Avec le report de l’examen du projet de loi sur la famille, le gouvernement pensait peut-être désamorcer les mouvements de droite et d’extrême droite qui tiennent la rue depuis quelques semaines. Erreur, ceux-ci vont s’en prendre à la promotion de l’égalité à l’école. Dans la manœuvre, l’exécutif se coupe un peu plus de sa base électorale, dont les revendications sociales ne sont jamais écoutées.
En repoussant l’examen du projet de loi sur la famille, le gouvernement vient d’accepter une défaite lourde de conséquences. Certes, la porte-parole du gouvernement, Najat Vallaud-Belkacem, assure: « Nous ne repoussons aucunement le projet de loi à l’aune de la manifestation. Nous repoussons l’examen de ce projet de loi parce que, de fait, il n’est pas prêt. » Mais, même si c’était la réalité, le calendrier de cette annonce ne peut être interprété que comme un abandon en rase campagne. Et les organisateurs des manifestations contre le mariage pour tous ne s’y trompent pas et y voient une « première victoire politique ».
Cette décision, loin de désamorcer le mouvement réactionnaire, pourrait dans les faits lui offrir un nouveau souffle. Pour eux la démonstration est limpide: ce gouvernement cède aux revendications de ceux qui ne l’ont pas porté au pouvoir. La défaite vient de loin. L’an dernier, dès les premières mobilisations contre le mariage pour tous, l’exécutif avait reculé en refusant d’inscrire pour les couples de femmes la possibilité du recours à la PMA (procréation médicalement assistée) dans la loi. Assurant que la question de la PMA serait en débat dans la loi famille, le gouvernement avait tenté de botter en touche, refusant d’assumer le débat et pariant sur un essoufflement du mouvement Manif pour tous.
Et l’égalité des droits?
Effet collatéral, la question de l’égalité des droits qui soutenait le projet initial a été évacué. Le projet de loi a été vécu par les Français comme un moyen utilisé par le gouvernement pour ne pas parler des vraies questions comme le chômage ou encore le pouvoir d’achat… avec pour conséquence de faire chuter dans l’opinion le niveau d’adhésion à ce projet.
Nouvelle reculade en ce début d’année puisque alors qu’il y a un an exactement Dominique Bertinotti affirmait que la PMA serait dans la loi famille, ce que confirmait Jean-Marc Ayrault, à l’arrivée la PMA n’y figurait pas. Cerise sur le gâteau, court-circuitant la ministre de la Famille, Dominique Bertinotti, et le premier ministre, Jean-Marc Ayrault, Manuel Valls expliquait quelques jours avant la manifestation que le gouvernement refuserait tout amendement sur cette question. Amalgamant au passage PMA et GPA (gestation pour autrui), qui depuis le début n’était pas à l’ordre du jour. Et de donner ainsi du grain à moudre à la Manif pour tous.
Toute cette séquence et sa conclusion: l’abandon du projet de loi, et ce avant même de connaître le verdict du Comité national d’éthique sur la PMA, donnent raison à ceux qui se sont mobilisés pour dénoncer pêle-mêle la PMA, la gestation pour autrui, la théorie du genre et la fin de la famille traditionnelle. Alors que l’examen de la loi aurait démontré que ces élucubrations relevaient encore du fantasme, le gouvernement a réussi à les crédibiliser. La prochaine étape est écrite ou presque. La mobilisation va continuer pour en finir avec l’expérimentation des ABCD de l’égalité à l’école. Car au bout du bout c’est bien sur cette question de l’égalité que les réacs de tout poil veulent voir reculer le gouvernement.
La gauche déçue
Sur le plan politique cette reculade va coûter cher au gouvernement. La gauche est vent debout. Les écologistes, alliés du gouvernement, dénoncent un « renoncement consternant ». Le coprésident du Front de gauche, Jean-Luc Mélenchon, y voit la confirmation qu’« avec le PS, la droite est cajolée, le MEDEF admiré, l’Église choyée. La gauche est trompée, répudiée ». Pour le PCF, le gouvernement « cède aux slogans indignes » de ce dimanche et du précédent et « cette dérobade sous la pression est une défaite pour tous ». Même chez les socialistes, la pilule est amère. La candidate à la Mairie de Paris, Anne Hidalgo, et le sénateur de Haute-Saône, Jean-Pierre Michel, dénoncent une « reculade devant des réactionnaires ». Ce dernier affirme qu’il aurait démissionné s’il avait été à la place de Dominique Bertinotti, la ministre de la Famille.
Après les pigeons, le retrait de l’écotaxe, le gouvernement démontre une fois de plus qu’il ne cède que devant ceux qui se sont battus contre la victoire de la gauche en 2012.
Et se coupe un peu plus de son électorat.
STÉPHANE SAHUC – HD N°21353