A la recherche des enfants disparus

De l’histoire passé, il y a toujours quelque chose à apprendre. MC

1939-1945 Pologne – Durant la Seconde Guerre mondiale, les nazis ont enlevé des centaines de milliers d’enfants polonais pour en faire des « Aryens ». Roman Hrabar en a retrouvé trente mille.

Printemps 1947, Allemagne, zone d’occupation américaine. Une Jeep avale les 140 kilomètres qui séparent Ratisbonne de Munich. A l’entrée de la petite ville de Landshut, un camion avec des plaques minéralogiques allemandes lui barre la route. Le chauffeur de la Jeep évite de justesse la collision en quittant la chaussée. Le camion disparaît au tournant.

« Etait-il ivre ? » demande, blanc de frayeur, le passager, qui arbore un écusson de la Croix-Rouge polonaise sur son uniforme. « Certainement pas, lui répond le chauffeur. Il a voulu nous pousser au fond du ravin. Les nazis sont toujours là. » Le passager se tait, il repense à ce que lui a dit le chef de la Croix-Rouge polonaise en Allemagne en guise de bienvenue, quelques jours auparavant à Heidelberg : « Vous allez trouver des ennemis partout. »

Le passager a pour nom Roman Hrabar, envoyé spécial du gouvernement polonais.

Sa mission est de récupérer des milliers de petits Polonais arrachés par les nazis à leurs parents pendant la guerre afin d’être germanisés. Hrabar est conscient de la lourdeur de sa tâche. Il connaît les conclusions de l’enquête menée en Pologne sur le caractère massif de ces enlèvements, méticuleusement orchestrés par un système d’institutions subordonnées à Heinrich Himmler, commissaire au renforcement de la germanité.

On estime à 200.000 le nombre des enfants polonais qui se trouvent en Allemagne au lendemain de la guerre. Leurs papiers d’identité ont été falsifiés. Ceux qui ont été placés en bas âge dans des familles allemandes ne se souviennent plus de leur vie d’avant.

Comment les retrouver?

Depuis la fin de la guerre, des centaines de milliers de rapatriés de l’Est et de l’Ouest affluent à Katowice. Tous cherchent leurs proches. Au début, les disparitions sont un élément inévitable du chaos de l’après-guerre. De nombreux enfants manquent à l’appel.

Hrabar analyse des avis de recherche, frappé par le caractère répétitif des circonstances dans lesquelles les enfants ont été séparés de leurs familles. Ils ont été enlevés dans des écoles, des hôpitaux, à leur domicile et même dans la rue, puis placés dans des centres de transit d’où ils ont été envoyés vers une destination inconnue.

Parfois, il suffisait que l’enfant ait les yeux bleus et les cheveux blonds pour qu’il réponde à l’idéal racial aryen.

Hrabar commence alors à étudier des piles de documents de l’administration nazie. Il découvre avec stupeur que, en dépit du mépris officiel vis-à-vis des Slaves et des « sous-hommes de l’Est », les spécialistes nazis de la race aryenne considéraient que les Slaves et les Allemands possédaient les mêmes caractéristiques raciales, mais dans une configuration différente.

La « théorie des sangs apparentés » est à l’origine d’une sélection à laquelle ont été soumis les enfants polonais de 6 à 10 ans, effectuée sous couvert d’un examen médical. Les enfants « racialement de valeur » étaient ensuite enlevés à leurs parents. Pour ce faire, tout un système a été mis en place sous la férule du Lebensborn, une organisation SS.

Au printemps 1947, Roman Hrabar et son équipe se rendent au quartier général de l’Administration des Nations unies (Unrra) pour le secours et la reconstruction, à Heidelberg, dans la zone d’occupation américaine. Les Américains leur accordent une accréditation. Ils entament leurs recherches à Ratisbonne, en Bavière.

A l’antenne locale de l’Unrra, quelque 4.000 enfants de Silésie sont fichés. Les entretiens montrent que les plus jeunes ne se souviennent plus de leur vie d’avant. Malgré tout, le bilan est positif : Hrabar parvient à identifier la majorité de ces enfants comme étant des Polonais.

Au début de l’été 1947, les premiers trains de petits rapatriés commencent à arriver à Katowice. Mais une mauvaise nouvelle parvient au bureau du délégué polonais de la Croix-Rouge : le département de l’Unrra affecté à la recherche d’enfants, jusque-là favorable aux Polonais, va être dissous. « La ‘guerre froide’ commence à porter ses fruits », constate Hrabar.

En 1948, il devient de plus en plus difficile d’organiser le retour d’enfants au pays. La Pologne communiste n’est pas membre de l’Organisation internationale pour les réfugiés (OIR), héritière de l’Unrra. A cause de la guerre de Corée, le délégué de la Croix-Rouge polonaise en Allemagne doit subir l’hostilité des administrations occidentales en Allemagne.

Jusqu’à la fermeture de son bureau, le 31 août 1950, Roman Hrabar a réussi à faire rentrer 33.000 enfants en Pologne: 20.000 ont été retrouvés dans la zone d’occupation soviétique, 11.000 dans les zones occidentales et 2.000 en Autriche. Mais cela ne représente que 10 à 15 % de tous les enfants polonais enlevés par les nazis. Près de 170.000 ne sont jamais revenus.

Après sa mission en Allemagne, Roman Hrabar est retourné à Katowice, où il a ouvert un cabinet d’avocats. Il a écrit plusieurs livres sur le Lebensborn et le vol d’enfants organisé. C’est un sujet presque oublié aujourd’hui. Il a mis sa riche documen­tation à la disposition des parents qui, dans les années 1960, continuaient à chercher leurs enfants. Il est décédé en 1996.

Andrzej Fedorowicz – Publié le 3o juillet – Polityka (extraits) Varsovie, lu dans Courrier international N°1195