Alors qu’un ministre de l’intérieur, la droite, l’extrême droite et les médis s’acharnent sur cette population qui réunirait tous les maux de la terre, regardons d’un peu plus près cette vindicte.
Est-elle justifiée, à vrai dire c’est l’arbre qui cache la forêt.
Non, c’est certes un problème parmi d’autres, mais pas pire que d’être privé d’emploi lorsque le patron délocalise et vous met sur la paille pour la seule satisfaction de ses plus-values personnels et de ses actionnaires bien planqués, au chaud. Non, le problème le plus important est bien de combattre l’austérité imposée par les banques et établissements financiers.
Revenir au plein emploi, c’est guérir bien des maux. MC
A Sofia, des clichés malmenés
Contrairement à ce que croient les médias et l’opinion publique de l’Ouest, tous les Roms bulgares ne souhaitent pas émigrer, loin de là.
Les journalistes occidentaux sont venus en Bulgarie cet été. Ils cherchaient les milliers de Roms censés déferler, au 1er janvier 2014*, sur l’Allemagne, les Pays-Bas, la France ou le Danemark… bref, tous ces pays qui dressent des tableaux de fin du monde, puisque cette vague de Roms menace de voler leurs emplois et de vider les aides sociales une fois que les barrières sur les marchés du travail seront levées.
Il est certain qu’une partie des Roms bulgares partiront en Allemagne, en Autriche ou aux Pays-Bas, surtout ceux qui y ont déjà travaillé au cours des dernières années. Les autres ne savent même pas que les restrictions vont être levées. Ils ne savent même pas qu’il y a des restrictions. Depuis que des journalistes européens leur rendent visite tous les jours pour savoir quand ils comptent prendre la route de l’eldorado occidental, ils sont très bien informés.
J’ai pu accompagner certains de mes collègues venus d’Allemagne, de Norvège ou d’Autriche en quête d’un prix Pulitzer pour leur défense des valeurs européennes. Les conversations étaient les mêmes : « Tu vas partir en Allemagne ? »Regard étonné. « Non. » Deuxième tentative. « Et tes proches, tes voisins, tes amis, ils y vont ? A Dortmund, par exemple ? » Regard pensif. « Je ne sais pas. Des voisins sont partis en Espagne… » Mon confrère ne s’intéressait qu’à l’Allemagne. « Bon, à partir du 1er janvier tu auras droit aux allocations, tu ne vas pas y aller ? » Regard encore plus pensif. « Eh bien, je fais de la musique, on pourrait y faire un tour, mais je n’y ai pas réfléchi. « .
Cela s’est passé dans un quartier de Sofia. Malheureusement pour les reporters occidentaux, les Roms ne correspondent pas du tout aux clichés auxquels ils s’attendaient. Les Roms veulent passer leur bac et sortir de leur quartier, où ils ne peuvent pas vivre tranquilles.
Les journalistes européens ont finalement trouvé ce qu’ils cherchaient dans les quartiers Roms de Pazardjik (sud) et de Varna (est). Les habitants leur ont expliqué qu’ils avaient des permis de travail depuis longtemps et qu’ils passaient quelques mois par an en Allemagne. « Depuis que les autres, ceux qui ne travaillent pas, ont commencé à venir, c’est difficile d’avouer qu’on vient de Bulgarie », explique un Rom qui travaille dans le BTP en Bavière. En fait, être bulgare en Europe, c’est pire qu’être rom.
Contrairement à ce qui se passe en Bulgarie, à l’Ouest, les médias et la société sont tolérants. Ils ne se permettraient jamais les injures ou les propos racistes. Mais si l’on remplace le mot « Roms » par « Bulgares » ou « Roumains », alors tous les titres de journaux et les propos ministériels sont permis. On peut taper sur les Bulgares, même si en vérité on veut dire les Roms. Et ce phénomène est encore plus dangereux que le racisme. Il repousse le problème vers l’Europe de l’Est, sans que les conférences et les programmes européens y changent quoi que ce soit.
Cela fait des années que l’Union européenne octroie très peu de fonds pour la lutte contre la pauvreté et l’illettrisme. Et cela fait des années que ces moyens n’atteignent pas les Roms mais disparaissent à mi-chemin entre Bruxelles et les gouvernements, les ministères et les fondations. Les Roms demeurent condamnés à une misère digne des romans de Dickens.
