Mettre en compétition les collectivités locales …

Fusions, absorptions, rationalisation et rentabilité sont les maîtres mots d’une réforme territoriale qui revient sur des votes, parfois récents, de la gauche.

Tuer le « millefeuille territorial » : réduire de moitié du nombre des Régions dès 2017, la refonte de la carte des intercommunalités au 1er janvier 2018, la stricte clarification des compétences entre Régions et départements, et pour finir la suppression des conseils départementaux en 2021. Valls a la méthode radicale a créé un « big-bang » territorial.

Le socialiste Claudy Lebreton, président de l’Assemblée des départements de France (ADF), s’est aussitôt dit « abasourdi ». Il dénonce une absence de concertation démocratique à l’identique de celle qui prévaut dans le dialogue social : le chef de l’exécutif ouvre un débat après avoir annoncé quelle en sera la conclusion. Le « big-bang » de Manuel Valls se contente pour l’essentiel de reprendre des idées qui figurent parmi les recommandations de la Commission européenne.

La diminution du nombre des Régions

En février 2009, le Comité de réforme des collectivités locales présidé par Édouard Balladur avait préconisé de ramener leur nombre de 22 à 15, mais Nicolas Sarkozy n’avait pas donné suite à cet aspect de son rapport.

La modification de la carte des intercommunalités

Depuis leur création en 2001, cette carte est en perpétuelle évolution et le nombre des intercommunalités a commencé à diminuer. Pas assez au goût de l’exécutif, qui souhaite les regrouper sur « des bassins de vie », une notion aussi floue qu’extensive, car dépourvue de fondement juridique.

La suppression des conseils départementaux

Véritable serpent de mer de la politique française depuis une quinzaine d’années, cette mesure envisagée notamment par Alain Juppé avait été écartée par François Hollande lors de ses vœux aux Corréziens. Dans la foulée, Marylise Lebranchu avait assuré, devant des présidents de conseil général, que « les départements sont un pilier de l’organisation territoriale ». Après l’enterrement de la réforme de Nicolas Sarkozy, qui, avec la création du conseiller territorial, organisait l’absorption du département par les Régions, l’ADF ne s’attendait pas à entendre Manuel Valls programmer la mort de l’échelon départemental. Reste une question de taille : qui récupérera les compétences des départements ?

Il y a là un problème, a admis Marylise Lebranchu sur France Inter, le 10 avril. La ministre ne souhaite pas que le financement du RSA, dont 3 milliards d’euros incombent aux départements, « repose sur l’impôt sur le revenu, qui touche davantage les classes moyennes que l’impôt local, qui est mieux réparti » (sic). Effectivement, les pauvres paient la taxe d’habitation, que la gauche juge inégalitaire.

La suppression de la clause de compétence générale

Cette clause, qui permet à une collectivité – Région, département, commune – d’intervenir dans tous les domaines qu’elle juge nécessaires dès lors qu’ils relèvent de son territoire, offre aux élus une grande latitude d’action. Le plus souvent pour répondre à des demandes spécifiques (tourisme, culture, intervention économique…) de leurs électeurs, parfois aussi pour satisfaire leurs lubies. Entre 1995 et 2001, l’existence de cette clause avait autorisé la Région et les départements dont relevaient les mairies FN à venir en aides aux associations sociales et culturelles que les maires frontistes, mus par un intérêt partisan, ne voulaient plus subventionner.

Attaquée par la droite, la clause de compétence générale était jusqu’ici défendue par la gauche. Cette clause permet de cofinancer « de nombreux projets locaux » et, « en multipliant les financeurs potentiels, de démultiplier la possibilité d’investissements productifs ». Finalement, ce « big-bang » consiste surtout à fixer un calendrier à des réformes dont le principal objectif est la création de territoires compétitifs. La logique de rentabilité qui les motive augure mal d’une solidarité avec les territoires qui ne joueront pas dans la cour des grands.

Michel Soudais Article paru dans Politis n° 1299

Couv du 1299°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°

La culture en sursis

« On est morts. » Tel est le commentaire lapidaire laissé par Étienne Bernard, directeur du centre d’art contemporain brestois Passerelle, sur Facebook, au soir du discours de politique générale de Valls. Façon « excessive », reconnaît-il quelques jours plus tard, de traduire son désarroi face à l’annonce du Premier ministre de supprimer la clause de compétence générale.

