La France perd son sang et ses dirigeants font des moulinets autour du thème du « redressement productif ». L’Europe est un sujet de dissertation, mais ne protège ni nos atouts industriels ou agricoles, ni le travail et l’emploi. Bien au contraire, l’austérité qui s’y déploie partout conduit à la récession. (…)
Au cours d’une réunion-conférence, préparatoire aux élections européennes du 25 mai à laquelle je participais la semaine dernière, la plupart des spécialistes et députés européens présents, accordaient comme mérite à l’actuelle Union européenne, celui de lui permettre de faire face dans la mondialisation, chacun évitant évidemment de la qualifier. Or, elle est financiarisée et capitaliste, la construction européenne visant d’abord à s’adapter à cet état de fait, considéré comme indépassable.
Tout le pouvoir a donc été donné aux rapaces du capital, aux fonds financiers et aux multinationales, avec comme principe de base le « marché ouvert où la concurrence est libre ». Le rempart promis au départ est ainsi devenu une passoire qui toujours favorise les plus puissants dans chaque pays, au détriment des populations, du développement harmonieux des capacités de production industrielles et agricoles. Au détriment aussi de la préservation de la planète.
Nous en avons eu de multiples preuves ces dernières semaines avec la braderie de Justin Bridou et Aoste, Cochonnou à des groupes chinois et américain, Publicis Omnicom happé par un groupe nord-américain, le groupe automobile PSA avalé par le chinois Dongffeng, Lafarge passé sous le pavillon suisse Holcium.
Et voici qu’en se réveillant un beau matin, l’agence de presse financière américaine, Bloomberg, fait découvrir un raid nocturne et guerrier sur l’un de nos fleurons français dans la construction du transport et de l’énergie. Subitement, l’action Alstom est montée en flèche, à tel point qu’il a fallu suspendre sa cotation en bourse. Pilier de l’industrie française, ce groupe fabrique les TGV que le monde entier envie, les turbines et autres engins de haute technologie que recherchent, à travers le monde, les fournisseurs d’énergie, dans la diversité de ses sources. La seule progression de la population mondiale garantit à ce secteur des perspectives de développement considérables qui suscitent les convoitises actuelles. (…)
Comment ce qui serait bon pour les Américains ou les Allemands ne le serait plus pour la France ou l’Europe ? Ceci au moment même où nous avons un effort exceptionnel à déployer pour combiner développement économique et humain avec transition écologique. En effet, le matériel pour le transport de demain, les nouveaux outils tels que de nouvelles générations d’éoliennes, les hydroliennes, les équipements nouveaux pour les centrales électriques de l’avenir passent par Alstom. Ce groupe est donc stratégique. En ce sens, il touche à notre indépendance nationale au moins autant que la réduction des déficits dont on nous rebat les oreilles.
Le gouvernement ne doit pas rechercher une combinaison la « moins mauvaise » qui nous le ferait perdre, mais devrait mobiliser les capitaux indispensables, avec la Caisse des dépôts, la Banque centrale européenne ou d’autres alliances, dans les secteurs de l’énergie et des transports, pour le renforcer et le développer. Son besoin de financement est de 3 à 4 milliards d’euros. Comment ne pourrait-on pas trouver une telle somme dans les filiales des banques, logées dans les paradis fiscaux ?
(…) S’agissant d’un enjeu aussi décisif, l’Etat doit prendre, en appui des élus, des salariés et des populations, toutes ses responsabilités, jusqu’à une appropriation publique, sociale et démocratique – nationalisation d’un type nouveau- qui devrait combiner l’apport de nouveaux financements, avec celui de crédits publics à taux d’intérêts nuls pour une relance de l’activité, de la recherche, de l’emploi et des formations nécessaires. Il peut aussi inciter à rechercher une solution européenne qui pourrait être un partenariat mutuellement avantageux entre Siemens et Alstom, cosigné par une autorité publique européenne, coordonnant et impulsant un pôle transport et énergie, en lien avec d’autres groupes européens.
(…) Au-delà, cet exemple nous montre à quel point la solution pour la survie et le développement d’Alstom n’est pas la politique dite de « l’offre » du gouvernement Hollande – Valls, mais celle de la relance de l’activité économique et de l’incitation à préparer la transition écologique qui nécessiterait d’investir dans la recherche de nouvelles machines. Ceci implique de cesser partout de compresser les budgets publics pour les investissements d’avenir.
