeurs ». Plus méfiant, le ministre de la Culture Frédéric Mitterrand a préféré rappeler qu’« avant toute collaboration de Google avec les grandes institutions nationales comme la Bibliothèque nationale de France », il veillerait « à ce que le respect des droits des auteurs et des éditeurs soit assuré ».
Fanny Espargillière – Paru dans le Nouvel Obs – Permalien