Publié le vendredi 27 septembre 2013, dans un fasciculé édité par le groupe FdG Rhône-Alpes – Interview Thomas PORCHER Économiste et auteur du livre « Le mirage du gaz de schiste ». Permalien vers l’article
Dans la dénonciation des méfaits des GDS, vous allez plus loin, en présentant cette ressource énergétique non seulement comme néfaste pour l’environnement mais également non viable économiquement.
Sur quels critères fondez-vous ce raisonnement ?
Aujourd’hui, le débat est mal posé et se résume à une balance entre les gains économiques d’un côté et le coût environnemental de l’autre. Mais pour moi, les gains économiques sont surévalués. En termes d’emplois, jamais un pays producteur de gaz ou de pétrole n’a réussi à créer autant d’emplois directs et indirects via la production. D’ailleurs, la production de gaz crée tellement peu d’emplois que les spécialistes la qualifient de rente gazière.
Le secret des américains réside uniquement dans le forage intensif des zones d’exploitation. Car en réalité, il y a moins d’un emploi crée par puits et donc pour en créer en continu, il faut forer sans cesse. Par exemple, aux États-Unis, il y a eu 600.000 emplois créés pour 500.000 puits forés.
Cela veut dire que pour créer les 100.000 emplois que certains ont annoncés, il faudra forer 90.000 puits. C’est ça la réalité du gaz de schiste, un forage intensif. D’ailleurs aujourd’hui, il y a plus de forages au Colorado qu’au Moyen-Orient et les premiers plans de forage au Royaume-Uni tablent dans certaines régions sur 3.000 puits d’entrée de jeu.
Le problème avec le mode de calcul de certains est qu’il ne prend en compte que les créations d’emplois sans tenir compte des externalités négatives pour les populations avoisinantes ou pour le climat.
Par exemple, cela ne sert à rien de parler des rentrées fiscales de l’exploitation du gaz de schiste si les dépenses de rénovation de voiries, dues à l’exploitation du gaz et payées par le contribuable, sont supérieures, ce qui a été le cas dans plusieurs comtés américains.
On ne peut pas parler aussi de créations d’emplois si d’autres dans le tourisme sont détruits comme cela pourrait être le cas dans le Gard ou l’Ardèche. De manière générale, les gains économiques n’ont jamais fait l’objet d’études sérieuses notamment sur l’emploi ou la baisse éventuel des prix du gaz, quant aux externalités négatives, notamment pour les populations avoisinantes, elles sont complètement absentes du débat.
L’ exemple américain est-il exportable en France ?
Absolument pas. Déjà au niveau de la taille des territoires et de la densité de population mais également en termes d’impact sur les prix du gaz. Avec la production de gaz de schiste, le prix du gaz américain est passé de 10 $ à 3 $ permettant à l’industrie américaine d’améliorer sa compétitivité en bénéficiant d’une énergie moins chère.
Outre le fait que la compétitivité ne se résume pas uniquement à la baisse des coûts, rien n’assure que le prix du gaz baisserait en Europe. Car les prix du gaz européens sont indexés au prix du pétrole via des contrats à long terme avec les pays exportateurs.
Certes, aujourd’hui, ils prennent en compte le marché spot à hauteur de 46% mais personne ne peut dire si le prix du gaz en cas de production de gaz de schiste baisserait. Surtout, lorsque l’on sait que le prix du pétrole est structurellement orienté à la hausse depuis 2004.
Le marché du gaz européen est beaucoup plus rigide que le marché du gaz américain et les prix ne baisseraient probablement pas ou peu. Les industriels le savent bien, c’est pour cela que le marché du gaz européen les intéresse car la rigidité du marché va leur permettre de faire des marges supplémentaires en produisant un gaz à un cout d’extraction moindre qu’ils revendront ensuite à un prix plus élevé.
D’ après vous, l’ exploitation des GDS deviendrait-elle rentable si des méthodes d’ extractions plus respectueuses de l’ environnement étaient trouvées?
Non malheureusement ce serait l’inverse car des méthodes plus respectueuses de l’environnement entraineraient un coût d’extraction plus élevé ce qui diminuerait la rentabilité du gaz de schiste.
Rappelons que si le gaz de schiste a eu un tel succès aux États-Unis, c’est d’abord grâce à des choix politiques offrant aux compagnies un cadre règlementaire favorable. La Loi « energy policy act » en 2005 a permis aux compagnies pétrolières de s’affranchir d’un certain nombre de règles notamment le « clean water act » et et de bénéficier d’incitations fiscales.