Les éditorialistes ont ouvert leurs sacs à malice. Au fond du sac se trouve « populisme », lourd de sens, un synonyme traditionnel du poujadisme, avec son culte du chef et son idéologie réactionnaire. Jouant sur la proximité des sons, il tente d’y mêler depuis peu, tout ce qui est « populaire ». Ainsi a-t-on créé une confusion de sens aux fâcheuses conséquences.
Un spectre hante l’Europe…
Vêtu de brun, il répond au nom de « populisme ». Grands médias et nombre d’élus usent et abusent de ce mot, tout en se gardant bien de le définir. Depuis la fin de la IVe République, l’expression renvoie à la figure de Pierre Poujade, au souvenir des petits commerçants qui l’entouraient de 1953 à 1958, et à leur tornade anti-élites, anti-impôts et contre l’Algérie indépendante. L’archétype du mouvement réactionnaire.
Aujourd’hui, les éditorialistes parlent également à tort de « populisme » pour désigner des organisations dont la culture en est aux antipodes et qui visent à favoriser la participation à la vie citoyenne des catégories populaires. « Utilisé sans aucune rigueur, ce terme nous renseigne désormais surtout sur le type de discours politique que les bénéficiaires du système économique actuel osent tenir sur le peuple », note le sociologue Éric Fassin. Populaire, donc populiste, donc réactionnaire. Refrain connu, mais erroné.
Cet abus de langage induit, en effet, une disqualification sémantique qui a été mise en lumière par le journaliste Serge Halimi: « Si vouloir s’adresser à la majorité du peuple devient gage de populisme — et, à ce titre, une marque d’infamie—, mieux vaudrait sans doute en revenir au suffrage censitaire (…).» (Le Grand Bond en arrière, Fayard, 2004). En réalité, le sens de ce mot a été tordu plus d’une fois.
Quand le terme apparaît vers 1880, ce n’est pas dans une arrière-boutique, mais le long du Mississippi et dans les grandes plaines qui s’étirent du Texas à la Caroline du Nord. Confrontés à la baisse des prix du blé et du maïs, aux saisies des banques et au dédain de Washington, les fermiers blancs forment alors leurs coopératives et diffusent, via leurs publications, une culture d’entraide, d’estime de soi et d’analyse économique de la société.
Comptant plus d’un million de membres, « le populisme fut le premier mouvement ayant pour but d’organiser les catégories populaires aux États-Unis », rappelle l’historien américain Thomas Franck (Pourquoi les pauvres votent à droite, Agone, 2008). Ses membres réclament la nationalisation des compagnies de chemin de fer, l’instauration de la journée de huit heures et de l’impôt progressif sur les revenus. Une révolution.
À partir de 1890, le mouvement se présente avec succès aux élections locales, puis nationales, en cherchant à « rassembler (…) les républicains du Nord et les démocrates du Sud, les ouvriers des villes et les fermiers, les Noirs et les Blancs », explique l’historien Howard Zinn (Une histoire populaire des États-Unis, Agone, 2002).
À partir de 1896, l’influence du populisme décline. Certaines idées formeront néanmoins l’armature du New Deal de Franklin Roosevelt telles que la stabilisation des prix agricoles grâce à l’intervention de l’État ou l’interdiction faite aux banques de spéculer avec l’épargne destinée aux crédits. Des mesures qui inspireront le Front populaire.
Olivier Vilain – Convergence N°337