D’étranges relations enrichies à l’uranium

Ou, qu’est-ce qui bloque les négos avec l’IRAN sur le nucléaire ?

Le 10 novembre, les négociations sur le nucléaire iranien ont échoué. La faute à la France qui, pour s’attirer les bonnes grâces et les contrats juteux de l’Arabie Saoudite, s’est opposée aux Etats-Unis.

A en croire les Américains, mais aussi les Iraniens, c’est la délégation française qui a fait capoter le bel accord négocié depuis des semaines entre Téhéran et Washington alors que le secrétaire d’Etat américain, John Kerry, avait écourté sa tournée au Proche-Orient pour être présent lors des négociations. Pour quelles raisons la France aurait-elle fait cette mauvaise grâce à l’administration Obama qui rêve depuis des années d’un succès au Moyen-Orient et qui a décidé de porter tous ses efforts sur l’Iran ?

Deux explications ont été avancées : d’abord, la France aurait décidé de rendre la monnaie de sa pièce aux Etats-Unis. Marginalisé par l’accord avec la Russie sur les armes chimiques syriennes, Paris a voulu cette fois montrer son pouvoir de nuisance sans injurier l’avenir : les négociations de Genève devraient reprendre d’ici fin novembre. Ensuite, il y a la visite de François Hollande en Israël. Un déplacement préparé avec minutie mais qui s’annonçait délicat. Le président du Parlement israélien a même menacé de boycotter la visite si le président français ne s’adressait pas à la Knesset.

Du coup, les réticences françaises à signer un accord avec les Iraniens ressemblaient à une politesse faite aux Israéliens. Des réserves françaises qui ont d’ailleurs été saluées par Benyamin Netanyahou. En fait, toutes ces bonnes raisons de ne pas signer avec les Iraniens sont parfaitement circonstancielles. Ce qui l’est moins, c’est la pluie de milliards que, depuis quelques mois, l’Arabie Saoudite déverse sur l’industrie militaire française.

Qu’on en juge : le 4 octobre, Ryad annonçait l’entrée en vigueur du contrat LEX permettant la rénovation de quatre frégates et deux pétroliers : 1,1 milliard d’euros pour Thalès, MBDA et DCNS et des milliers d’heures de travail à la clé. Mais ce n’est pas tout. Thalès serait sur le point de signer pour 4 milliards d’euros avec les Saoudiens. Un méga contrat qui porte sur le système de défense aérienne du royaume. Sans compter les zakouskis : 150 millions, voire 500 à terme, pour la Garde nationale saoudienne.

Le ministre de la Défense, Jean-Yves Le Drian, ne ménage d’ailleurs pas sa peine : il s’est déjà rendu trois fois en Arabie Saoudite depuis mai 2012… pour discuter. De quoi? Il suffit de reprendre les déclarations du ministre : « Conforter notre convergence de vues sur les grandes crises régionales, au premier rang desquelles figurent la crise nucléaire iranienne et la crise syrienne. » Tiens, tiens…

Il se trouve que l’Arabie Saoudite a l’impression très nette d’être abandonnée par les Américains tant sur la Syrie que sur l’Iran. Signe de sa mauvaise humeur : Ryad a renoncé mi-octobre à siéger au Conseil de sécurité de l’ONU. Du jamais vu! Jusqu’à présent, les Saoudiens pouvaient compter sur les Etats-Unis pour contenir l’Iran, sa révolution islamique, sa volonté hégémonique. Mais, depuis une dizaine d’années, ils ont déchanté.

En se retirant d’Irak, les Américains ont laissé le champ libre à l’influence iranienne. Puis l’administration Obama a commencé à trouver contraire à ses intérêts de punir aveuglement l’Iran, y compris sur son programme nucléaire.

Bref, les Saoudiens sont fâchés avec leurs alliés américains et le font savoir… en achetant des armes françaises. Restait à la partie française à donner des gages de bonne volonté.

C’est chose faite depuis le 10 novembre.

Anthony Bellanger – Les Inrockuptibles N°938

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