Laïcité : 1905, la séparation des Eglises et de l’Etat

Comme d’habitude sur ce blog, deux approches (et conséquences?) de la laïcité dans les articles ci-dessous. A vous de vous faire votre idée sur le sujet. MC

(…) l’histoire de l’adoption de la loi de 1905 de séparation des Eglises et de l’Etat est riche d’enseignements, comme le montre une série d’ouvrages (…).

  • D’abord, la réédition d’un classique devenu introuvable, Histoire de l’idée laïque en France au XIXe siècle (1). Publié en 1929, ce livre revient sur les quatre courants qui ont contribué à la conception laïque de l’État
  1. les catholiques héritiers de la tradition gallicane de la monarchie d’Ancien Régime
  2. les protestants libéraux
  3. les déistes de toutes les sensibilités
  4. les libres-penseurs et les athées.

Même si cette catégorisation peut sembler réductrice, ainsi que le souligne Jean-Michel Ducomte, président de la Ligue de l’enseignement dans sa préface, le livre éclaire l’apport de chacun au combat pour la laïcité. (…)

Parmi les penseurs du courant protestant qui jouèrent un rôle dans ce combat, un des plus importants fut Francis de Pressensé. C’est à cette personnalité hors du commun que Rémi Fabre consacre une biographie (2), qui recoupe en partie l’histoire de la IIIe République.

Libéral conservateur, Pressensé se radicalise avec l’affaire Dreyfus et finit par rejoindre le mouvement socialiste. Il sera président de la Ligue des droits de l’homme. Avec Jaurès et Briand, il jouera un rôle essentiel dans la formulation des principaux points de la loi de 1905, dans le refus de ce qu’il appelait « une législation de colère ». Il s’agissait pour lui d’assurer une totale liberté de conscience : « Ce que Pie X redoute, écrivait-il, c’est le régime civil de la liberté. Ce serait une folie criminelle que faire son jeu en restreignant à un degré quelconque les libertés nécessaires. »

  • Ce libéralisme du texte de 1905 est confirmé dans l’ouvrage d’Alain Boyer, 1905 : la Séparation Eglises-Etat  (3).

L’auteur rappelle d’abord la signification des différents articles de cette loi fondatrice. Il retrace l’évolution de l’Église catholique, du refus absolu de la laïcité à son acceptation – après que la République eut consenti à certains compromis.

Puis il revient sur les adaptations d’un texte qui, contrairement aux idées reçues, a été modifié à plusieurs reprises depuis 1905, et qui ne s’est jamais appliqué à tout le territoire national : statut spécial de l’Algérie, maintien du Concordat en Alsace-Moselle après 1918, statut spécial actuel de la Guyane. Alain Boyer explique que, contrairement à une autre idée répandue, la loi ne renvoie pas la liberté religieuse à la sphère privée. « Le droit associatif régit désormais le libre exercice public des cultes, encadre ses manifestations collectives. (…) Il s’agit bien de permettre une expression publique et collective des croyances individuelles. » Boyer s’interroge également sur la capacité de la loi à répondre aux nouveaux défis, en particulier l’affirmation de la religion musulmane et le problème posé par le faible nombre de ses lieux de culte.

  • Enfin, la dernière contribution, la plus ambitieuse aussi, est celle de Jean Baubérot, Laïcité 1905-2005, entre passion et raison (4).

Mêlant regard d’historien et approche sociologique, l’auteur nous entraîne dans un passionnant voyage à travers un siècle de controverses franco-françaises, notamment autour de l’école (de la naissance de l’école laïque à la loi Debré et au débat sur le foulard), de la conception de l’universel, du rapport ambigu entre Etat républicain et droits de la personne, de la religion civile en France et aux Etats-Unis. Comme le rappelle Baubérot en conclusion, son ouvrage propose « une perspective où l’islam est un miroir grossissant et non un élément déterminant des problèmes rencontrés aujourd’hui par la laïcité », une réalité qui a échappé à la plupart des commentateurs.

Notes

(1)  Georges Weill, Histoire de l’idée laïque en France au XIXe siècle, Hachette/Pluriel, Paris, 2004, 412 pages, 10,80 euros.

(2)  Rémi Fabre, Francis de Pressensé et la défense des droits de l’homme. Un intellectuel au combat, Presses universitaires de Rennes, Rennes, 2004, 417 pages, 22 euros.

(3)  Alain Boyer, 1905 : la Séparation Eglises-Etat. De la guerre au dialogue, Cana, Paris, 2004, 185 pages, 18 euros.

(4)  Seuil, Paris, 2004, 280 pages, 21 euros.

Source « Archives du Monde Diplomatique » – Extrait d’un article paru en Décembre 2004 qui garde toute son actualité. Auteur : Alain Gresh

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Décentraliser l’éducation pour mieux la privatiser

Transférer les compétences aux collectivités locales ? L’objectif est double : dégager des économies et mettre les établissements en concurrence. Bref, préparer un « marché ».

