Une agriculture de qualité crée de l’emploi, sauvegarde l’environnement, réactive le lien social, préserve la santé et promeut notre gastronomie. Plaidoyer pour le retour du goût.
Combien de fois avons-nous entendu ces mots : «Je te comprends, mon grand-père était paysan. » Pourtant, génération après génération, le fossé s’est creusé entre agriculteurs et consommateurs. Beaucoup ne se posent même plus la question de l’origine de leur steak, de leur pain ou de leurs produits laitiers. On mange de tout quelle que soit l’époque de l’année, et l’alimentation est devenue une dépense parmi d’autres dans le budget de plus en plus serré des ménages. Ou comment oublier le rôle fondamental de l’alimentation dans notre quotidien…
Les photos de paysans tout sourire sur les étiquettes des produits n’y changent rien : la rupture est bien là, même si, en effet, rares sont les Français qui n’ont pas un agriculteur dans leur famille. Cette rupture, nous la ressentons à chaque fois que nous nous éloignons de nos fermes. Ce n’est pas seulement un constat qu’on rabâche dans les repas entre collègues, c’est aussi, et surtout, la remise en cause de ce que nous sommes.
Notre métier est loin d’être anodin. Être paysan, c’est avoir fait le choix de nourrir ses semblables. Quoi de plus essentiel ? Sauf que nous ne sommes plus les seuls à nous y consacrer.
L’industrie agroalimentaire entend nourrir le monde.
Après les laits enrichis ou allégés en je ne sais quoi, après les alicaments, merveilles de la technologie capables de résoudre tous les maux, après le poisson sans arêtes, nous voici à l’heure des steaks de cellules-souches et de la viande de boeuf « spangherotée » !
Disons simplement qu’eux et nous n’avons pas tout à fait la même façon d’envisager l’alimentation…
Que sommes-nous face à ces machines à produire de la nourriture à bas coût ? Comment continuer à exercer le métier que nous avons choisi alors que nous sommes menacés de disparition ? Si la situation semble mal engagée, nous savons pourtant une chose essentielle : l’alimentation tient une place centrale dans le quotidien de nos concitoyens, elle est un élément incontournable de lien social, véritable socle culturel de la société. À partir de là, nous savons pourquoi nous nous battons.
Circuits courts : oui, mais…
Un peu partout, des alternatives au système imposé par l’agro-industrie essaiment. Les relations entre producteurs et consommateurs se font plus directes, retrouvent du sens. Pour certains d’entre nous, ces circuits courts sont indispensables pour vivre décemment. Sans compter qu’ils font exister l’idée d’une agriculture vivante et de qualité. Mais, on le sait, cela ne concerne qu’une minorité de consommateurs. Nous n’avons pas choisi d’être paysans pour ne nous adresser qu’à ceux qui ont le temps et les moyens de faire appel à nous. Nous n’avons pas l’intention de laisser l’agro-industrie s’engraisser sur le dos de la majorité.
Le mythe du low cost
Progressivement, l’idée que l’alimentation doit être la moins chère possible s’est imposée à force de discours sur le pouvoir d’achat et de publicité racoleuse, au détriment du goût. Il faut dire qu’il est plus facile de braquer les projecteurs sur la caisse du supermarché que de remettre en cause les politiques de l’emploi, du logement, des transports, etc. Pourtant, il ne s’agit pas de choisir entre manger bien et cher ou manger mal et économiser.
L’avenir de l’alimentation — et donc de l’agriculture — se joue sur deux tableaux. Le plus insaisissable, c’est la place que doit prendre ce budget dans le porte-monnaie des ménages. C’est un défi culturel qui consiste à renverser le mythe d’une alimentation low cost. Mais, surtout, c’est un défi politique qui implique une vision globale de la société.
Cet avenir de l’alimentation se joue aussi avec les politiques agricoles.
Elles doivent être ambitieuses pour faire à nouveau fonctionner le lien entre paysans et consommateurs. Des budgets importants sont consacrés à l’agriculture. Pour continuer d’exister, ils doivent être légitimés. Est-il normal que le consommateur contribuable finance une agriculture de plus en plus industrialisée qui vide les campagnes de ses paysans et de sa vie sociale pour produire une alimentation standardisée ?
Alors, nous nous battons pour des politiques à la hauteur des enjeux sociétaux et environnementaux que nous avons désormais à affronter. Il faut lutter contre le chômage ? En privilégiant une agriculture de qualité nous créerons des emplois. Il faut préserver l’indispensable qualité des eaux ? En favorisant une agriculture autonome, nous nous éloignerons de cette agriculture industrielle qui, de poulaillers de cent mille pondeuses en fermes de mille vaches, continue de mettre à mal l’environnement.
Il faut faire revivre le monde rural !
- En maintenant des paysans nombreux, c’est le lien social qui perdure.
- Il faut protéger la santé de nos concitoyens ?
- En freinant l’industrialisation de l’agriculture, nous pourrons enfin appliquer le principe de précaution face aux pesticides, hormones et OGM dans l’alimentation.
- Il faut promouvoir notre gastronomie, inscrite au patrimoine mondial de l’humanité ?
- C’est en laissant exister les produits fermiers, aujourd’hui écrasés par des normes inutiles, que nous y parviendrons. Et la liste n’est pas exhaustive.
La Confédération paysanne lutte pour une autre agriculture et d’autres politiques agricoles. Mais, si les paysans existent, c’est parce que vous, consommateurs, avez besoin de nous pour vous nourrir. C’est pourquoi nous avons lancé la campagne Envie de paysans ! (1). Son objectif : retisser les liens entre nous pour faire avancer vraiment les politiques. Sachons ensemble, paysans et citoyens, établir les rapports de force nécessaires au changement. Enfin !
Laurent Pinatel – Porte-parole national de la Confédération paysan lu dans Politis Hors serie N° 59, Nov. Dec. 2013
1) http://enviedepaysans.fr