Il y a bien sûr l’angoisse budgétaire : dans le secteur culturel, où règne le système des « financements croisés » – un même projet est soutenu par différents bailleurs –, interdire à un conseil général de financer en « extra » la tournée estivale d’un groupe de pop ou un centre d’art comme Passerelle (qui reçoit ses subsides de la métropole, du département, de la Région et de l’État) pourrait se révéler ravageur. « Réduire l’éventail des financeurs locaux serait une folie alors que l’État se désengage de plus en plus », souligne Francis Parny, ex-vice-président Culture en Île-de-France, qui estime impossible une suppression pure et simple de la clause « tant les choses sont enchevêtrées ».

Au-delà des transferts de crédits, c’est toute la mécanique de décentralisation qui s’en trouverait grippée : « Imaginez si la tutelle départementale, qui nous incite à faire venir les écoliers de tout le Finistère pour visiter notre centre, disparaissait… Ce serait une atteinte aux services publics ! Déjà qu’on nous reproche d’être hors-sol, élitistes », explique Étienne Bernard. « On reviendrait de fait à une logique jacobine, poursuit-il, mais sans volonté politique de re-centraliser vraiment. » Il n’y aurait rien de pire.

Pauline Graulle – Politis – cf ref. que ci-dessus

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“Diviser le nombre de régions n’a de sens que si des compétences sont transférées”

La réduction de moitié du nombre des régions ne peut être envisagée qu’à condition de les doter de compétences supplémentaires, estime Philippe Richert, président du conseil régional UMP d’Alsace. Le seul président de région de droite juge que les projets du gouvernement ne répondent pas aux enjeux actuels.

Le gouvernement veut diviser par deux le nombre de régions. Est-ce souhaitable ?

Aborder le sujet de la nécessaire avancée de la décentralisation par le seul paradigme de la fusion des régions n’a pas de sens. Il faut que la France se décentralise parce que la décentralisation est un atout pour rendre l’action publique plus efficace, plus rapide et plus proche des attentes des usagers. Elle est une condition indispensable pour que notre pays puisse se réformer. Dans ce cadre, il est souhaitable que les régions et les grandes agglomérations puissent jouer un rôle plus important dans les décennies qui viennent. Cela signifie qu’il faudra transférer de nouvelles compétences de l’État avec des moyens correspondant, car l’État a trop souvent transféré des compétences en gardant des “morceaux”, ce qui a conduit à l’accumulation de strates qui aujourd’hui se superposent. Pour résumer : oui à la réflexion autour de régions de tailles plus importantes, mais cette réflexion ne peut être menée que si la question des compétences est abordée simultanément.

Le second projet de loi de décentralisation, qui doit être présenté très prochainement en Conseil des ministres, répond-il à vos attentes ?

Le texte déposé au Conseil d’État répond en partie à la clarification entre conseils généraux et conseils régionaux. Mais seulement en partie, car il évoque principalement le domaine des transports sans rien dire ou presque des autres sujets majeurs. Les régions sont les premières partenaires des PME-PMI. La région Alsace traite environ 1 000 dossiers de partenariats avec les entreprises par an. Pourtant, l’État et les autres collectivités continuent de jouer un rôle. Le constat est le même pour l’emploi : la région forme les personnes sans emploi en parallèle à certaines interventions de Pôle emploi et des services de l’État. Pourquoi Pôle emploi ne rejoint-il pas la sphère régionale ?

La politique de l’emploi ne doit-elle pas être définie au plan national ?

Elle peut en effet être définie au plan national mais se décliner dans les régions via les politiques menées par les conseils régionaux. Emploi, intervention auprès des entreprises : si ces compétences – et je peux en citer d’autres ! – ne nous reviennent pas, alors la réforme du gouvernement n’aura que peu d’effet sur le renforcement de l’efficacité de l’action publique. Le projet de loi n’est donc pas une réponse aux enjeux actuels.

