Après la baisse sans précédent des cotisations sociales, les patrons voudraient sabrer dans les salaires. À commencer par le SMIC. Pierre Gattaz (MEDEF) n’hésite pas et réclame un SMIC au rabais pour les jeunes. Le gouvernement s’insurge et prétend qu’il n’est pas question de toucher au salaire minimum… Mais qu’il ne faut surtout pas augmenter les salaires.
Vous avez dit jeu de rôle ?
Pourquoi cette offensive?
En quelques jours, le SMIC s’est retrouvé au coeur de l’actualité. L’attaque commence dès le 2 avril, avec une sortie remarquée de Pascal Lamy, ancien directeur de l’OMC, qui recommande de payer certains « boulots » en dessous du salaire minimum. Le lendemain, l’économiste Élie Cohen déclare sur RTL que le SMIC est un « frein à l’emploi ». Avec deux autres anciens proches conseillers du candidat François Hollande, il vient de sortir un livre ultralibéral, « Changer de modèle ». Les trois compères sont d’ailleurs invités par le président le 15 avril. Le jour même, le patron du MEDEF, Pierre Gattaz, met sur la table l’idée de « SMIC transitoire », c’est-à-dire d’un SMIC au rabais pour les jeunes. (…)
Après avoir obtenu un cadeau fiscal (10 milliards d’euros de baisse de cotisations sociales et au moins 8,5 milliards de réduction d’impôts d’ici à 2017), le MEDEF passe la vitesse supérieure: ce sont désormais les salaires eux-mêmes qui sont dans le collimateur. (…)
Les jeunes « coûtent »-ils trop cher?
Évidemment, non. Il existe déjà de nombreux dispositifs visant à alléger le « coût » du travail du jeune embauché. Aujourd’hui, les travailleurs de 17 ans ne touchent que 90 % du salaire minimum, et les moins de 17 ans, 80 % : bref, le SMIC jeune existe déjà! Les employeurs peuvent en outre s’appuyer sur les dernières mesures gouvernementales. Les patrons qui embauchent un jeune dans le cadre des emplois d’avenir, mesure phare de François Hollande, se voient attribuer une aide équivalente à 35 % du SMIC brut, soit 505,88 euros à temps plein. Par ailleurs, les entreprises de plus de 11 salariés bénéficient d’une exonération de certaines cotisations sociales (assurances sociales et allocations familiales) si elles prennent un jeune en alternance. Il ne faut pas oublier non plus que les patrons disposent d’une armée de stagiaires, soit 1,6 million de jeunes sous-payés et corvéables à merci. Et que si la rémunération du stagiaire ne dépasse pas la maigre gratification minimale de 436 euros par mois, le patron est exonéré de cotisations sociales. Difficile dans ces conditions de prendre au sérieux les sanglots du MEDEF…
Le smic est-il trop élevé?
Non, répond l’IRES (Institut des recherches économiques et sociales), qui a mesuré précisément le rapport entre le « coût » du smicard et sa productivité horaire (1). Depuis 1970, ce ratio a chuté de 20 %, sous l’effet des politiques libérales menées à partir des années 1980. Conclusion: en 40 ans, un salarié au SMIC n’a jamais coûté aussi peu cher à l’entreprise. (…)
La Grèce a baissé son SMIC de 200 euros (à 680 euros), ce qui n’a pas empêché le taux de chômage de dépasser les 27 %. Mêmes résultats en Espagne ou au Portugal, dont les taux de chômage atteignaient respectivement 26,7 % et 15,7 % fin 2013.
Augmenter le smic, un séisme?
Augmenter le SMIC, ce serait massacrer l’emploi. En mai 1968, le salaire minimum (SMIG à l’époque) a pourtant augmenté de 33 % (inflation déduite) sans provoquer de catastrophe! Mais, des économistes libéraux assènent qu’une hausse du SMIC de 1 %, détruirait 15.000 à 25.000 emplois (Francis Kramarz), voire 30.000 à 40.000 (Pierre Cahuc et Stéphane Carcillo). Pour l’essentiel, ce serait des emplois peu qualifiés rémunérés autour du salaire minimum. Comment arrivent-ils à ces conclusions?
En inversant leur raisonnement préféré sur les bienfaits des exonérations de cotisations sociales sur les bas salaires: puisque ces exonérations stimulent les créations d’emploi, cela prouve l’impact du « coût » du travail sur les chances d’embauche de ces salariés peu qualifiés. Le miracle dû à la baisse n’ayant jamais été démontré, le séisme dû à la hausse ne l’est pas plus. Quant à la pseudo-catastrophe pour la compétitivité, rappelons que cinq salariés payés au SMIC sur six travaillent dans des secteurs qui n’exportent pas (commerce, nettoyage, aide à la personne…). Et qu’une hausse du SMIC a très peu de répercussion sur l’ensemble des salaires (2).
Comment sortir de la crise?
Les libéraux se cramponnent à leur dogme: la croissance ne naît pas de la demande, mais de l’offre, martèlent-ils (…). L’OFCE (Observatoire français des conjonctures économiques) a évalué que la rigueur avait coûté à la France 0,7 % de croissance dès 2010, puis 1,5 et 2 points les années suivantes (3). (…)
Cyprien Boganda HD-Extrait. N°21407-24 avril 2014
- « La France du travail », ouvrage collectif, éditions de l’Atelier, 2009.
