Pas d’drapeaux étrangers dans MA ville ?

Nice. Le maire Christian Estrosi, interdit « l’utilisation ostentatoire de tous les drapeaux étrangers » dans sa ville, et pour toutes les nuits jusqu’à la fin de la Coupe du monde. En a-t-il vraiment le droit ?

Maintenant que l’Algérie est éliminée de la Coupe du Monde, Christian Estrosi se retrouve avec un arrêté municipal embarrassant… et un recours en justice sur les bras. Un avocat niçois vient d’attaquer l’arrêté « anti-drapeaux étrangers » émis hier par le maire de sa ville. Et en effet, la légalité de cette décision est toute relative…

C’est une décision « ultrapolitique, faite par Estrosi pour faire parler de lui », explique Marie-Anne Cohendet, professeure en droit public à l’Université Paris I Panthéon-Sorbonne. Christian Estrosi, bien que n’incriminant aucune nationalité en particulier, ne cachait pas vouloir réagir aux débordements des précédents matchs de l’Algérie. « Il n’en est pas à son coup d’essai, souvenez-vous de son arrêté sur la mendicité ». Nicolas Vital, avocat et professeur de droit public à Sciences Po, approuve : « C’est de la communication” dit-il. “M. Estrosi lance cet arrêté sans savoir s’il pourra l’appliquer ».

Car dans les termes, la mesure est extrêmement floue. « Elle ne vise pas toutes les utilisations, mais celles qui généreraient des troubles à l’ordre public », précise l’avocat, après avoir pris connaissance du texte exact de l’arrêté. « Comment un drapeau peut-il directement causer un trouble à l’ordre public? » Par ailleurs, l’interdiction vise tous les jours entre entre le 30 juin et le 13 juillet, soit le temps de la Coupe du monde. « Or il y a des jours où il n’y a pas de match », souligne-t-il. « On peut se demander ce qu’il en sera… ».

Un coup de com’ de Christian Estrosi …?

Peut-être, mais rien dans la loi ne l’empêche de le faire. « On ne peut pas interdire à quelqu’un d’interdire de porter un drapeau », explique Marie-Anne Cohendet. Pour l’instant, le maire de Nice est dans son droit. « Il a légalement le droit de prendre un arrêté pour faire respecter l’ordre public », explique-t-elle. Mais si un recours est présenté au juge administratif, l’arrêté pourra devenir illégal.

Si des citoyens décident de s’organiser pour attaquer la mesure, ou bien qu’ils se voient sanctionnés en vertu de cet arrêté, ils peuvent contester la mesure devant le tribunal administratif, en faisant un « recours pour excès de pouvoir » ou, comme dans le cas de l’avocat niçois, un référé-liberté (le juge doit se prononcer sous 48h). A ce moment-là, un juge administratif jugera a posteriori et au regard de la jurisprudence (les décisions déjà émises en droit) si l’arrêté est légal ou non. Et c’est là que pour Christian Estrosi, tout peut se compliquer.

« Probablement illégal »

Yann Aguila est conseiller d’Etat (le juge administratif suprême), avocat et professeur à Sciences Po. Pour lui, l’arrêté doit être jugé à l’aune de l’arrêt Benjamin, émis en 1933. « Il faut se poser deux questions », dit-il. « Existe-t-il une menace à l’ordre public justifiant une mesure de police? A cette première question, la réponse est sans doute positive ». Avec les récents débordements dans plusieurs villes de France, le recours à des mesures de polices (qui restreignent les libertés) peuvent être jugées nécessaires.

Mais cette première condition n’est pas suffisante pour autant. Pour qu’elle soit légale, la mesure choisie (ici, l’interdiction des drapeaux) doit aussi être « adaptée et proportionnée » à la menace à l’ordre public.

Deuxième question, donc : avec l’interdiction des drapeaux, l’atteinte aux libertés publiques n’est-elle pas excessive dans ce cas précis ?

Pour Marie-Anne Cohendet et Nicolas Vital, ça ne fait pas l’ombre d’un doute : « Il aurait été plus proportionné d’interdire les chants dans les rues, par exemple », précise l’avocat.

C’est aussi l’avis de Yann Aguila. « Il me semble qu’il s’agit d’une atteinte disproportionnée aux libertés publiques », estime le Conseiller d’Etat. Il ajoute, tout en préconisant la prudence : « C’est donc probablement – de mon point de vue – une mesure illégale ».

Laura Aronica – Les Inrocks.com Permalien