Dans le sillage du Front National déjà très inquiétant, se cache toute une armée ultra-droitière encore plus inquiétante que la fille Le Pen. Avec ce genre de mouvement l’intégration est loin d’être gagnée. La suspicion, le délit au faciès, l’origine ethnique, etc., sont le fond de commerce. C’est à l’identique de 1940 et 45 : dénonciateurs anonymes, collaborateurs zélés, un ensemble de demi-sels trouvant dans ses réseaux un assouvissement d’autoritarisme déplacé. Toutes dérives, d’extrême gauche comme d’extrême droite, sont préjudiciables à toute société équilibrée. MC
La nouvelle campagne « antiracailles » de Génération identitaire envahit le métro, pour « sécuriser » les voyageurs. Sous couvert d’angélisme, la jeunesse d’ultradroite multiplie les opérations de com pour mieux recruter et élargir ses rangs.
Dans le métro, ils présentent bien. « Étudiants, jeunes actifs, on a créé le concept de jeunesse vigilante. » Dans une vidéo-diffusée sur leur site internet, Aurélien Verhassel, leader de Génération identitaire Flandre, explique aux voyageurs les raisons de leur incruste. Parce que « la sécurité est le premier des droits aujourd’hui », ils décident d’agir pour que « les pouvoirs publics s’emparent du problème. Le vivre ensemble vire au cauchemar actuellement ».
En ouverture du teaser, un mot d’ordre : « Rejoins ton clan ! Face à la racaille, tu n’es plus seul. » Souriant dans leurs K-Way jaunes marqués du lambda symbolique de Génération identitaire, ils sillonnent depuis le début du printemps les métros de Lille, Nantes, Lyon ou Paris. Jamais très longtemps, souvent moins d’une heure, ils s’immiscent dans les rames par grappes de vingt, pour assurer une présence « rassurante ». Sans aucune autorisation, ils font un petit tour, et puis s’en vont, aussi vite qu’ils sont arrivés. « Ils laissent tomber les références racistes, nazies, antisionistes, et communiquent sur le modèle Greenpeace. Ils sont faibles numériquement, mais ils ont très bien compris qu’à dix gars en blouson jaune, on peut faire une action relayée dans le monde entier », explique Nicolas Lebourg, historien spécialiste des extrêmes droites et coauteur, avec Joseph Beauregard, de « Dans l’ombre des Le Pen – Une histoire des numéros 2 du FN (éditions Nouveau Monde) ».
Progéniture 2.0 du Bloc identitaire, « Génération antiracailles » réunit depuis 2012 les plus jeunes fidèles du parti radical d’extrême droite. Derrière le Bloc, le clan Fabrice Robert, Guillaume Luyt et Philippe Vardon, déjà instigateurs des ex-Jeunesses identitaires, lui-même né d’Unité radicale, le groupuscule d’extrême droite dissout en 2002 après la tentative d’assassinat de Jacques Chirac par Maxime Brunerie.
Génération identitaire reprend le flambeau, et mise tout sur le buzz. Pour lancer le mouvement, le 20 octobre 2012, une soixantaine de militants occupent le toit d’une mosquée pour protester contre « l’islamisation de la France ». Quelques mois plus tard, ils investissent la terrasse du Parti socialiste, rue de Solférino à Paris, pour demander la démission de François Hollande.
En deux ans, ils s’inscrivent à l’extrême droite comme les maîtres du happening et de l’agit-prop.
Deux objectifs : recruter toujours plus de jeunes, et s’installer peu à peu dans l’ombre de Marine Le Pen qui refuse officiellement tout accord électoral avec les identitaires.
