Mais « non morté » encore …
Désavoué par une partie de ses proches, qui l’ont contraint à voter la confiance au gouvernement d’Enrico Letta, et en passe d’être évincé du Sénat – qui décidera le 4 octobre de le déchoir de son mandat ou non -, Silvio Berlusconi se dirige vers une inéluctable sortie de scène.
Pour la première fois depuis vingt ans, la crise politique a été évitée non pas grâce ou malgré Berlusconi, mais dans l’indifférence absolue de ce qu’a pu faire ou ne pas faire le Cavaliere, prisonnier depuis des jours d’une spirale infernale qui l’a fait changer de position au moins une dizaine de fois.
Le fait qu’à l’issue d’une journée parlementaire mouvementée, et d’une certaine manière historique, le leader du centre-droit, comme pétrifié, ait annoncé personnellement au Sénat, à la surprise générale, qu’il voterait la confiance (alors qu’il avait ordonné la démission de ses ministres le 28 septembre et qu’il avait demandé peu de temps auparavant à ses sénateurs de voter la défiance), n’a eu aucune influence sur l’issue de la partie de poker complexe qui s’est jouée ces derniers jours.
Les dés étaient d’ores et déjà jetés, depuis que les dissidents du PDL avaient annoncé, dans la nuit du 1er au 2 octobre, qu’ils ne lâcheraient pas le gouvernement, lequel pouvait ainsi compter sur l’appui d’un nombre suffisant de parlementaires pour lui assurer une nouvelle majorité au Palazzo Madama (le siège du Sénat).
Ainsi, celui qui fut le symbole de la Deuxième République (le cadre institutionnel né après le raz-de-marée de l’enquête anti-corruption « Mains Propres » au début des années 1990), la pièce maîtresse de tous les chapitres politiques de ces vingt dernières années, le leader qui était toujours parvenu à jouer un rôle déterminant non seulement dans son propre camp mais également dans le camp adverse, est devenu partout superflu.
Berlusconi n’en revenait pas, et il a mis quelques heures à se rendre compte de ce qui s’était passé. Puis, lorsqu’il a compris, il s’est résigné à être utile et à voter pour le gouvernement, pour ne pas être le témoin de la scission de son parti. Son leadership charismatique, qui jusqu’au 30 septembre au soir, lui avait permis d’éviter toute forme de débat interne, a subitement volé en éclats.
Un nouveau leader
Évaporè en un clin d’œil. Tourné en bourrique, déboulonné par les bordées d’injures des électeurs de centre-droit sur Internet, déboussolés, pour le moins, par l’inconséquence incompréhensible avec laquelle Berlusconi a opéré sa tentative malheureuse de faire tomber le gouvernement. Désormais, tout le monde s’accorde à penser que la nouvelle majorité (…) a donné naissance à un nouveau leader en la personne du vice-président du conseil.
Alfano, à qui les siens avaient toujours reproché par le passé un certain manque de courage, a cette fois montré les muscles
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Au-delà des louvoiements et de la crise d’un leadership usé depuis longtemps (…) ce qui s’est produit ces derniers jours, jusqu’au point d’orgue spectaculaire de la journée du 2 octobre, était déjà inscrit dans les prémices de l’ouverture politique. Non pas la pacification, (…) mais plutôt la naissance, avec la bénédiction du président de la République, Giorgio Napolitano, d’un « axe d’urgence » qui s’est révélé inoxydable entre Letta et Alfano, les Castor et Pollux du gouvernement.
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Marcello Sorgi – La Stampa Turin – Traduction : Jean-Baptiste Bor- lu dans « Courrier international » Web
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Une crise politique sous contrôle… des marchés
Avec 62 gouvernements depuis 1946, la République italienne est coutumière des crises politiques, même si celle qui se déroule sous nos yeux n’a rien d’ordinaire. Le scénario ressemble pourtant aux épisodes précédents. Samedi dernier, un parti membre de la coalition gouvernementale, le Peuple de la liberté (PDL) de Silvio Berlusconi, a fait démissionner ses ministres.
Et mercredi, le président du Conseil, Enrico Letta, devait poser la question de confiance au gouvernement. Jusque-là, rien de nouveau, hormis la recomposition en cours de la droite, sur laquelle Berlusconi semble perdre la main. Le risque que finisse l’expérience du gouvernement d’union nationale d’Enrico Letta, chargé d’ « assainir les comptes publics », fait débat au sein de la droite italienne.
Les ministres du PDL se sont démarqués de leur mentor. Et certains députés de droite disent leur volonté de créer un parti modéré, qui accepterait ouvertement les recommandations de Bruxelles, afin de mettre fin à « l’anomalie italienne »: la domination d’une droite populiste.
L’histoire de ces deux dernières décennies montre que, sous Berlusconi, la droite a laissé croître les déficits pour financer ses baisses d’impôts. Pour cacher ses ennuis judiciaires – il pourrait perdre son immunité le 4 octobre -, Silvio Berlusconi poursuit aujourd’hui ce fil d’Ariane en critiquant la décision du gouvernement d’augmenter la TVA de 21 à 22 % et de ne pas supprimer la taxe foncière (IMU).
Une vingtaine de députés de droite pourraient rompre ce fil afin de prolonger la vie du gouvernement. Il faut dire que l’Italie est sous souveraineté limitée. L’augmentation brutale des taux d’intérêt sur la dette a convaincu une partie des députés de droite, en 2011, de désarçonner le Cavaliere, entraînant la formation d’un gouvernement d’union nationale sous la houlette de l’ancien commissaire européen à la Concurrence Mario Monti.
Cette semaine encore, les marchés étaient à la manœuvré. Après les menaces de l’agence de notation Fitch, la hausse des taux d’intérêt à 4,6 % le 30 septembre sonnait déjà comme un avertissement. Quant au chef du patronat italien, Giorgio Squinzi, il est sur la même longueur d’onde : soit Enrico Letta peut continuer de travailler, soit l’Italie sera dans la situation d’une entreprise sous « administration judiciaire », gérée par la troïka, gui a mis sous la coupe de l’austérité les États grec, irlandais, portugais et chypriote.
GAËL DE SANTIS – HD N°21267 Oct. 2013 – Page 74