Bein sport ou du moment que l’argent rentre …

Pendant presque trente ans, Canal Plus a vécu quasiment sans concurrence, assuré de sa mainmise sur les droits de diffusion du championnat de France de football. Depuis l’irruption de la chaîne Bein Sports, financée par la chaîne qatarie Al Djazira, la donne a changé. Le jour où le Qatar négociait l’achat de 22 hélicoptères de transport militaire et de 2 avions ravitailleurs européens pour 2 milliards d’euros, le tribunal de grande instance de Paris statuait, le 28 mars, sur un référé de Canal Plus contre Bein Sports. La chaîne cryptée a été déboutée et l’appel d’offres anticipé sur les droits de diffusion audiovisuels pour la Ligue 1 et la Ligue 2 de football, qui porte sur la période

2016-2020, a été maintenu. Le marathon judiciaire ne prendra fin qu’en juin prochain, au mieux avec la décision du tribunal de commerce sur la plainte de Canal Plus contre BeIN Sports pour « concurrence déloyale ».

Aujourd’hui, Canal Plus verse 420 millions d’euros à la Ligue nationale de football (LNF); Bein Sports, 150. La LNF a annoncé, le 6 mars, deux ans avant l’expiration des droits actuels, un nouvel appel d’offres portant sur l’attribution des droits de retransmission pour les saisons 2016-2020. Une manière de faire monter les enchères et, selon les arguments de la LNF, de donner de la visibilité aux clubs de football. Verdict, donc, le 4 avril.

Les mêmes clubs qui râlent contre la taxe fiscale à 75 % auraient-ils trouvé le moyen de se la faire payer par les chaînes, qui ne man­queront pas de la répercuter au final sur leurs abonnés?

Dans ce dossier à rebondissements où le sport continue de disparaître de nos écrans en clair, le Qatar voit grand. Son représentant en France, Nasser Al Khelaifi, PDG de Bein Media Group et patron du… PSG, est là pour développer ses chaînes.

Canal Plus a beau crier à l’injustice, dénoncer des capacités financières insondables, si l’on ose dire, l’argent qatari tourne bien des têtes. Le Qatar organisera la Coupe du monde de football 2022 mais a déjà pris pied sur le terrain. La chaîne, qui revendique 1,7 million d’abonnés, a diffusé l’intégralité de l’Euro 2012 et en fera de même pour l’édition 2016, qui se tiendra en France.

Mais Bein Sports a un appétit d’ogre et s’intéresse aux autres sports. Le 20 février, la chaîne, qui possédait déjà les droits de la Ligue des champions messieurs et dames de handball depuis la saison 2012-2013, a acquis ceux des Mondiaux 2015 (au Qatar) et 2017 (en France).

Le 10 mars dernier, la chaîne a soufflé à Canal Plus les droits de retransmission du championnat de France messieurs pour les cinq prochaines saisons. Outre le championnat, Bein Sports diffusera également la Coupe de la Ligue et le Trophée des champions, qui étaient jusque-là aussi diffusés sur Canal Plus.

Deux jours plus tard, le12 mars, pas rassasiée, Bein Sports a conclu un accord avec TF1 qui lui permettra de diffuser, cet été, l’intégralité du Mondial 2014 de football au Brésil. TF1 avait acquis, en 2005, les droits de diffusion exclusive du Mondial pour 130 millions d’euros et a lancé un appel d’offres au mois d’octobre dernier afin d’en revendre une partie — pour alléger sa facture — pour une cinquantaine de millions d’euros.

Devant cette offensive tous azimuts, Canal Plus fanfaronne un peu moins. La chaîne estime avoir perdu 187 000 abonnements depuis le lancement de sa rivale, en juillet 2012. Le 12 mars, Canal Plus a réclamé près de 300 millions d’euros à sa concurrente qatarie, accusée de « concurrence déloyale » devant le tribunal de commerce de Nanterre. Canal Plus réclame aussi 31 millions d’euros pour atteinte à son image.

La filiale de Vivendi considère qu’il y a distorsion de concurrence entre elle et la chaîne qatarie, financée par un fonds souverain aux ressources considérables. L’abonnement mensuel à Canal Plus flirte avec les 40 euros, celui de Bein Sports est à 11 euros.

Les prétoires statuent, les emplettes continuent.

Claude Baudry HD N°21393