Tous les progrès sont-ils utiles ?

Le logiciel Pentametron agrège les messages de dix syllabes sur le réseau social et les couple par rimes en variant le ton et les sonorités pour créer un joli petit poème doté d’un semblant de sens. On appelle ça la « roboésie ».

Ce sont des chercheurs de l’université de Stony Brook, à New York, qui ont trouvé la recette. C’était pourtant simple : il suffisait de compter les verbes, les adjectifs, les « mais » et les « et ». Ces chercheurs sont fiers de pouvoir prédire le succès d’un livre à 84%. Depuis les haïkus et les alexandrins, écrivains et poètes savent compter sur leur doigt. Ils devront maintenant retrouver leur vieille calculatrice.

Une fois les mots répartis arithmétiquement, les scientifiques, un peu jaloux d’être exclus du domaine, ont décidé de nous aider à lire. Et voilà qu’on découvre maintenant le livre sensoriel. Sensory Fiction, c’est le nom de ce projet d’étudiants du MIT. Un livre capable de faire ressentir des émotions au lecteur! Et nous, bêtas, qui pensions qu’un livre nous servait simplement une belle histoire sans rires ni pleurs.

Avec cette invention, le lecteur intrépide, bien sanglé dans un harnais, va vivre dans sa chair, le plus prosaïquement du monde ce que vivent les personnages de son roman. Un bûcher de livres dans Fahrenheit 451? Le harnais diffusera une chaleur intense. Premier de cordée à peine ouvert et vous serez transi de froid. La machine pourrait même, nous dit-on, accélérer votre rythme cardiaque, pour entretenir l’angoisse. Même la lumière variera selon l’atmosphère du récit. On sortira la lampe de poche pour Voyage au bout de la nuit et les lunettes noires pour Sous le soleil de Satan.

Les chercheurs nous promettent une immersion totale. Mais comment faire? S’il l’on trouve un passage bien trop ampoulé et cédant au pathos le plus grossier, une aiguille sortira-t-elle du dispositif pour s’enfoncer dans nos côtes et nous extorquer des larmes? Nous chatouillera-t-on pour atteindre l’effet inverse? Et comment faire ressentir le déshonneur du Lord Jim de Conrad ou la rancœur d’Edmond Dantès dans Le Comte de Monte-Cristo ? Le sentiment de liberté éprouvé par Sal Paradise dans « Sur la route »?

La littérature des robots fera moins la maline pour ces émotions-là. Et nous, l’air malin, engoncé dans un gilet électrique à lire le dernier best-seller de R2D2. On aurait dû se méfier pourtant. L’ordinateur corrigeait déjà automatiquement nos fautes d’orthographe et de grammaire. C’était même un peu attendrissant de le voir trépigner quand nous refusions de le laisser remplacer un infinitif par un participe passé. Il soulignait rageusement en rouge, incapable de comprendre le sens de la phrase.

Trop mignon. Disons-le, nous avons été un peu complices, nous avons laissé faire. C’est humain.

Nicolas Carreau – Les Inrocks N° 951