Persévérance. Les Occidentaux n’avoueront pas qu’il s’agit d’un problème en soi que nous devons affronter ensemble. La solution exige un financement énorme, beaucoup de spécialistes et de la persévérance. Les Bulgares et les Roumains ne sont pas prêts non plus à changer d’attitude envers les Roms, attitude exacerbée par la pauvreté.
La vérité, c’est que les Roms se rendent souvent dans des villes en difficulté financière, comme Dortmund ou Duisburg. Ces villes sont au bord de la faillite, et ne serait-ce qu’un millier d’étrangers représente pour elles un fardeau. Mais l’Europe de l’Ouest ne pourra pas fermer indéfiniment son marché du travail. 2014 est la date limite. Il est possible que beaucoup de chômeurs et de main-d’œuvre peu qualifiée y affluent.
C’est un problème indéniable pour ces pays. Il faut qu’ils s’y fassent, parce que nous leur avons envoyé dix fois plus de main-d’œuvre qualifiée et éduquée, qui fait défaut aujourd’hui à notre économie.
La pratique française consistant à mettre les Roms dans un avion et à les renvoyer chez eux n’apporte aucune solution. Bien au contraire. La situation empire. Et cette campagne contre la Bulgarie et la Roumanie fera de toute façon une victime : les Roms.
Ce sera difficile pour eux ici comme là-bas, jusqu’à ce que l’on comprenne que c’est toute l’UE qui doit penser à eux.
Kapka Todorova**24 Tchassa (extraits) Sofia – Paru le 28 août Lu dans « Courrier international N°1197
* Fin des mesures transitoires prévues par les traités d’adhésion à l’UE de la Roumanie et de la Bulgarie de 2007. A cette date Roumains et Bulgares pourront librement venir travailler dans les autres pays de l’Union.
**Correspondante du quotidien 24 Tchassa en Allemagne.
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En Roumanie, le cercle sans fin de la pauvreté
Les Roms essaient tant bien que mal d’améliorer leurs conditions de vie. Principal obstacle : le manque de volonté et de moyens des pouvoirs publics pour qu’ils accèdent à l’enseignement secondaire.
Depuis vingt ans, on débat de la « question rom ». Pourquoi les Roms sont-ils différents ? Pourquoi tant de problèmes avec l’intégration de cette minorité ? Que faut-il faire ? Toutes les réponses peuvent se résumer à l’éducation. Parce que plus d’un quart de la population analphabète de Roumanie est composée de Roms. Parce que la plupart des élèves Roms abandonnent l’école avant le collège, parce que seulement 0,5 % des Roms sont diplômés. Les Roms ne sont pas différents parce qu’ils sont Roms. Ils sont différents parce qu’ils n’ont pas d’éducation et ils n’ont pas d’éducation parce qu’ils vivent dans la misère… Il arrive de temps en temps qu’on voie des reportages avec des élèves doués étudiant à la lumière d’une bougie. Mais ce sont des exceptions. La règle est plutôt que ceux qui vivent dans la misère perpétueront la misère.
J’ai assisté au début de l’année scolaire dans une école élémentaire du département de Dâmbovita [dans le centre-sud du pays], l’école du village de Iazu, où la proportion de Roms est de plus de 95 %. L’État espagnol, la mairie de Madrid et les ONG roumaines ont investi dans ce bâtiment bien éclairé, chauffé, équipé d’ordinateurs. Un projet européen auquel le gouvernement roumain ajoute quelques fournitures scolaires chaque année. Mais certains élèves ne fréquentent l’école qu’à partir de la Saint-Dimitrios (le 26 octobre) et jusqu’au 1er mai. En dehors de cette période ils travaillent… Dès qu’ils sont aptes aux travaux agricoles, ils sont emmenés aux champs, à 10 ans et même à 7. Après 14 ans, les filles peuvent se marier et faire des enfants.
Ion Gheorghe, 62 ans, est le maître d’école. Dans le quart de siècle qu’il a vécu ici, l’enseignant s’est forgé certaines convictions. Par exemple que les enfants Roms sont très dépendants de leurs familles. « Les élèves pleuraient tout le temps lorsqu’ils étaient seuls. J’apportais des chaises et je faisais asseoir les parents sur les bancs à côté d’eux. »
Depuis son inauguration, en 1978, et jusqu’à aujourd’hui, l’école d’Iazu a donné quelques diplômés de polytechnique ainsi que de médecine. Mais la grande majorité des élèves qui l’ont fréquentée abandonnent avant la fin de l’enseignement secondaire ou professionnel. Tout d’abord parce que l’école d’arts et métiers de la commune a été fermée en 2009, en même temps que les écoles professionnelles de tout le pays. Ensuite, d’après l’enseignant, « c’est une spécificité de l’ethnie rom : ils veulent un revenu immédiat, recevoir quotidiennement la récompense de leur travail ». Par conséquent, ils se tournent vers des activités qui leur assurent des gains rapides. La plupart vont travailler dans le bâtiment ou en tant que journalier dans l’agriculture. Le dernier recensement, d’après lequel il y aurait 630.000 Roms dans le pays, en a dénombré 170.000 ayant fini le collège. Plus de 120.000 d’entre eux ont abandonné avant la fin du lycée. Le dernier recensement nous montre aussi que nous avons 67.480 Roms analphabètes, soit un quart de la population analphabète de Roumanie. Un Rom sur dix du pays est analphabète.
