Faut-il à nouveau intervenir « militairement en Libye? »
C’est le sondage proposé le 31 janvier dernier aux internautes du « Point », l’hebdomadaire dans lequel sévit le philosophe stratège militaire Bernard-Henri Lévy. Une nouvelle opération militaire « antiterroriste » en Afrique serait-elle à l’étude au sein de l’état-major français?
Affirmatif, à en croire l’amiral Édouard Guillaud, qui quittera ses fonctions le 15 février après quatre années passées à la tête de l’état-major des armées françaises.
« Le sud de la Libye est devenu un véritable trou noir. L’idéal serait de pouvoir monter une opération internationale avec l’accord des autorités libyennes. Et il faudra bien, un jour, se poser la question d’une intervention. Le problème, c’est qu’il faudrait d’abord qu’il y ait un État dans le nord du pays », a-t-il expliqué le 26 janvier dernier devant une vingtaine de journalistes.
Selon « le Canard enchaîné » (29 janvier), la sortie du patron des armées résonnerait en écho à un conseil de défense tenu à l’Élysée à la fin du mois de décembre, au cours duquel François Hollande aurait insisté sur la capacité des « armées françaises à agir sur trois théâtres d’opération », la France étant déjà engagée au Mali et en Centrafrique.
Au diapason des analyses tricolores concernant le « problème libyen », l’exécutif américain prépare lui aussi l’opinion à cette intervention considérée comme inévitable. À l’occasion d’une audition annuelle devant la commission du Renseignement du Sénat, le responsable des 16 agences d’espionnage que comptent les États-Unis a dressé un tableau apocalyptique de cette Afrique sub-saharienne devenue un « incubateur » pour les groupes extrémistes.
Pour James Clapper, la porosité des frontières libyennes et les « quantités massives d’armes en circulation déstabilisent davantage le Maghreb et la région sahélienne ». Les pays limitrophes comme le Mali, le Tchad ou le Niger n’ayant pas les moyens de « limiter la liberté de mouvement des terroristes », il va donc falloir qu’une coalition étrangère vienne s’occuper du service après-vente de l’opération « Harmattan » menée par l’OTAN en 2011, laquelle a conduit à la chute du régime de Mouammar Kadhafi et à l’explosion de l’État libyen.
ANARCHIE ET VIOLENCE
Quant au « gouvernement », dont la plupart des membres vivent dans des hôtels de luxe bunkérisés de la capitale, Tripoli, il n’a pas les moyens d’assurer sa sécurité, et encore moins ceux de restaurer l’ordre, tant l’anarchie et les violences ont contaminé l’ensemble du territoire. Chaque semaine ou presque, un haut responsable libyen est kidnappé ou victime d’une tentative de meurtre.
Après l’assassinat du vice-ministre de l’Industrie, Hassan Al Droui, le 12 janvier à Syrte, celui de l’Intérieur (le 4e en à peine 3 ans) échappait 15 jours plus tard à une rafale de balles visant son véhicule. Le 10 octobre dernier, c’était au tour du premier ministre en personne, Ali Zeidan, d’être victime d’un enlèvement par un groupe armé, avant d’être relâché au bout de quelques heures.
En voyage à Paris au mois de décembre, Ali Zeidan avait tout de même tenu à conforter son « ami » Bernard-Henri Lévy sur l’état réel du pays, un panorama idyllique (1) à des années-lumière du pessimisme qui agite les chancelleries occidentales: « Et le pays, cher Ali? Comment va le pays? Et que penser du tableau apocalyptique qu’en brossent, çà et là, les Occidentaux? Pas si mal, me répond-il. Pas à pas, pierre à pierre, dans le désert qu’ont laissé derrière elles les 40 années de kadhafisme, une société civile s’affirme, un État de droit tâtonne et se construit – et ce sont les femmes de Benghazi qui descendent dans la rue pour exiger le désarmement des milices assassines. Eh oui. Le retour de l’histoire sur une terre qui en était sortie. (…) Et la Libye est celui des pays arabes ayant dégagé leurs dictateurs qui mérite le plus notre sympathie et notre aide. »
Une « aide » qui risque, comme en 2011, de se traduire dans les mois qui viennent par la livraison d’un nouveau tapis de bombes.
MARC DE MIRAMON HD N°21353
(1) « Saint Mandela. La France en Centrafrique. Le chef de l’État libyen à Paris », « le Point »,12 décembre 2013.