- Une hausse de 1 % induit au plus une hausse moyenne de l’ensemble des salaires de 0,1 %.
- Revue de l’OFCE. « Analyses et prévisions »,130(2013).
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REPÈRES
19 MILLIONS DE PERSONNES touchaient le SMIC au 1 er janvier 2013,
soit 12 % des salariés.
1.445,38 EUROS c’est le montant du SMIC mensuel brut, soit 1.120 euros net.
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Autre version Alternatives Économiques – Denis Clerc – vu sur le Web, Permalien
Oui au Smic “allégé” ! Mais sous conditions
L’auteur de l’article est un ferme partisan du Smic. Car dit-il s’agit d’une voiture balai dont le principal mérite a été d’empêcher que les inégalités se creusent par le bas. Certes, ceux qui sont payés à ce niveau trouvent non sans raison que cela ne suffit pas pour vivre décemment, au moins dans les grandes agglomérations. Mais, si le Smic n’existait pas, trois millions de travailleurs seraient encore moins payés qu’ils ne le sont. Certes, le Smic ne règle pas tous les problèmes de cohésion sociale, puisque les inégalités et la pauvreté progressent dans notre pays. Cependant, il a permis longtemps que la France soit un pays moins inégalitaire que ceux qui jurent surtout par le marché.
Pourtant, contre l’opinion de la plupart de mes amis économistes, (…) je suis partisan d’un Smic jeune, encadré par certaines conditionnalités. (…)
La source de ma réflexion est un constat
Le taux de chômage élevé des jeunes, aux alentours de 25 %. Sauf que ce chiffre ne veut rien dire, comme le montrent à l’évidence les résultats de la dernière enquête « Génération » du CEREQ à partir d’un panel de jeunes ayant terminé ou abandonné leur parcours initial de formation en 2010. Que faisaient-ils en juillet 2013 ? Cela dépend essentiellement de leur formation : 41 % des sans diplôme étaient en emploi en France métropolitaine, 48 % au chômage et 11 % inactifs. Quant aux bac + 2 ou plus, 84 % étaient en emploi, 10 % au chômage et 6 % inactifs.
A cause de la crise ?
En partie, puisque, pour la génération sortie du système éducatif en 2004 et interrogée en juillet 2007 (donc avant la crise), 57 % des non diplômés étaient en emploi contre 88 % des bac+2. On constate donc bien que la crise a accentué la proportion de ceux qui ne sont pas en emploi, pour les diplômés comme pour les autres. Mais on constate aussi que, même avant qu’elle ne se déclenche, l’écart entre les uns et les autres était considérable. En gros, avant la crise, le non emploi (chômage ou inactivité) concernait déjà près d’1 non-diplômé sur 2, et à peine plus d’un diplômé du supérieur sur 10. Bref, il y a quelque chose de massivement structurel dans le non-emploi des non-diplômés, et la crise, si elle en rajoute une couche, n’est pas la principale responsable.
Alors quoi ?
(…) En 2012, l’économie française (hors DOM) comptait 3,7 millions d’emplois salariés de plus que 30 ans auparavant. Mais, sur ce total, les emplois classés comme « non qualifiés » (chez les ouvriers ou les employés) ont diminué de 100 000, alors que les emplois qualifiés (chez les ouvriers, les professions intermédiaires et les cadres ou professions intellectuelles supérieures) ont progressé de 3,8 millions. Or ces emplois qualifiés supplémentaires sont pourvus essentiellement, voire totalement, par des diplômés.
Les non diplômés, eux, ont au contraire vu le nombre d’emplois qui leur étaient accessibles se réduire comme peau de chagrin. Résultat : un sur-chômage massif pour les 120 000 jeunes qui, chaque année, sortent de l’école sans diplôme. (…) En 2012 (dernière année connue), 88 % des jeunes chômeurs de 15 à 24 ans ayant une catégorie socioprofessionnelle connue (donc ayant déjà travaillé) étaient employés ou ouvriers : une majorité d’entre eux étaient sans doute non-diplômés. Notre marché du travail monte en gamme, et les non-diplômés (pas seulement les jeunes, hélas) en payent les conséquences.
Quel rapport avec le Smic ?
Il est clair que sous-payer les jeunes débutants diplômés serait une grave erreur : ils auraient – à raison – le sentiment d’une injustice et cela n’aurait que des effets marginaux, voire nuls, sur la réduction de leur chômage. En revanche, pour les jeunes non-diplômés, les rémunérer 20 % en-dessous de l’actuel Smic permettrait sans doute de les rendre plus attractifs pour les employeurs : cela réduirait voire annulerait l’effet d’éviction, mais inciterait aussi des employeurs à les embaucher malgré leur moindre productivité supposée. (…)
Résumons.
Oui au Smic allégé pour les jeunes sans diplôme, à condition qu’il soit compensé par une réduction de même ampleur des cotisations sociales salariales, qu’il ne soit pas durable (par exemple trois ans maximum) et qu’un employeur qui remplacerait un jeune parvenant au terme de la durée de réduction de cotisations par un autre jeune ne puisse pas bénéficier du Smic allégé. Ce n’est évidemment pas la proposition Gattaz, même si celle-ci en a l’aspect. (…)
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Version, que bien évidemment je ne cautionne pas, mais que je poste comme témoignage de l’absurdité d’un raisonnement inadapté aux problèmes de la société actuelle. MC