Ordinateurs. Que faire pour les enfants Roms ? Bon nombre de programmes sociaux leur sont destinés, tous mis en œuvre par des ONG. L’État est aussi actif ici que dans l’économie, la culture ou le sport, c’est-à-dire pas du tout, alors qu’il devrait pousser les Roms à finir au moins le lycée. De l’argent, il y en a. La Norvège, par exemple, finance la Roumanie pour qu’elle intègre les Roms. Oslo va allouer au gouvernement roumain plus de 300 millions d’euros destinés au développement, 10% de cette somme étant prévus pour l’aide et l’intégration des Roms. Que fera le gouvernement de cet argent ?
Dans la classe, 13 ordinateurs flambant neufs sont alignés le long du mur. Ils restent éteints. Qui pourrait enseigner aux enfants comment utiliser un ordinateur dans la mesure où certains d’entre eux n’ont même pas l’électricité chez eux ? « Personne, répond l’enseignant. Nous ne pouvons pas nous permettre d’embaucher un professeur d’informatique. » Les ordinateurs sont arrivés à l’école d’Iazu à la suite d’un programme gouvernemental lancé par des gens qui n’ont probablement jamais mis les pieds dans le village.
Un quart des élèves de Gheorghe viennent de familles monoparentales. Souvent les enfants sont élevés par les grands-parents, pendant que les parents refont leur vie. « Plus de la moitié des élèves viennent de familles vivant au-dessous du seuil de pauvreté. Leur seul revenu est l’aide sociale, de 180-220 lei [environ 50 euros], plus l’allocation pour les enfants. »
Lorsque la Roumanie a intégré l’Union européenne, l’école d’Iazu n’était pas pourvue de bibliothèque. Cela fait seulement deux ans qu’elle en a une. « Nous avons réussi à constituer un petit fonds de livres. Les enfants sont désireux d’apprendre, mais il y a des foyers où il n’y a pas un seul livre. On sent bien que, jusqu’à il y a cent ans, les Roms parlaient seulement le romani. Les enfants ont un vocabulaire très réduit, ils fonctionnent avec quelques mots. Par conséquent, nous devons bien soupeser chaque mot pour nous assurer d’être compris. » Les Roms de Iazu parlent seulement le roumain. Ils ne connaissent pas du tout le romani et ne veulent pas l’apprendre. « Au lieu d’apprendre le romani, les Roms ont préféré faire venir de la ville de Târgoviste [chef-lieu du département] un professeur de français », raconte l’enseignant. Un passeport pour Paris.
Petre Florin Manole – Adevarul Bucarest – Publié le 24 septembre. Lu dans « Courrier international N°1197.
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Bon à savoir … ou si vous l’avez oublié.
Le terme générique de « Rom » a été adopté par l’Union romani internationale et par l’Europe pour désigner divers groupes qui se décrivent eux-mêmes comme Roms, Kalés, Gitans, Tsiganes, Gypsys, Manouches, Sinti, etc., selon les pays et les régions d’Europe où ils vivent. Il s’agit de communautés qui ont émigré d’Inde au Xle siècle – rom vient de « homme » en hindi. Elles ont longtemps eu une langue commune, le romani, même si ce n’est plus vrai aujourd’hui. Le calo parlé par les Gitans ibériques, par exemple, est une langue d’origine romani largement influencée par l’espagnol et comprend à son tour de nombreux dialectes selon les régions. En romani, « romanichel » signifie te « peuple des Roms ». Les Roms seraient entre 10 et 12 millions en Europe, dont la moitié vivent dans les 28 pays de l’UE. L’immense majorité des Roms sont sédentaires.
L’Union européenne et le Conseil de l’Europe (qui rassemble 47 pays) les considèrent comme « la plus importante minorité ethnique de notre continent ».