André Chassaigne dépasse la polémique et, en rappelant l’histoire récente du démantèlement de l’industrie française, plaide pour remettre salariés et citoyens au cœur du dispositif, en leur donnant des pouvoirs décisionnels et en leur laissant le choix d’un développement différent.
L’idée que l’État est par définition moins efficace qu’une entreprise privée est un présupposé libéral répandu qui ne repose sur aucun argument économique solide. Rien n’indique que créer les conditions économiques d’une concurrence pure et parfaite en écartant l’État, les administrations publiques ou les règles du marché du travail, garantisse une meilleure allocation des ressources. Les politiques de dérégulation et de privatisation conduites ces 30 dernières années en France, en Europe et dans le monde en sont un parfait exemple. Le passage du public au privé s’est traduit dans notre pays par le démantèlement de nos grands fleurons industriels.
La rentabilité financière étant devenue le critère de gestion exclusif de ces entreprises, les segments de production qui ne génèrent pas de profits immédiats ont été progressivement éliminés, les investissements en recherche et développement délaissés au profit d’investissements de croissance externe et de domination sur les marchés. La pression sur les salariés s’est également accentuée. Au prétexte d’une plus grande efficacité économique, nous avons perdu 750.000 emplois dans le secteur industriel en 10 ans et déplorons une stagnation durable des salaires et une chute vertigineuse des recettes fiscales et sociales. Quod erat demonstrandum…
Aujourd’hui, revient dans le débat au sujet d’Alstom l’idée de « nationalisation provisoire ». Mais que signifie ce concept? Pour le ministre Arnaud Montebourg et quelques autres, cela signifie le transfert temporaire des titres de propriété de l’entreprise à l’État. Dans le cas d’Alstom, l’État solliciterait son agence de participation pour acheter des actions du groupe afin de peser sur ses décisions… de vente. À savoir, choisir entre un groupe américain ou un groupe allemand. Cette proposition n’est pas à la hauteur des enjeux: la question n’est pas de savoir à qui vendre le groupe, mais en quoi il est un outil du développement industriel national favorable à l’emploi et au développement des territoires.
La question de fond est moins de savoir qui détiendra la propriété du capital que de définir quelle politique de gestion et quels objectifs économiques et sociaux nous poursuivons. Que vaudrait, pour l’avenir d’Alstom et de ses emplois, une maîtrise publique de l’entreprise si celle-ci reste soumise aux seuls critères de rentabilité financière imposés par les marchés?
Mettons plutôt l’accent sur l’idée d’appropriation sociale de l’outil de production, sur les pouvoirs d’intervention des salariés et des citoyens, et sur la mise en œuvre de dispositifs de financement des entreprises permettant de contourner l’obstacle du financement sur les marchés.
Nous ne devons pas nous enfermer dans un débat sur le « périmètre des nationalisations » mais nous interroger plus profondément sur le rôle des entreprises publiques. Elles doivent être les locomotives d’un nouveau type de croissance et de développement, et des instruments de coopération. Les entreprises publiques pourraient ainsi jouer un rôle moteur en matière de démocratie sociale, en confiant de véritables pouvoirs décisionnels aux salariés et à leurs représentants, afin qu’ils pèsent sur les choix de gestion. Elles pourraient également contribuer, à rebours des logiques de rentabilité financière, à réorienter le capital vers la création de valeur ajoutée pour les travailleurs et la population en privilégiant l’emploi, la formation, la recherche, l’amélioration des conditions de travail.
L’accroissement du chômage et de la précarité, l’insuffisance des débouchés et les surcapacités de production matérielle sont aujourd’hui autant de facteurs d’exacerbation de la concurrence et du moins-disant social, de dégradation de l’environnement et des conditions d’existence. Rompre avec ce cercle vicieux exige de faire reculer, graduellement mais effectivement, la domination des multinationales. Les nationalisations peuvent y contribuer. Elles sont l’un des instruments disponibles pour, d’une part, relever les défis du progrès social et de la transition écologique, d’autre part, favoriser la coopération à l’échelle européenne et internationale, contre les logiques mortifères de la concurrence.
A. Chassaigne – Paru dans HD N°21420