La petite société Bygmalion est soudain devenue une grande vedette, avec la découverte du mécanisme mis en place pour financer la campagne de Sarko.
Petits prix pour le candidat. Coups de gourdin pour le parti.
Double comptabilité, double arnaque.
Saignée, endettée jusqu’au cou, a dû emprunter au groupe parlementaire, exsangue, lui aussi, pour éviter la faillite. Tandis que Bygmalion et la nébuleuse qui l’entoure se gavaient sur la bête.
- Pourquoi tant de sollicitude pour cette boîte dès sa naissance, et alors qu’elle ne pouvait se prévaloir d’aucune expérience ?
- Pourquoi les dirigeants de l’UMP ont-ils accepté ces surfacturations délirantes, tout en conseillant fermement aux candidats, aux élus, aux parlementaires de faire appel à Bygmalion ?
L’histoire de Bygmalion, ce n’est ni une mauvaise gestion ni une escroquerie, c’est un système. Une machinerie classique pour siphonner l’argent public par millions. Bien sûr, quelques demi-sel se sont servis au passage. Ils vont se faire piquer, les maladroits… Cela fera rire ceux qui planquent le gros du magot.
La lecture du dernier « Canard (du 25 juin 2014) » a mis en rage une bonne partie des députés UMP. Comment Jean-François Copé et Christian Jacob, les présidents successifs de leur groupe à l’Assemblée, ont-ils pu payer pour un peu plus de 7 millions d’euros de prestations, aussi tordues que coûteuses, à Bygmalion ?
Ces factures — il en ressort chaque semaine de nouvelles — affichaient souvent le double, le triple ou le quadruple des prix du marché. Parfois, elles ont même crevé tous les plafonds et atteint plusieurs centaines de fois (sic) les tarifs habituels du commerce.
Et personne n’aurait rien vu ?
Archives envolées
Ce bel argent, sorti tout droit des caisses publiques, est bien passé dans quelques poches. Celles des patrons de Bygmalion ? Celles de Copé ? Ou les deux ?
C’est ce qu’aimeraient savoir les députés UMP, qui se trouvaient, mardi matin, à l’heure du bouclage du « Canard », en pleine séance d’explication de gravures avec Christian Jacob.
Dès la création de Bygmalion, en octobre 2008, Copé ouvre toutes grandes les caisses à ses potes Bastien Millot et Guy Alvès. Aucun contrat n’est encore passé avec la société, mais les collaborateurs de Copé signent des chèques à la chaîne et sans contrôle. A tel point que l’UMP acquitte par erreur, sans ciller, une facture (8.970 euros) adressée à France Télévisions et déjà payée par la société publique. Mais qu’importe ! L’UMP n’est plus à ça près.
Les documents comptables portent parfois la même date, le même montant et concernent les mêmes prestations ; les factures sont pourtant réglées rubis sur l’ongle. Par exemple pour des services informatiques, d’un coût unitaire de 4.000 à 8.000 euros.
Ce ne sont là que des zakouski. En septembre 2010, Bygmalion facture 478 400 euros les journées parlementaires du groupe UMP, qui se tiennent à Biarritz. Trois mois plus tard, la boîte ajoute 233 422,53 euros à sa note annuelle, sous le libellé « Organisation conseil ». De qui ? De quoi ? Mystère et boule de gomme : les archives comptables de l’époque Copé ont disparu lors de la démission de l’intéressé, comme le confirme au « Canard » un proche de Christian Jacob.
Mais c’est surtout la gestion du site Internet du groupe UMP qui déclenche, en 2010, la valse inexpliquée des « bygmillions ».
La farandole des factures
Aux prestations de « développement » du site s’ajoutent, tous les mois, des coûts exorbitants d’« hébergement », de « mise à jour », de « maintenance », de « refonte », de « veille » et de « modération »… et même de « sécurité ». Comptez 638.038,10 euros pour le seul millésime 2010 (année record, il est vrai). Des professionnels, consultés par « Le Canard », s’en gondolent encore : « Vu la qualité du site, 3.000 euros par an, ce serait déjà cher… » ricane l’un de ces mauvais esprits.
A ce premier et coquet total il convient d’ajouter la surveillance de l’« e-réputation » du groupe UMP (taxée de 197.340 euros en 2010 à 107.640 euros en 2013). Mais aussi les coûts de création, de mise à jour et tout le tintouin pour deux ou trois « mini-sites » spécialisés créés chaque année. Exemple de cette plaisanterie : 232.598,08 euros ont été balancés en 2010, pour de simples pages d’accueil squelettiques sur les « retraites » et l’« éthique du numérique ». En prime, le groupe UMP a également pris en charge la « mise à jour » du site personnel de Jean-François Copé, pour la bagatelle de 48.222,72 euros par an. C’est toujours ça de gagné. Ensuite, son successeur, Christian Jacob, a préféré attendre sagement la fin de la législature, en mai 2012, pour passer un contrat écrit avec Bygmalion. Et ces derniers mois pour tout résilier en catastrophe…
Hervé Liffran et Christophe Nobili – Le canard enchainé du 25 juin 2014