Au plaisir d’écrire …

Comme beaucoup de personnes, depuis de nombreuses années je parcours le pavé, visite les librairies, ouvre les livres et ne fait pas mystère que j’aime autant lire et que lorsque j’en prends le temps, de trousser quelques lignes de mon cru.

J’avoue être à la fois, admiratif et fort désabusé devant la dextérité avec laquelle les biens plus jeunes que moi, font courir leur doigts sur de minuscules claviers et dans le même temps, force est de constater après avoir reçu quelques « texto » de mes petits-enfants, qu’ils savent utiliser en peu de mots la formulation adéquate leur permettant de présenter leurs requêtes sans détour. Certes il est passé le temps béni où conter fleurette prenait des semaines voire des mois, mais de là à « comme disent les jeunes » avec beaucoup de réalisme mais peu de considération pour mon âge avancé:  tu dates Papy, faut mettre la main au panier dans l’heure qui suit, sinon t’as perdu ta journée, s’ils veulent l’efficacité (et encore je doute, n’y a-t-il pas beaucoup de vantardise dans leur propos) je préfère rester « vieille France » et conter fleurette… Si j’en avais encore le courage, le souhait, le désir, ou la volonté tout simplement.

En résumé encore un problème générationnelle … Hier on s’écrivait, puis on s’est téléphoné, aujourd’hui c’est texto ou SMS (tu veux ou tu veux pas !) et demain ?

Demain sera un autre jour.

Dans l’entretien qui suit j’ai trouvé que le face-à-face était enrichissant et posant l’essentiel de la réflexion entretenant une certaine culture et mais aussi beaucoup de réalisme.

Pour terminer, afin de rédiger chaque jour un message (bien que rien ne m’y oblige si ce n’est un exercice intellectuel personnel), j’utilise un logiciel de dictée, logiciel qui parfois s’autorise à écrire ce qu’il veut bien (ou mal) entendre déstructurant ainsi la phrase pensée. MC

°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°

Question : Peut-on dire qu’avec le progrès, l’écriture cursive est en danger ou tout du moins en grande concurrence avec : clavier, logiciel, écran ou tablette, téléphone (écriture intuitive) ?

Bernard Bouvet. L’écriture a été inventée, en l’état actuel de nos connaissances, il y a environ 5500 ans. De nos jours, si l’écrit est omniprésent dans nos vies, l’écriture, c’est vrai, tend à régresser. Elle est remplacée par des formes rapides d’échanges, les SMS logos, sigles et abréviations, langages « phonétiques » et autres systèmes permettant d’aller toujours plus vite.

Je n’ai rien contre ces progrès. Mais la pensée qui s’exprime dans l’écriture peut-elle aussi aller toujours plus vite?

La réflexion, l’analyse, la compréhension sont-elles favorisées par le « vite à tout prix » ? Le « copier-coller », s’il se généralise, développe-t-il vraiment la connaissance? Et que dire du langage « texto » ? La rapidité, dans ces cas-là, devient synonyme d’appauvrissement de la langue et de la pensée. Continuer à se battre pour l’écriture cursive devient ainsi un enjeu de société!

Écrire, c’est en effet échanger des idées, des sentiments, des émotions.

(…) Écrire de manière cursive, c’est mettre en forme nos idées, nos pensées, même les plus secrètes. Je ne pense pas donc que celle-ci sera amenée à être remplacée. Alors certes aux États-Unis, certains États ont décidé d’abandonner la pratique dans les écoles mais, par exemple à Philadelphie, des études ont été faites sur les deux manières d’écrire et il semble que ceux qui ont appris sur un clavier ont eu d’énormes difficultés par la suite, Quel monde voulons-nous laisser à nos enfants et petits-enfants?

Question : Le papier peut-il être remplacé par le clavier, l’écran tactile ou même la transcription vocale?

Roland Jouvent. On y arrivera. Je pense que le stylo demeurera, mais essentiellement pour des activités esthétiques, artistiques. J’ai appris à écrire avec une plume et un encrier et pourtant ceux-ci ont quasiment disparu au profit du stylo plume ou stylo bille, il n’y a pas de raison que cette évolution s’arrête là. (…)

Question : Maintenant cela veut-il dire que l’on tue tout ce qu’il y avait dans le plaisir sensuel de l’écriture?

