Le mauvais cocktail abstentions-résultats …

Avec le nombre indécent d’abstentionnistes et les résultats des issus des votes aux élections européennes, c’est « porte ouverte » au traité transatlantique (TAFTA) engageant demain, de grandes inquiétudes dans les chaumières. MC.

Malgré l’avertissement de nombreuses organisations et partis politiques le TAFTA reste inconnu d’une majorité de Français. Pourtant le mur du silence érigé autour de lui commence à se fissurer pour laisser place aux critiques.

Avant la campagne électorale pour les européennes, 55 % des Français ignoreraient totalement de quoi il retourne, selon l’enquête CSA réalisée auprès de 1 010 personnes entre les 14 et 16 mai derniers. Et même parmi les 44 % de sondés qui en ont entendu parler, sa notoriété reste encore chancelante : 28 % d’entre eux ne savent « pas vraiment de quoi il s’agit ». « Compte tenu de sa confidentialité relative jusqu’à ces dernières semaines, ce résultat montre que le sujet est en train de gagner en puissance au sein de l’opinion publique », note toutefois Yves-Marie Cann, directeur adjoint du pôle opinion du CSA.

Sans doute échaudés par la « concurrence libre et non faussée » qui leur a déjà été imposée à l’échelle européenne, les Français se méfient des conséquences concrètes de cette potentielle nouvelle zone de libre-échange. Selon une majorité d’entre eux, celle-ci profiterait davantage aux États-Unis (pour 63 %) et serait « plutôt une menace » pour l’Europe (45 %) et la France (50 %). La proportion est d’ailleurs plus importante parmi ceux qui ont entendu parler du traité : 76 % estiment que ce serait une chance pour les États-Unis et respectivement 52 % et 55 % pensent que le traité constitue une menace pour l’Europe et la France.

Au-delà des considérations générales, ce sont les sujets mis au grand jour à l’occasion de la campagne européenne qui fâchent le plus. D’abord, le secret qui se veut « stratégique » autour des négociations fait figure de grave problème démocratique : 70 % des personnes interrogées considèrent cette situation comme anormale. L’importation de produits alimentaires aux normes américaines (type poulets lavés à l’eau chlorée, bœufs aux hormones, OGM…) est « un vrai sujet de crispation, un casus belli » selon le responsable du CSA : 60 % des sondés estiment que ce ne serait « pas du tout acceptable » et encore 24 % que ce ne le serait « pas vraiment ». De même, la possibilité pour des entreprises d’attaquer un État devant un tribunal arbitral suscite la désapprobation de 71 % des Français interrogés. Et Yves-Marie Cann d’en conclure que « s’ancre de plus en plus l’idée dans l’esprit des Français que l’Europe est devenue le cheval de Troie de la mondialisation et de tous ses travers ». La campagne des élections européennes a en effet été l’occasion de lever un coin du voile dont la Commission européenne espérait couvrir ses négociations avec les États-Unis pour la création d’une zone de libre-échange entre les deux continents.

Les sympathisants du Front de gauche et d’Europe Écologie-les Verts (EELV), deux formations qui se sont emparées de la question, figurent parmi les mieux informés, à hauteur respectivement de 73 % et de 61 %. À l’inverse, l’électorat moins structuré du Front national – qui nationalement pousse des cris d’orfraie mais vote localement contre les résolutions qui s’opposent à la négociation du traité – est plus ignorant. 40 % en ont entendu parler. Seules les personnes interrogées « sans préférence partisane » (32 %) sont encore moins nombreuses dans ce cas. « L’électorat du FN a certes des préoccupations économiques et sociales mais son principal carburant reste les questions liées à l’immigration et à l’insécurité. Le traité n’y faisant pas écho, il a moins retenu leur attention », estime Yves-Marie Cann, directeur adjoint du département opinion du CSA. (…)

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Si, globalement, les principes affichés par les tenants de la négociation semblent largement partagés, la défiance augmente avec le degré d’information sur le traité. Ainsi, 71 % des sondés sont favorables à l’harmonisation des normes et réglementations européennes et américaines (rien n’empêche d’ailleurs dans la question d’imaginer une harmonisation par le haut). 68 % approuvent la suppression des tarifs douaniers en dépit du fait que cela pourrait grever le budget européen de 20 milliards d’euros sur les dix prochaines années, selon une évaluation de la Fondation autrichienne pour la recherche et le développement. 68 % sont d’accord pour la création d’un marché commun de 820 millions de consommateurs. Outre une inclination pour la « simplification », relevée par Yves-Marie Cann, les sondés ne sont déjà plus respectivement que 68 % (- 3), 63 % (- 5) et 65 % (- 3) à approuver chacun de ses trois objectifs parmi ceux qui ont eu vent du traité.

Une désaffection largement accentuée parmi les sympathisants du Front de gauche (jusqu’à 57 % d’opposants à la suppression des tarifs douaniers) et d’EELV (45 % d’opposants à l’harmonisation des normes). Au-delà de « thèmes mobilisateurs » au sein de ces formations, ces électorats sont aussi ceux les plus informés, rappelle le spécialiste du CSA. Conclusion : « Être mieux informé des différentes opportunités ou des différents risques que peut présenter ce traité se traduit aujourd’hui par des opinions nettement plus critiques que dans le reste de la population. » Un processus qui n’est pas sans rappeler le phénomène autour du non au traité constitutionnel européen en 2005 où, à mesure de la prise de connaissance de son contenu libéral et antidémocratique, l’opposition grandissait. « On peut faire un parallèle en termes de mécanisme d’appropriation par le grand public de ces traités. Sous l’effet du débat public argumenté, on a vu en 2005 le rapport de forces évoluer et se cristalliser sur le résultat qu’on connaît tous (la victoire du non au référendum de mai 2005 – NDLR) », estime Yves-Marie Cann.

« Aujourd’ hui, ce qui inquiète les gens à juste titre, c’ est que l’ on ne sait pas sur quoi on négocie ni pour aboutir à quoi. Cela nourrit toutes les inquiétudes. »

N’en déplaise à ceux qui avaient déjà fait de l’ignorance de ses opposants un thème de campagne pour le oui en 2005, l’opinion la plus éclairée s’avère bel et bien la plus opposée à ce qui se trame. (…)

Julia Hamlaoui, Adrien Rouchaleou et Lionel Venturini – Extraits, Huma quotidien du 21 mai 2014 – Permalien