En souvenir… peut-être ?

Vous vous souvenez des « primaires citoyennes » de 2011 ?

La primaire socialiste, quoi, unanimement saluée comme une belle réussite démocratique.

C’était il y a trois mille ans, en temps médiatique, je sais bien, mais quand même, vous vous souvenez des scores ? Manuel Valls : 5,63 %. Ségolène Royal : 6,95%.

L’un est devenu le second Premier ministre de François Hollande ; l’autre, sa ministre de l’Écologie, du Développement durable et de l’Énergie.

Vous me direz que l’un comme l’autre, s’étaient désistés en faveur de Hollande au second tour de la primaire, contre Martine Aubry, mais quand même, ça fait bizarre, ce n’est pas exactement ce qui nous avait été promis, non ?

Au moment où j’écris ces lignes dubitatives, l’Assemblée nationale — où Ségolène Royal n’est pas parvenue à retourner en juin 2012, l’affaire du tweet de Valérie T., tout ça — n’a pas encore voté la confiance au gouvernement Valls ; au moment où vous les lirez, elle l’aura fait, aucun doute là-dessus, je prends zéro risque. Un député socialiste dans « Le Monde »:« Nous sommes obligés. Sinon cela reviendrait à nous auto-dissoudre… »Enfin une expression de sincérité…

Le seul suspense, donc, réside dans le nombre des quelques demi-mesurettes sociales que va annoncer le nouveau Premier ministre pour que François Hollande n’ait pas l’air de ne pas avoir du tout entendu sa base électorale, et pour que Benoît Hamon et Arnaud Montebourg ne se ridiculisent pas complètement en se ralliant à un homme qui se déclarait « blairiste » et proposait de débaptiser le Parti socialiste, alors que nos deux super-ministres, tout heureux de leur avancement, sont censés incarner « l’aile gauche » de la majorité.

On est tenté de se dire que leurs divergences idéologiques ne devaient pas être si considérables ; moins, en tout cas, que leur ambition personnelle et leur ferme volonté de rester ministres. Voilà qui devrait revitaliser le débat politique, redonner à nos concitoyens le goût de la bataille d’idées et les pousser à retourner voter en masse aux prochaines « primaires citoyennes », n’en doutons pas…

Reste un mystère derrière ce qu’on nous présente comme une évidence : pourquoi François Hollande a-t-il nommé Manuel Valls ? En quoi celui-ci a-t-il moins perdu lis élections municipales que les autres ? Bref, pourquoi lui ? Pourquoi s’infliger une cohabitation qui ne dit pas son nom? Pour le carboniser en vue de 2017, lever l’hypothèse, comme on dit? Ou parce qu’il reste le favori des sondages, et le seul qui se croit capable de limiter les gros dégâts des européennes de mai prochain? Je crains que la seconde explication soit la plus probable — la plus stupidement évidente, hélas.

Valls est devenu populaire auprès de l’électorat de droite en singeant les coups de menton et le fonds de commerce sécuritaire et identitaire de Sarkozy. Alors que Hollande, lui, n’a été désigné candidat socialiste puis élu président que parce qu’il n’était pas Sarkozy, le plus différent possible, justement. Il est donc totalement absurde que le second choisisse le premier pour répondre aux légitimes aspirations d’un électorat de gauche déboussolé — et qui vient de l’exprimer le plus démocratiquement du monde.

Mais Valls est prétendument populaire, selon ces mêmes sondages qui viennent de se planter, une nouvelle fois, aux municipales et nous font dire que nous sommes très contents de retrouver Ségolène Royal ministre…

Alors Valls : la démocratie sondagière contre le verdict des urnes.

Frédéric Bonnaud – Les Inrocks N°958