L’ IVG : Une dissension morale autant que politique.

Entre les tenants du droit individuel inaliénable et ceux de l’État tout-puissant, les pays de l’UE sont divisés sur le libre accès à L’avortement.

Difficile d’imaginer une Union européenne plus désunie que sur l’avortement. Il y a ceux qui l’interdisent plus ou moins complètement (Chypre et Malte).

Ceux qui en restreignent très fortement l’accès, (la Pologne ou l’Irlande). Ceux, enfin, qui posent en principe le libre accès à l’avortement avec plus ou moins de contraintes.

Dans ce camp-là, on trouve tous les pays scandinaves mais aussi la France, le Portugal, l’Italie et, parmi les plus libéraux, la Grande-Bretagne, les Pays-Bas et, jusqu’à cette fameuse proposition de loi, l’Espagne. En fait, si l’Europe est si désunie, c’est parce l’avortement est au cœur de deux conceptions radicalement opposées de la liberté individuelle, du rôle de l’état et de son champ d’intervention.

En caricaturant à peine, on dira que s’oppose sur ce sujet l’Europe du contrat à celle de la toute-puissance publique. Dans les pays du contrat, c’est le droit individuel, inaliénable, qui prévaut. Les femmes n’ont de comptes à rendre à personne d’autre qu’à elles-mêmes pour tout ce qui touche à leur corps. L’état n’intervient que pour rendre leur décision souveraine plus confortable : remboursement, équipements médicaux, conseils.

Dans les pays

– majoritaires – où l’état, la collectivité, prennent le pas sur les libertés individuelles, la loi autorise l’avortement dans la plupart des cas. Mais l’état n’abandonne jamais ou difficilement son droit de regard ou de contrainte. Dans ces pays, le nombre de semaines au-delà duquel l’avortement est ou non légal varie de 10 à 14, voire 22, et l’encadrement médical est plus ou moins prégnant, allant du simple certificat à des commissions de médecins.

En France, ta contrainte médicale – visite, temps de réflexion obligatoire est encore très forte.

Si forte qu’entre 4000 et 5000 Françaises font chaque année le voyage aux Pays-Bas, en Grande-Bretagne ou… en Espagne. Car dans tout raisonnement (pays de contrat, pays d’état fort), il y a une exception. L’Espagne est celle-là. C’est à la fois un pays où l’état voudrait être fort (n’a-t-il pas été modelé par les Bourbons?) et ne peut jamais l’être tout à fait. A cause, notamment des particularismes régionaux.

La seule possibilité pour l’état espagnol d’exercer sa puissance, et de montrer son utilité, c’est de peser sur les questions de société. Dans les années 70-80, l’Espagne a adopté des lois parmi les plus libérales d’Europe sur les prisons, les drogues, l’avortement et plus récemment sur le mariage gay. Des lois inspirées par une gauche qui se vengeait de quarante années de franquisme. Aujourd’hui, quarante autres années ont passé depuis la mort du Caudillo et la droite espagnole veut elle aussi sa revanche et donc peser sur les « questions de société ».

Le gouvernement de Mariano Rajoy a essayé de revenir sur le mariage gay, mais la Cour constitutionnelle l’en a empêché. C’est donc l’avortement qui est victime de cette guerre culturelle à l’espagnole. Une guerre entre « illustrés » et « espagnolistes » qui dure depuis trois cents ans, qui a déchiré le pays pendant tout le XIXe et le XXe siècle et s’est traduit par une guerre civile. Une guerre qui, visiblement, ne connaît pas d’armistice.

Anthony Bellanger – Inrocks N°948