À la faveur de la crise diplomatique qui couve entre Washington et Riyad, sur fond d’une possible normalisation des relations entre les États-Unis et l’Iran, perspective qui terrorise les Saoudiens, François Hollande s’est effectivement rapproché de l’Arabie saoudite. Au point que le royaume et sa région sont devenus un véritable eldorado pour les industriels français.
À la fin du mois d’août 2013, tandis que l’état-major français envisageait une attaque militaire contre le régime de Bachar Al Assad, cet allié de l’Iran que l’Arabie saoudite fait tout pour affaiblir, un important contrat (1 milliard d’euros) était par exemple officialisé pour moderniser quatre frégates et deux pétroliers-ravitailleurs.
La multiplication des partenariats économiques et stratégiques entre une France censée être dirigée par un gouvernement socialiste et le « royaume des ténèbres » (1) suscite pourtant le malaise.
Hedy Belhassine, consultant international en intelligence économique et en veille stratégique, résume (2) : « Caché au fond des ténèbres de l’inquisition et de l’horreur, cette monarchie obscurantiste est à l’abri de toutes critiques car elle est la plus riche et donc la plus influente de la planète. Aucun cri de détresse ne parvient jusqu’à Paris, aucun homme politique, aucun philosophe, aucun journaliste, aucune épouse de président, aucun groupe de bien-pensants n’a trouvé le courage de dénoncer ce régime d’insulte permanente aux droits de l’homme. » Privatisées par la famille royale saoudienne et ses quelques milliers de princes, dont le nombre exact relève du secret d’État, les fabuleuses richesses pétrolières du pays autorisent visiblement tout.
Pour s’en convaincre, il suffit de lire la dernière livraison de l’ONG Amnesty International, qui dressait au mois d’octobre une ébauche de l’interminable liste des atteintes aux droits humains : « Discriminations des femmes en droit et en pratique, qui doivent obtenir l’autorisation d’un homme avant de pouvoir se marier, voyager, (…) travailler ou suivre un enseignement supérieur. Discriminations à l’égard des minorités ; les chiites de la province de l’est ont été soumis à des arrestations et à des détentions arbitraires. (…) Exécutions à l’issue de procès sommaires s’appuyant sur des aveux obtenus sous la torture ; de nombreuses infractions ne constituant pas des crimes de sang sont passibles de la peine de mort: adultère, vol à main armée, apostasie, trafic de stupéfiant, enlèvement, viol, « sorcellerie ». Torture et autres formes de mauvais traitements: les châtiments corporels tels que la flagellation et l’amputation sont fréquemment utilisés. La condamnation à la flagellation est systématique pour plusieurs infractions et la sentence peut aller de dizaines à des milliers de coups de fouet. »
L’ONG avertissait également sur les « violations à l’égard des travailleurs migrants qui, soumis à l’exploitation et aux violences aux mains de la fonction ou du secteur privé, constituent la population la plus vulnérable du pays. il y a quatre ans, les diplomates saoudiens présents à Genève avaient accepté toute une série de recommandations pour améliorer la situation des droits humains dans le pays. Depuis, non seulement les autorités n’ont rien fait, mais elles ont accentué la répression ».
Loin de s’arranger, la situation de ces semi-esclaves connaît actuellement une spectaculaire dégradation, dans une indifférence quasi générale.
Confrontées à une démographie galopante (29 millions d’habitants en 2011, 36 millions attendus en 2025), à une population très jeune (75 % sont âgés de moins de 30 ans) et à un chômage élevé (chiffre officiel 12,5 %, sans doute au moins le double), les autorités saoudiennes ont opté pour un plan particulièrement radical afin d’assurer un meilleur accès à l’emploi aux « locaux » : l’expulsion de près de la moitié de sa main-d’œuvre immigrée.
Les quelque 8 millions de travailleurs étrangers, principalement originaires des Philippines, du Pakistan ou encore du Yémen, avaient été sommés il y a six mois de « régulariser leur situation ». Et à l’expiration d’un délai appelé « amnistie royale », le 4 novembre dernier, c’est une véritable chasse à l’homme qui a été lancée dans les quartiers misérables de Riyad ou de Djeddah.
À Manfouha, où s’entassent des travailleurs originaires de la Corne de l’Afrique (Érythrée, Éthiopie, Somalie), des affrontements violents opposant la police saoudienne à des manifestants ont fait au moins trois morts, selon le gouvernement éthiopien qui, comme les autres pays concernés, s’inquiète face à cet afflux massif de réfugiés.
Mais le plus étonnant demeure le silence de la classe politique française actuellement aux affaires, elle qui était si prompte à dénoncer les expulsions menées par le gouvernement Sarkozy (environ 30 000 en 2011). Avec près de 900.000 étrangers contraints au départ depuis le début de l’année 2013, pour une population deux fois inférieure à celle de la France, l’Arabie saoudite organise pourtant une migration forcée sans précédent en temps de paix.
Selon les Nations unies, le Yémen déjà très instable ne pourra pas absorber le retour prévu de plusieurs centaines de milliers de travailleurs. Quant aux autorités des Philippines, débordées après le passage dévastateur du typhon Haiyan, il n’est pas sûr qu’elles apprécient la dotation de 37 millions de rials (environ 7 millions d’euros) que vient de leur accorder le roi Abdallah, monarque absolu du royaume saoudien: c’est la première fois que le grand argentier de l’islam wahhabite, le plus rigoriste et le plus intolérant du globe, verse une telle obole à un pays majoritairement catholique. 7 millions d’euros, c’est donc la « compensation » censée faire oublier au gouvernement les 400 000 Philippins expulsés ces dernières semaines, eux qui constituent la première main-d’œuvre du pays.
Marc de Miramon
(1) Lire « l’Arabie saoudite, un royaume des ténèbres— L’islam, otage du wahhabisme ». Éditions Golias.
(2) www.espritcorsaire.com, 22 octobre 2013.