Ce qui est sûr, c’est que cela va entraîner des changements dans la pédagogie et dans l’utilisation corporelle de la transmission de l’information. Nous avons appris à nous concentrer pour avoir une belle écriture, mais avec l’arrivée de cette nouvelle manière d’écrire, on va tendre vers quelque chose de plus purement technique. On le voit à travers ce que j’appellerai le « e » langage qui se développe, se voit même chez vous les journalistes.

Ce purement technique se fait malheureusement au détriment d’une attention sur l’orthographe. Cette accélération des choses où il faut aller plus vite pour transmettre une information amène à un oubli des règles sociales de la transmission. Mais n’oublions pas, malgré tout, que pour certaines populations ces nouveaux moyens d’écrire demeurent un réel progrès; un retour à la sociabilité.

Les parkinsoniens ne peuvent plus écrire car souvent leur écriture est trop petite. L’utilisation de l’ordinateur avec un clavier à grosses touches leur ouvre à nouveau le champ de l’écriture et leur permet de communiquer. Je pense aussi aux enfants dyslexiques. L’utilisation de l’ordinateur leur permet de ne plus se faire taper sur les doigts (…) et d’avoir une assistance à la correction.

Question : En France, le sujet amène plus une levée de boucliers qu’une vraie réflexion alors que, dans les pays anglo-saxons, la question se pose. N’assiste-t-on pas une fois encore à un combat d’arrière-garde?

Bernard Bouvet. Notre histoire est liée à l’écriture tout autant qu’aux événements. Ce n’est pas sur une tablette que nous allons garder les écrits de nos ancêtres!

Nous avons, par exemple, envoyé dans 63.000 écoles du primaire une proposition d’un kit pédagogique sur l’écriture. Nous avons eu 9.104 écoles qui ont répondu positivement alors qu’elles n’étaient que 600 l’an dernier. Cela fait 276.000 élèves qui travaillent sur l’écriture. Cela veut dire qu’il y a un réel intérêt.

Roland Jouvent. C’est la faute à Voltaire ou Rousseau, tout cela (rires). Nous sommes d’incorrigibles littéraires. Les Anglo-Saxons sont beaucoup plus pratiques, pragmatiques. Ils sont beaucoup moins attachés au contexte, à l’esthétique de l’interaction humaine et sociale.

Question : L’idée finalement n’est-elle pas plus Importante que l’outil qui la transcrit?

Bernard Bouvet L’idée certes est importante, mais comment passer outre la façon d’y arriver, la connaissance de l’orthographe, de la grammaire. La main est le correspondant direct du cerveau. Le danger des tablettes, c’est la simplification, la correction immédiate qui ne vous oblige pas à réfléchir au mot, à son sens, son orthographe.

Sur les téléphones, il y a maintenant une touche T9, qui, dès les premières lettres, écrit le mot à votre place. Certes cela va plus vite, mais quel est l’intérêt? (…) Avec ce « tout cuit » que l’on nous propose, quand réfléchirons-nous?

Roland Jouvent. C’est le contenu plus que l’idée qui est à mon avis important et j’ajouterai à cela le contexte qui amène à l’idée. Prenons l’exemple du SMS. J’envoie un SMS pour quelque chose d’urgent, je vais y mettre certaines formes, y introduire une certaine convivialité, des excuses ou je ne sais quoi. Un adolescent bien au contraire ira, lui, à l’essentiel. Ce qui veut dire que la connotation émotionnelle du message est ailleurs ou tout simplement supprimée car l’outil qu’il utilise n’a pas été conçu pour autre chose. Mais tout cela revient à dire que les générations évoluent avec leur mode de pensée et la manière de l’exprimer.

Roland Jouvent, Psychiatre, Directeur des émotions CNRS – Bernard Bouvet Président de l’UPCP et créateur de l’Assos. » La semaine de l’écriture » – Recueilli par Éric Serres – Huma quotidien -24 Nov. 2013