Roms : “Valls a commis une faute politique”
Geoffrey Le Guilcher a interviewé Laurent El Ghozi au sujet de la politique gouvernementale sur immigration Rom et les positions de Manuel Valls– Laurent El Ghozi est président de la Fnasat (Fédération nationale des associations solidaires d’action avec les Tsiganes et les Gens du voyage), conseiller municipal à Nanterre et cofondateur du collectif national Romeurope – analyse la politique du gouvernement socialiste à leur égard.
INROCKS – G. Le Guilcher : En 2011, vous disiez espérer beaucoup de l’arrivée au pouvoir d’un gouvernement de gauche. Qu’en est-il aujourd’hui ?
L. El Ghozi : Les choses ne sont pas la hauteur de ce qu’on espérait. Et de ce que la gauche devrait faire. Notons tout de même que des choses ont changé. Nous avions été reçus par l’équipe de campagne de Hollande en mars 2012. Dans la foulée de la victoire de la gauche, nous avons eu un rendez-vous, le 22 août 2012, avec le Premier ministre et quelques-uns de ses ministres.
Le 26 août était sortie une circulaire (relative à l’anticipation et à l’accompagnement des opérations d’évacuation des campements illicites – ndlr) signée par sept ministres : Vincent Peillon (Éducation), Marie-Arlette Carlotti (Affaires sociales), George Pau-Langevin (ministre délégué en charge de la Réussite éducative), Cécile Duflot (Logement), Marisol Touraine (Affaires sociales) et Manuel Valls (Intérieur). Cette circulaire indiquait qu’il s’agissait dorénavant d’une politique interministérielle.
INROCKS : Que contient cette circulaire dans le détail ?
L. El Ghozi : Elle dit très clairement que les bidonvilles sont inacceptables et que les évacuations sur décision de justice doivent être exécutées. C’est la loi. Néanmoins, préalablement à toute évacuation, il doit y avoir un diagnostique “social, global et individuel”. Troisième élément majeur : l’ensemble des services de l’État doivent contribuer à favoriser l’intégration des personnes qui souhaitent être intégrées. La scolarisation ne souffre aucune limite en dessous seize ans, l’accès aux soins va de soi, l’hébergement est un droit inaliénable… Bref, la loi est rappelée.
INROCKS : Quand Valls dit que les Roms “ne souhaitent pas s’intégrer” et “ont vocation à revenir en Roumanie ou en Bulgarie“, est-il “hors la loi” ?
L. El Ghozi : C’est un propos raciste et en France, c’est condamnable. Une plainte a donc été déposée par l’ Ufat (Union française des associations tsiganes) et le Mrap (Mouvement contre le racisme et pour l’amitié entre les peuples). Romeurope ne l’a pas fait car nous ne sommes pas en capacité, en tant que collectif, de mettre d’accord rapidement une trentaine associations, mais certaines assos de Romeurope le font. Je ne parle même pas des propos des maires de Nice ou de Cholet qui sont en plus des incitations à la haine raciale. Par ailleurs, Valls dit qu’il applique la loi, mais en réalité, il n’en applique qu’une partie : il ne garde que le côté expulsion de la circulaire.
INROCKS : Il expulse sans le diagnostique préalable ?
L. El Ghozi : Le diagnostique, c’est très bien sur le papier. Il est même défini de manière assez précise. Dans la foulée de la publication de la circulaire, Alain Régnier a été nommé préfet (délégué interministériel pour l’hébergement et l’accès au logement des sans-abri, le préfet Alain Régnier est chargé de coordonner les actions du gouvernement envers les migrants d’origine bulgare ou roumaine – ndlr) pour mettre en œuvre la circulaire avec cinq personnes à ses côtés et des moyens financiers. On pouvait alors penser et espérer que les évacuations n’allaient pas se passer comme avant. Mais les diagnostiques, ce sont les préfets qui décident qui les réalise. La majorité d’entre eux confient les diagnostiques à des gens qui font des recensements administratifs. Un recensement se fait en une journée, un diagnostique, cela prend trois semaines… Cela signifie qu’il faut voir 200 personnes dans la journée. Cela ne permet pas de comprendre qui veut quoi, quelles activités rémunératrices sont exercées… Car, là encore, contrairement à ce que tout le monde dit, les Roms travaillent.
INROCKS : De plus, cette politique est censée être interministérielle…
L. El Ghozi : C’est le deuxième élément : la mobilisation de tous les services de l’État. Pour cela, le préfet Régnier dispose, dans chaque préfecture où il y a des Roms, d’un délégué. Il y a aussi un comité de suivi national dans lequel il y a Romeurope, les différents services de l’état et des représentants d’associations et des collectivités. Existe également un groupe d’élus volontaires. Et derrière, il y a Manuel Valls qui continue à dire que ces gens n’ont pas vocation à rester en France et qu’il faut démolir tous leurs campements…
INROCKS : Comment expliquer cette différence entre le travail du gouvernement et les sorties du ministre de l’Intérieur ?
