Les « critères sociaux » de l’état français, sont-ils xénophobes ?

Puisque les, finances publiques vont mal, il .faut protéger le modèle social en traquant les fraudeurs, mais aussi les étrangers. Ce raisonnement martelé par nombre de responsables politiques européens a gagné en légitimité, y compris au sein de l’administration française.

Si les solutions pour sortir l’Union européenne de l’ornière suscitent d’âpres débats, il est un sujet qui fait consensus parmi les dirigeants politiques du Vieux Continent : la lutte contre ceux qui abuseraient des systèmes de protection sociale. Les immigrés d’Afrique ou du Maghreb et les Roms constituent la première cible de cette croisade.

Dans un courrier du 23 avril 2013, les ministres de l’intérieur allemand, anglais, autrichien et néerlandais s’en sont plaints auprès de la présidence irlandaise en dénonçant les « fraudes et abus systématiques du droit à la libre circulation provenant des autres pays de l’Union européenne ». On serait ainsi passé d’une immigration économique à un tourisme d’allocations.

Ces récriminations ne résistent guère à l’observation de la réalité sociale et juridique : dans les pays européens, les populations étrangères et roms comptent parmi les plus précaires du point de vue de l’accès aux soins, et les minima sociaux restent soumis à des conditions drastiques de durée de résidence sur le territoire. En France, un étranger ne peut toucher le revenu de solidarité active (RSA) que s’il bénéficie depuis au moins cinq ans d’un titre de séjour l’autorisant à travailler (1).

Mais on aurait tort de balayer d’un revers de main cette vision du monde au motif de son inexactitude. Elle remplit en effet une fonction idéologique décisive en temps de crise économique et de panique morale : offrir une légitimité symbolique à des politiques d’exclusion qui se heurteraient sans cela à la réprobation d’une partie de la population.

Simple et efficace, cette rhétorique associe maintien de la protection sociale et rejet des étrangers. Elle prospère sur le terreau des « réformes de l’État », qui, sous couvert de rationalisation et de lutte contre la fraude, créent à la fois une insécurité interne, éprouvée par des fonctionnaires fragilisés dans leurs conditions de vie et de travail, et une insécurité généralisée, qui se concrétise par l’affaissement de la protection sociale. Il ne s’agit plus de rejeter l’étranger au nom d’une vision racialiste de la nation, mais en vertu d’un idéal beaucoup plus consensuel: sauvegarder le «modèle social français». (…)

En Suède, au Danemark ou aux Pays-Bas, des formations politiques concoctent un curieux mélange d’idées d’extrême droite et de préoccupations de gauche pour réformer l’État social. (…)

En France, après l’expulsion en octobre dernier de Leonarda Dibrani, cette lycéenne interpellée lors d’une sortie scolaire, M. Jean-François Copé, président de l’Union pour un mouvement populaire (UMP), a préconisé la suppression de l’AME, sous-entendant qu’il en allait de la survie du système français de protection sociale.

Ce procédé consistant à instrumentaliser une cause progressiste pour mobiliser contre un ennemi commode n’est pas nouveau. (…)

C’est désormais au nom de la défense du modèle social qu’il s’agit d’exclure, beaucoup plus largement, toutes les populations soupçonnées d’en abuser. La thématique de la lutte contre la fraude n’est pas une simple ritournelle entonnée par des gouvernements désireux de détourner l’attention des véritables causes de la crise des finances publiques. Elle est devenue un argument fédérateur pour les hauts fonctionnaires en charge de la « modernisation » de l’administration et, par voie de conséquence, un enjeu de lutte pour tous les agents impliqués dans l’encadrement des populations.

Au cours d’une enquête menée dans les services de contrôle de l’immigration, nous avons pu constater que cette rhétorique était un puissant vecteur de mobilisation pour ceux qui, dans les coulisses de l’administration, conduisent la politique des guichets (4).

Venus d’horizons politiques et sociaux très divers, les hommes et les femmes affectés à ces services ont une mission commune s’assurer que chaque droit consenti à un étranger ne constitue pas une menace pour le maintien de l’ordre politique et économique. Mais comment adhérer à une telle mission ?

Longtemps, l’objectif de contrôler l’immigration prit sens à travers la nécessité de protéger le marché national du travail d’une concurrence étrangère déloyale. Désormais, il se conjugue avec une croisade morale visant à traquer l’« assistanat » et à faire de l’immigré le fossoyeur de l’État social.

Contrôles de plus en plus tatillons

La peur que les étrangers ne viennent en France creuser les déficits est particulièrement présente chez les agents chargés des régularisations pour raison médicale : « Sur la procédure de régularisation pour soins, on ne peut rien faire, on est complètement dépendants de l’avis du médecin. Heureusement, maintenant, il y a un peu plus d’avis négatifs. Mais moi, je suis révoltée par les abus de cette procédure. La Sécurité sociale ne rembourse plus certains médicaments pour les Français, ce qui fait quand même une grosse différence pour les .fonctionnaires comme nous, mais l’État prend en charge la santé des malades étrangers. Il y a quelque chose qui ne va pas là-dedans, ce n’est pas logique » (entretien avec une guichetière devenue vérificatrice en préfecture).

La relation de causalité établie ici entre immigration et dégradation de la protection sociale est aussi très prégnante dans les administrations impliquées dans l’octroi de prestations aux personnes âgées. Alors que les étrangers comme les nationaux sont tenus de résider en France pour y avoir droit, les caisses de sécurité sociale ont engagé depuis la fin des années 2000 une lutte sans merci contre les vieux migrants qui touchent les minima sociaux et repartent occasionnellement au pays (5).

Cette guerre à la fraude ciblant les étrangers a pour principal effet d’arrimer la crise de financement des systèmes de protection sociale à un problème d’identité nationale (6).

Suite en PDF pour le respect de l’auteur et de l’éditeur. Xenophobe suite article

Auteur : Alexis Spire Sociologue, directeur de recherche au Centre national de la recherche scientifique (CNRS). Auteur de Faibles et puissants face à l’impôt, Raisons d’agir, Paris, 2012. Lu dans « Le monde Diplomatique », Décembre 2013, Titre original de l’article « Xénophobes au nom de l’ État social » – Extraits.

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  1. Antoine Math, « Minima sociaux : nouvelle préférence nationale ? », Plein droit, n° 90, Paris, octobre 2011.
  2. « Garantir l’accès à la santé pour tous les Français», www.frontnational.com – correspond a des parties occultées
  3. Andrew Higgins, « Right wing’s surge in Europe has the establishment rattled », The New York Times, 9 Novembre 2013. correspond a des parties occultées
  4. Accueillir ou reconduire. Enquête sur les guichets de l’immigration, Raisons d’agir, Paris, 2008.
  5. Antoine Math, «Les prestations sociales et les personnes âgées immigrées : la condition de résidence et son contrôle par les caisses», Revue de droit sanitaire et social, n° 4, Paris, juillet-août 2013.
  6. Lire Serge Halimi, « Lampedusa », Le Monde diplomatique, novembre 2013