L’Association des régions de France estime que le projet de loi du gouvernement ne tient pas compte de ses propositions. Que demandez-vous à Manuel Valls ?

Si l’on veut avancer, les régions doivent pouvoir échanger avec le Premier ministre. Il ne peut pas rester dans son coin sans nous consulter. Les premiers concernés sont les présidents de région, c’est donc avec eux qu’il faut travailler. J’attends que l’on puisse avoir une nouvelle rencontre dans les meilleurs délais. Nous devons être davantage associés. C’est d’autant plus nécessaire que le gouvernement semble changer d’orientation tous les mois ou presque en matière de décentralisation…

Le patron de l’UMP, Jean-François Copé, estime que la division par deux du nombre des régions créera un “État fédéral”…

Soyons clairs : un pays devient fédéral lorsque la compétence de faire des lois est partagée. Le texte du gouvernement ne prévoit pas la compétence législative, ce n’est donc pas un État fédéral qui se prépare. J’ai par ailleurs entendu Jean-François Copé se prononcer en faveur de la suppression des conseils généraux. Je le souhaite si cela s’opère au bénéfice du renforcement des régions.

Vous aviez œuvré à la fusion des deux conseils généraux et du conseil régional d’Alsace au sein d’une entité unique. Un projet rejeté, au printemps 2013, lorsque les Alsaciens ont été consultés. Cela veut-il dire que le référendum est une menace sur l’avancée des projets de décentralisation ?

La question ne peut pas être posée ainsi. Lorsque les régions ont été créées, cela s’est fait par la voie parlementaire. C’est au Parlement de définir les périmètres des régions. Concernant le projet de fusion des départements et de la région alsacienne, je rappelle qu’il a été voté à 58 % par les Alsaciens, mais les règles étaient tellement compliquées qu’il n’a pas pu aboutir. Il fallait que le pourcentage de “oui” représente au minimum 25 % des inscrits dans chaque département, ce qui supposait un taux de participation très élevé. Si l’on devait appliquer ces mêmes principes aux élections législatives, beaucoup de parlementaires ne seraient pas élus aujourd’hui…

Le second projet de loi de décentralisation prévoit le transfert des transports interurbains aux régions. Qu’en pensez-vous ?

Cela donne plus de cohérence aux politiques de transports, mais ce n’est pas suffisant. Je ne peux pas soutenir un projet aboutissant à des régions élargies si la seule évolution notable concerne les transports. D’autres transferts de compétences doivent être organisés.

Certains conseils régionaux sont entrés en guerre contre la SNCF en suspendant leurs dotations. Êtes-vous sur la même ligne ?

Nous avons des discussions parfois âpres au niveau financier avec la SNCF, mais globalement, nos échanges sont satisfaisants et l’organisation des transports fonctionne bien. Le taux de régularité des trains est ainsi supérieur à 96 %. Certains points doivent toutefois être améliorés, notamment ceux qui sont liés à un manque de transparence sur les dotations annuelles versées par la région à la SNCF via nos conventions. Nous n’avons pas connaissance des éléments de calcul financier. Cette opacité n’est pas de bon augure pour instaurer un partenariat s’établissant dans la confiance réciproque. Je pense notamment à la structure Gares et connexions [la branche de la SNCF chargée de rénover et de développer les 3 000 gares ferroviaires du réseau, ndlr], qui fonctionne de manière archaïque. Ce qu’elle nous réclame pour certaines maîtrises d’ouvrage est ahurissant. Gares et connexions est beaucoup trop chère et pas assez efficace.

Que pensez-vous de la nouvelle Association d’études sur le matériel roulant, chargée de réfléchir à une nouvelle organisation en matière d’acquisition et de maintenance des transports régionaux ?

On peut aisément regretter que les régions ne soient pas propriétaires du matériel qu’elles payent entièrement, mais elles s’y retrouvent par la suite. Ce qui est important, c’est que la SNCF soit davantage transparente et efficace. Elle doit évoluer. On ne peut pas rester sur des schémas de transports régionaux similaires à ceux que nous connaissions voilà dix ou quinze ans.

Sylvain Henry – Acteurs Publics – Permalien