L. El Ghozi : On voit bien que le gouvernement est schizophrène. Car il ne faut pas oublier qu’il y a davantage de ministres volontaristes. Nous avons Marisol Touraine qui a donné des consignes pour que l’accès aux soins soit effectif, Michel Sapin qui a fait une circulaire au service de Pôle emploi, George Pau-Langevin qui a rappelé que le droit, c’était la circulaire dans son entier, Vincent Peillon, Cécile Duflot et Marie-Arlette Carlotti qui ont pris la parole…
INROCKS : Donc Valls fait sa politique d’évacuation de son côté ?
L. El Ghozi : Les six premiers mois de 2013, il y a eu 12 000 personnes déplacées, d’après les chiffres d’ Amnesty international qui recoupent les nôtres. Vous vous rendez compte ? C’est absolument énorme, pour un coût considérable et un effet nul. Il y a autant de Roms sur le territoire qu’il y a un an, à savoir entre 15 et 20 000 personnes. Comme depuis dix ans d’ailleurs. Conclusion : Valls réalise une politique inefficace, coûteuse et inhumaine.
INROCKS : Qui a le plus d’incidence directe sur les Roms, le ministère de l’Intérieur ou le gouvernement ?
L. El Ghozi : La question est là, il faut trancher. Un courrier a été adressé au président de la République par huit associations nationale d’envergure (le Secours catholique, la Cimade, le CCFD-Terre Solidaire, Emmaüs-France, la Fédération nationale des associations de réinsertion sociale, Médecins du monde, le Collectif romeurope et ATD Quart-Monde – ndlr). On a écrit à François Hollande pour dire qu’il était urgent qu’il prenne la parole pour rappeler les principes de la République et qu’on ne pouvait pas dire qu’une population, désignée sur une base ethno-raciale réelle ou supposé, était impossible à intégrer.
INROCKS : Que pensez-vous des propos de François Hollande qui rappelle aujourd’hui que les deux lignes de conduite du gouvernement à l’égard des Roms sont : “fermeté et humanité” ?
L. El Ghozi : Tout le monde peut être d’accord sur ces termes. En revanche, jusqu’à présent, ils ne sont pas appliqués. Quand on ne scolarise pas les enfants, qu’on ne respecte pas la vie privée et familiale, qu’on ne permet pas à des citoyens européens simplement de circuler, on ne respecte pas les textes de l’Union européenne. Encore une fois, ce qui importe, c’est ce que Hollande va dire précisément sur les principes de la République. Pour moi, il n’y a pas de Roms, il n’y a que des citoyens. Le droit, c’est tout le droit, pas seulement un morceau. A fortiori, quand on a des valeurs de gauche qui sont la solidarité, l’accueil de l’étranger et de non-discrimination.
INROCKS : Que cherche Manuel Valls ?
L. El Ghozi : C’est compliqué. Il se trouve que je le connais car il a commencé sa carrière politique à Argenteuil, ville proche de Nanterre (où Laurent El Ghozi est conseiller municipal – ndlr). Je crois qu’il est profondément convaincu que ceux qui souffrent de l’insécurité, ce sont les gens fragiles. Il est donc de gauche de ce point de vue. De plus, je crois aussi qu’il est convaincu que si on n’assure pas la sécurité des citoyens, on fait le lit du FN. Mais je suis absolument sûr qu’il se trompe de discours. Ce n’est pas en stigmatisant les populations qu’il rassurera les gens. Au contraire, ces propos autorisent n’importe qui à dire les pires choses, y compris que “Hitler n’a peut être pas tué assez”…
Ce sont aussi des propos qui vont être attaqués en justice. Valls autorise ainsi tous les dérapages et les amalgames et il se trompe de politique. Le simple fait que cette politique soit aussi peu efficace, coûteuse et condamnée par Viviane Reding (vice-présidente de la Commission européenne), par des associations comme Amnesty international, par des gens de son propre gouvernement, par des membres du PS… Cela devrait quand même le faire réfléchir. Lorsqu’on affirme qu’on va régler un problème et qu’un an après il y a le même nombre de Roms, la seule chose qui a changé c’est qu’on a juste deux fois plus de gens exaspérés. Lorsqu’on est aussi inefficace, on décrédibilise sa parole et son action. Pour moi, c’est une faute politique.
Geoffrey Le Guilcher Les inrocks Web du 02-10-13