Marseille. Dans la cour de l’école primaire Korsec, les professeurs des écoles en poste attendent les parents d’élèves pour une réunion d’information. Dans cet établissement entouré d’immeubles pour moitié délabrés, le public d’élèves est à 99% d’origine immigrée, dont 37% de primo-arrivants.

En 2001, cette école avait les résultats les plus bas de la zone d’éducation prioritaire (ZEP) de Marseille, elle-même au plus bas du « classement » scolaire. Quelques années plus tard, l’action de l’équipe pédagogique a permis de faire remonter les résultats, notamment grâce à des classes à effectifs réduits et des rencontres régulières avec les familles. Mais l’emploi-jeune qui s’occupait de la bibliothèque quitte l’établissement; son contrat n’est pas renouvelé. En 2003, il n’en reste plus qu’un sur les quatre en poste l’année précédente. L’infirmière s’apprête à recevoir sa lettre de transfert vers le rectorat – il ne restera bientôt dans l’école que les « instits ».

Lorsqu’ils ont l’occasion de se promener en ville, les enseignants de Korsec sont abasourdis de découvrir combien les écoles des beaux quartiers sont mieux équipées. Les idéologues de la décentralisation ne mentionnent pas le clientélisme larvé que celle-ci véhicule. Dans bien des écoles, le nettoyage est dès le début des années 2000 réalisé par des sociétés privées, et la cantine assurée par Sodexo. Plutôt que de privatisation générale, le système d’enseignement est découpé et vendu par morceaux.

La distribution des parts de marché par les municipalités peut même se faire sous couvert de service public. Mais les écoles les plus démunies, et dont les publics sont les moins « rentables » en termes de votes, ne vont pas en tirer profit. Pour l’enseignement primaire, les effets de la décentralisation et de la gestion locale ne sont pas seulement différenciés entre les régions, mais entre les établissements d’une même ville, voire d’un même secteur.

En 2003, le premier ministre, M. Jean-Pierre Raffarin, justifie néanmoins, comme ses prédécesseurs socialistes, le transfert de plus de cent dix mille fonctionnaires de l’éducation nationale vers les collectivités territoriales en invoquant la recherche d’une meilleure « efficacité » et d’une plus grande « cohérence » dans l’organisation du service public.

Les assistantes sociales et les médecins scolaires seront alors rattachés aux conseils généraux, qui ont déjà la charge de l’action sociale ; les personnels techniques, ouvriers et sociaux (TOS), aux départements et régions, responsables de l’entretien des établissements secondaires. Les conseillers d’orientation-psychologues seront eux aussi transférés aux régions.

A nouvel employeur, nouvelles missions : ils se consacreront au travail d’insertion et à la professionnalisation. Le manque d’encadrement aggravera encore le fonctionnement labyrinthique des filières et des options pour les élèves d’origine populaire.

Les avocats de la décentralisation invoquent la proximité des services publics avec les usagers. Cette logique économique, reconnue comme telle par les pouvoirs publics, doit privilégier les « consommateurs d’école ».

Les lycées de métiers se généralisent afin de rapprocher l’offre d’enseignement du tissu économique local, une mesure qui permet de réorienter les élèves des milieux populaires qui composent l’essentiel des filières techniques et professionnelles dès la fin de la classe de 5c.

Le transfert de compétences et de personnels a d’autres fins que d’améliorer le service : il s’inscrit dans un mouvement général d’économies budgétaires.

Un rapport parlementaire présenté dès avril 2003 l’indique clairement : « La contractualisation (…) et la décentralisation doivent conduire à une déflation des effectifs de l’Etat Recourant à des emplois contractuels. Il pourrait davantage demander aux fonctionnaires titulaires de renoncer à la garantie de l’emploi à vie contre des salaires plus attractifs (1). »

La tendance à la localisation de l’action éducative n’est ni nouvelle ni spécifiquement française. Mise en oeuvre depuis les années 1980 avec la décentralisation et la déconcentration de l’administration de l’éducation nationale, elle a eu des effets positifs, notamment sur la rénovation de certains établissements par les conseils généraux.

Mais elle a aussi contribué à renforcer la mise en place d’un « marché scolaire » où les choix éducatifs des familles rencontrent l’offre concurrentielle des établissements.

Cette concurrence a accentué les disparités territoriales : les « bons établissements » regroupent ainsi toujours plus de « bons élèves », tandis que certaines zones concentrent les élèves en difficulté scolaire et sociale.

Source : « Manière de voir », Oct-Nov 2013, N°131 – Auteur Franck Poupeau

(I) www.assemblee-nationale.fr/12/rap-info/ i0765.asp

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Voir aussi : http://tempsreel.nouvelobs.com/societe/20130909.OBS6145/laicite-baudis-saisit-le-conseil-d-etat-pour-clarifications.html