Mille choses dites, pourtant c’est 50 ans, sans vérité

J’avais 22 ans et je me rendais à mon travail lorsque attirer par les annonces multiples des vendeurs de journaux exceptionnellement forts nombreux ce jour-là aux entrées de métro, j’ai fait comme tout le monde, acheter le journal du matin pour lire la « une » annonçant que l’on avait tiré sur John Fitzgerald Kennedy. Je me revois sur le quai du métro lisant incrédule un article issu de l’AFP. À cette époque les télévisions ne « couraient » pas les rues, c’est par la radio que les informations nous parvenaient à nous d’imaginer les scènes décrites oralement. Très vite les soupçons sur une information déformée, apparurent dans la narration. 50 ans se sont passés et à l’occasion du cinquantenaire de cet événement nous pouvions penser découvrir la vérité sur cet assassinat. L’article qui suit décrit assez bien l’imbroglio créé par différents protagonistes tous attirés non par la vérité, mais par la réalisation pécuniaire de leur vérité. MC

Le 22 novembre 1963, John Fitzgerald Kennedy est assassiné à Dallas.

A l’aide d’une caméra 8 mm, Abraham Zapruder filme l’événement et l’explosion du crâne du président. (…)

L’assassinat de Kennedy inaugura un [melting-pot] des images et de la fiction.

Tout au long du XXe siècle, l’Amérique avait été cet « horizon [de rêves] narratifs » vers lequel accouraient du monde entier les émigrés, ces hommes sans récit. (…) L’Amérique offrait à chacun une page blanche, la possibilité d’y commencer une vie nouvelle…

Tout à la fois une nation et une narration C’est (…) [sur cette dualité] que repose la société américaine et son cinéma hollywoodien. Ronald Reagan fut le dernier spectateur naïf de cette histoire dans laquelle les signes du réel et de la fiction vivaient en si bonne entente que son président-acteur pouvait confondre dans un discours certains événements de l’histoire avec des épisodes de film. Une confusion (…) conforme à la fameuse réplique de L’homme qui tua Liberty Valance : « On est dans l’Ouest, monsieur. Quand la légende devient un fait établi, on imprime la légende. »

C’est cette croyance naïve et heureuse en la transparence du réel et de la fiction, (…) sur lequel était fondée jusque-là (…) la société américaine [et] que les images de l’attentat de Dallas ont fait voler en éclats. L’Amérique fut « éclaboussée »(…) par les images du cerveau éclaté du Président et les taches de sang sur le tailleur Chanel rose de la First Lady qu’elle refusa de quitter jusqu’au lendemain (« qu’ils voient ce qu’ils ont fait ») et qu’elle portait pendant la prestation de serment du Vice-Président à bord de l’Air Force One.

L’attentat de Dallas n’est donc pas seulement un événement historique qui « a changé la face du monde », c’est un attentat contre la possibilité de raconter ce monde, c’est une attaque contre le système représentatif lui-même (…)

« LAmérique éclaboussée » de Thoret montre comment le film d’Abraham Zapruder, un amateur présent sur les lieux de l’attentat, va servir de base à la reconstitution, seconde par seconde, de l’assassinat.

(…) loin de jouer le rôle d’une « pièce à conviction » permettant d’établir la vérité et l’enchaînement des faits, ce film dont il existera des centaines de copies, et plusieurs montages, va encourager une multiplication de récits et de contre-récits; inflation narrative qui fait entrer l’Amérique dans l’incrédulité et le complotisme.

Loin de dévoiler la vérité des images et des faits selon le vieux contrat de transparence, le décryptage compulsif devient le mode opératoire du soupçon.

Avènement d’une ère du soupçon post-orwellienne basée non plus sur la censure et le contrôle de l’information mais au contraire sur l’inflation narrative et l’hyperdiscursivité qui ruinent à la longue la crédibilité de tout récit. (…)

D’après un texte de Christian Salmon – Paru dans Inrockuptibles N° 939

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À l’heure ou logiciels numériques et techniques permettent de tout changer, de masquer, d’enlaidir ou bonifier, la perception de l’image, reçue fonction de ses approches et connaissances personnelles, contribuent à nous mentir sur la réalité de l’événement. Pour se faire une idée réelle d’un événement rien ne vaut que de le « recouper » par diverses sources. MC