Ces enjeux devraient être au cœur de la préparation des élections européennes du 25 mai prochain. Ils n’y viendront pas tout seuls d’où la responsabilité essentielles pour y contribuer de celles et ceux qui considèrent que les listes du Front de gauche sont porteuses d’espoir, ici et en Europe.
Soit une Union européenne avec « un marché ouvert où la concurrence est libre »,
- soit une Union des nations et des peuples, solidaires et souverains, défendant non seulement ses atouts industriels mais se projetant dans un nouvel avenir avec une vraie politique industrielles, liée aux enjeux sociaux et écologiques de notre époque.
- Soit une Union européenne se fondant et disparaissant dans le grand marché unique capitaliste, avec le projet de grand marché transatlantique, soit une union coopérative et solidaire, résistant et transformant la mondialisation capitaliste.
Telles sont les alternatives dont personne n’a l’illusion qu’elles pourront être tranchées définitivement le 25 mai prochain mais en ayant à l’esprit qu’ils peuvent être des millions, de sensibilités diverses de la gauche et de l’écologie politique, à utiliser du bulletin de vote du Front de gauche pour engager le pays et l’Union européenne dans une nouvelle voie.
Patrick Le Hyaric Député Européen – Permalien
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Autre vision :
L’Europe, remède ou poison
Le 25 mai prochain se tiendront les élections européennes. En France comme ailleurs, on redoute une abstention massive et une poussée des partis les plus hostiles à la construction européenne. Pourtant, qu’on observe les enjeux énergétiques (comme Vladimir Poutine nous le rappelle actuellement), les enjeux climatiques (qui vont dominer le siècle) ou les enjeux technologiques, financiers, géopolitiques…, aucun pays d’Europe ne pourra tirer son épingle du jeu au XXIe siècle s’il reste isolé. Même l’Allemagne.
Une concurrence exacerbée
L’Europe est plus nécessaire que jamais et pourtant elle n’a jamais suscité autant de défiance. Comment en est-on arrivé là ? Les pères fondateurs, redoutant des résistances trop importantes, avaient choisi de construire l’Europe comme un grand marché. Leur idée était simple : faisons des affaires ensemble, notre interdépendance économique croissante nous amènera automatiquement à vouloir davantage d’intégration politique.
Seulement voilà : ce grand marché était – logiquement – construit autour du primat de la concurrence. Concurrence commerciale certes, mais aussi concurrence fiscale, sociale, monétaire (avant l’euro). Mais cette concurrence exacerbée n’est pas favorable à l’activité économique, car elle incite chacun à réduire les coûts chez lui pour exporter chez les voisins. Or quand tout le monde le fait, l’Europe est nécessairement perdante. C’est la raison pour laquelle le projet européen avait déjà perdu de son lustre avant l’euro.
Paradoxalement, la monnaie unique marque une rupture par rapport à cette logique libérale d’Europe-marché : c’est en effet la première fois qu’on réussit à transférer à l’échelon européen un élément majeur de souveraineté nationale.
Avec des effets positifs, et notamment une baisse sensible des taux d’intérêt pour les Français. Seulement ce saut ne s’est pas accompagné d’une intégration et d’une solidarité suffisantes pour construire un ensemble viable. Ce sont ces carences dont nous payons lourdement le prix depuis 2009. Plusieurs d’entre elles ont cependant été corrigées à la faveur de la crise, même si cela a été le plus souvent sur le mode du « trop peu, trop tard ».
Mais le leadership incontesté du gouvernement d’Angela Merkel a imposé, en contrepartie de cette solidarité accrue, une politique déflationniste à toute l’Europe. Une politique qui peut éventuellement convenir à un pays, mais pas à l’ensemble d’un continent. Car, à la clef, il y a explosion du chômage et recul des revenus des Européens.
C’est pourquoi, malgré les progrès indéniables accomplis en matière de solidarité, l’euro et la construction européenne restent à la fois si fragiles et si impopulaires. L’Europe peut-elle encore se réformer suffisamment pour faire reculer rapidement le chômage ? Il faut le souhaiter, car l’alternative n’a absolument rien d’attrayant. Mais l’ampleur des dégâts causés par la crise rend le pari difficile à gagner.
Guillaume Duval Alternatives Economiques n° 335 – mai 2014 Permalien Sommaire du numéro