Se posant en victimes de la mondialisation, les enfants de Génération identitaire dressent leur autoportrait dans un manifeste vidéo, « Déclaration de guerre : Nous sommes la génération de ceux qui meurent pour un regard de travers, une cigarette refusée ou un style qui dérange. Nous avons fermé vos livres d’histoire pour retrouver notre mémoire. Notre seul héritage, c’est notre terre, notre sang, notre identité (…) Vous ne nous aurez pas avec un regard condescendant, des emplois jeunes et une tape sur l’épaule : pour nous, la vie est un combat. Nous n’avons pas besoin de votre politique de la jeunesse. La jeunesse est notre politique (…) Lassés de toutes vos lâchetés, nous ne refuserons aucune bataille, aucun défi. »
Lutte acharnée contre l’islam, phobie de l’insécurité, combat violent de l’immigration : en interne, on communique sur un autre ton. Avec l’autodéfense comme recours, les messages haineux se multiplient. Prônant la protection contre l’invasion étrangère version « do it yourself, » les jeunes identitaires tissent un réseau multi-régional.
Pour fidéliser les rangs « de babtous », des stages d’autodéfense et l’ouverture de salles de sport pour « les jeunes FDS (Francais de souche) ». Pour rallier les troupes, un camp d’entraînement d’une semaine rebaptisé Université d’été identitaire. Au programme : boxe, entraînement physique, chants régionalistes, formation à la communication et à la politique… à très bas prix.
Pour Nicolas Lebourg, ils séduisent avec l’islamophobie, l’autodéfense et la promesse de recouvrer une identité en intégrant un crew : « A un jeune de 22 ans qui a le sentiment d’être dans une identité flottante, hybride, construite sur internet, ils proposent d’appartenir à une communauté. Leurs parents et leurs grands-parents étaient dans la peur du travailleur immigré. Eux, c’est différent, ils ont grandi dans la société postindustrielle et globalisée. Pour eux, il n’y a plus de société, il n’y a qu’une économie globalisée. Ils défendent le foyer, le petit groupe. Ils ont pris acte de la fin des Etats nations, et opèrent un raidissement identitaire. Ce sont les enfants maudits de la globalisation. »
Les enfants maudits surfent sur ta protection juridique offerte par ta Liberté d’association, en veillant à ne pas franchir la ligne jaune. Interrogé au téléphone, un haut responsable du SORT (Service central du renseignement territorial) assure maintenir « une surveillance au long cours » de cette faction « de l’ultradroite ». « Leurs activités, leurs appels à manifester; leurs vidéos… Avec des dents très serrées, on passe au râteau l’ensemble de’ ces groupes. Pour être en capacité de les identifier en cas de passage à l’acte, comme dans l’affaire Clément Méric. »
Impossible d’envisager une dissolution du groupement sur le fondement de la loi de 1936. Prévue pour neutraliser les milices, elle ne peut être employée qu’à des conditions très strictes. Impossible également d’interdire leurs patrouilles. Dans le métro, ils se contentent d’assurer une présence : « Ce sont des actions light, ils sont très prudents. Mais ça nous mobilise. A Lille, à chaque fois, on déploie un dispositif policier; visible… ou discret. »
Une vigilance confirmée par le ministre de l’Intérieur. Le 26 mai, Bernard Cazeneuve réagit au micro de France Inter : « En démocratie, le maintien de l’ordre, le rétablissement de l’ordre appartient à ceux qui ont des prérogatives de puissance publique. Ces groupes d’extrême droite ne sont pas là pour rétablir l’ordre dans le métro car on n’a nul besoin d’eux pour le faire – nous avons procédé dans les transports en commun à l’arrestation de 66 000 personnes l’an dernier (…) Ils sont là pour provoquer; ils sont là pour diviser »
Pour le SORT, les jeunes identitaires ont marqué des points avec la Manif pour tous : « Ils ont repris une notoriété et une légitimité à être présents dans l’espace public. Ils ont moins d’hésitation. Aussi parce qu’ils ne peuvent pas recruter sans visibilité. »
Dernièrement, les jeunes « antiracailles » ont écrit à la RATP et au préfet de police de Paris pour proposer coopération et collaboration dans « la sécurisation des transports ».
Ils ne doutent de rien.
Otivia Müller – Les Inrocks N°969