La société malade du chômage

La panne de l’emploi allonge la durée du chômage, mais pèse aussi sur les actifs en emploi et sur la consommation des ménages.

Entre 2008 et 2012, de nombreux pays européens ont connu une explosion du chômage : + 2,5 points en France, + 4 points en Italie, + 8,4 points au Portugal et + 13,8 points en Espagne. La présence d’un chômage de masse dans ces pays a de multiples conséquences : perte en capital humain, modération des revenus pour les chômeurs, mais aussi pour les actifs occupés ou encore baisse de la consommation des ménages.

Une perte de compétences

Première conséquence de la persistance d’un chômage élevé : le chômage de longue durée augmente fortement. Il touchait en France 40,8 % des chômeurs en 2012, contre 37,8 % en 2008, frappant en particulier les plus de 50 ans. Provoquant une érosion des compétences et une difficulté plus grande encore pour ces chômeurs à reprendre le chemin de l’emploi.

Cette dépendance temporelle des sorties du chômage a été largement analysée dans la littérature théorique comme dans les études empiriques. La probabilité de sortie du chômage dans les trois premiers mois est évaluée à plus de 50 % en France (1) et à 40 % au Royaume-Uni (2).

Elle chute respectivement à 10 % et 4 % après quatre années au chômage. Outre le biais de sélection induit par l’hétérogénéité des chômeurs – ceux qui ont la probabilité la plus haute sortent rapidement et donc ceux qui ont la plus basse deviennent surreprésentés parmi les chômeurs de longue durée -, trois phénomènes sont avancés pour expliquer cette dépendance temporelle.

  • Premièrement, une discrimination négative à l’encontre des chômeurs de longue durée : une durée du chômage élevée donne un signal négatif à l’employeur potentiel.
  • Deuxièmement, un découragement important des chômeurs de longue durée : avec la durée au chômage grandit un sentiment d’échec et d’éloignement de la sphère productive. Cela engendre un moindre effort dans la recherche d’emploi.
  • Troisièmement, une perte de compétences (ce qu’on appelle le « capital humain ») durant la période de chômage : au fur et à mesure que l’épisode de chômage se prolonge, les compétences des chômeurs, tant absolues (liées à l’absence de (re)formation des chômeurs) que relatives (produit de la diffusion inégale des connaissances et du progrès technique au profit des salariés en place), se détériorent, réduisant ainsi leur probabilité de retour à l’emploi.

La baisse des revenus

Ces mécanismes d’enfermement dans le chômage impactent, à terme, les revenus des chômeurs. Le chômage de longue durée est le plus souvent synonyme de fin d’indemnités pour les chômeurs, qui voient alors leurs droits réduits à la simple perception des minima sociaux. Bien que les durées d’indemnisation varient fortement entre les pays, des baisses généralisées du revenu des chômeurs semblent inéluctables.

Dans les pays les plus précocement touchés par la crise, ces évolutions ont déjà commencé. En Espagne, la part des chômeurs non indemnisés était de 15,8 % de la population active en 2012, contre 7,8 % en 2008, et le revenu disponible des chômeurs a baissé en moyenne de 9,9 %. Au Portugal, la part des chômeurs non indemnisés a, elle aussi, plus que doublé sur la période (5,3 % en 2008, contre 11 % en 2012) et le revenu disponible des chômeurs a été amputé de 4,7 % en moyenne.

En France, l’ajustement à la baisse du revenu des chômeurs semble plus lent à s’opérer. Pour autant, la part des chômeurs non indemnisés a atteint 5,6 % de la population active en 2012, contre 4,5 % en 2008.

Entre 2011 et 2012, le revenu disponible des chômeurs a diminué de 1,2 % en moyenne.

De plus, une hausse massive du chômage impacte négativement, à terme, les revenus salariaux. Ce mécanisme, décrit par Alban William Phillips en 1958 est aujourd’hui à l’œuvre dans de nombreux pays. En Espagne, les salaires ont baissé de 1,5 % entre 2011 et 2013. Au Portugal, ils ont chuté de 2 %.

Spirale déflationniste et réactions en chaîne

La spirale déflationniste en marche dans bon nombre de pays européens est à même de provoquer une explosion des inégalités. En effet, d’une part, l’ajustement à la baisse du revenu des chômeurs est plus rapide que celui observé pour les revenus salariaux.

En France, alors que le revenu des chômeurs a d’ores et déjà commencé à baisser, les salaires tendent à se maintenir. D’autre part, le risque de tomber dans le chômage varie fortement selon le niveau de diplôme, lequel est lui-même fortement corrélé au niveau de rémunération.

Ainsi, en Espagne, le taux de chômage des non-diplômés a augmenté de 18,5 points de pourcentage pour atteindre 33,8 %, contre 15 % (+ 8 points) pour les diplômés du supérieur. Dans une moindre mesure, ces observations valent pour l’Italie, le Portugal et la France. En Italie, 13,6 % des non-diplômés étaient au chômage en 2012 (+ 5,3 points par rapport à 2008), contre 6,7 % des diplômés du supérieur (+ 2,1 points).

Par ricochets, les inégalités de revenus s’accroissent inéluctablement. Entre 2008 et 2012, le coefficient de Gini (Plus son niveau est élevé, plus la société est inégalitaire.), indicateur synthétique mesurant l’inégalité de revenus, a crû de 0,7 point de pourcentage en France. En Italie et en Espagne, il a augmenté respectivement de 0,9 et 2,7 points sur la période.

La baisse du coefficient de Gini observée sur la période au Portugal est due à l’entrée tardive de ce pays dans la crise, entrée estimée à 2010. Sur la période 2010-2012, le coefficient de Gini y a augmenté de 0,8 point, et cela après cinq années de diminutions successives.

Enfin, la baisse généralisée des revenus, tant salariaux que de prestations, impacte directement la consommation des ménages. L’ensemble des pays ayant connu une explosion du chômage depuis 2008 enregistrent sur la période une baisse importante de la consommation des ménages, pourtant moteur important de croissance.

En Espagne, elle s’est effondrée de 7,5 % en volume depuis 2008. Au Portugal et en Italie, les baisses respectives sont de 8,5 % et 4,5 %. Une fois encore, l’ajustement en France semble plus lent. Ainsi, si la consommation des ménages a augmenté en volume de 1,7 point de pourcentage sur l’ensemble de la période 2008-2012, elle a tout de même baissé de 0,4 % entre 2011 et 2012.

Auteurs : Eric Heyer et Pierre Madec, Lu dans « Hors Serie Alternatives Economiques N°99 », 1er trimestre 2014.

Notes :

  1. « L’employabilité des chômeurs de longue durée. Mise en perspective des littératures théorique et empirique », par Bruno Decreuse et Vanessa di Paola (2002), Revue d’économie politique, vol. 112.
  2. « Does Long-Term Unemployment Reduce a Person’s Chance of a Job ? A Time Sertes Test », par Richard Jack-man et Richard Layard (1991), Economica no 58.

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