Lilian Thuram, que l’on a connu (et apprécié) sur les terrains de foot, est aujourd’hui contraint de pratiquer un autre sport, sur le terrain médiatique, où il se retrouve face au pire des adversaires : la rumeur.
L’ex-star des Bleus vient d’être promu officier de la Légion d’honneur en tant que président de la fondation portant son nom, connue pour mener une action résolue contre le racisme et toutes les formes de discrimination. Quelques jours auparavant, certains journaux avaient rapporté des faits pour le moins troublants.
Tout a démarré quand le magazine Closer a révélé que l’épouse de l’ex-footballeur, la journaliste Karine Le Marchand, avait porté plainte pour « violences conjugales ». Peu après, la jeune femme affirmait que son ancien époux (ils sont séparés) l’aurait poussée contre le réfrigérateur et lui aurait tiré les cheveux. L’avocat de Karine Le Marchand assurait ensuite que la plainte allait être retirée. Elle précisait même qu’aux yeux de cette dernière, Lilian Thuram était « une personne exemplaire, aux valeurs morales très fortes, aux combats sincères et nobles » et que rien ne viendrait entacher leur « estime » réciproque.
On s’excuse pour ce déballage intime, nécessaire pour comprendre la suite de l’histoire. Normalement, on aurait dû en rester là. Dès lors que la plainte est retirée, l’action de la justice s’arrête. Mais pas celle de la rumeur, du lynchage et du procès ad hominem.
Les réseaux sociaux se sont emparés de l’affaire avec un a priori de culpabilité à l’encontre de Lilian Thuram. Un homme célèbre, noir et de gauche, c’est forcément louche. Certains ont rappelé que de nombreuses femmes victimes de violences conjugales se rétractent de peur des conséquences ou après entente avec celui qui les a violentées. Certaines n’osent même pas porter plainte. C’est parfaitement exact, mais une tendance générale ne fait pas une vérité valable en toutes circonstances.
En l’occurrence, sauf élément supplémentaire, rien ne permet de traiter Lilian Thuram comme un clone de Bertrand Cantat. Par respect pour l’intéressé comme pour son ex-compagne, la moindre des choses eut été de les laisser en paix. Mais il en est qui n’ont pas hésité à injurier Thuram, à l’instar d’un groupuscule d’extrême droite qui a affiché ce mot d’ordre d’une rare délicatesse, en dessous de la photo de l’intéressé : « Touche pas à mon pote mais frappe ta femme ».
Quoi qu’il dise et quoi qu’il fasse, l’ex footballeur traînera ce boulet d’infamie.
Il n’est que le dernier exemple d’une longue série. Avant lui, et sans remonter trop loin dans le temps, il y a eu le cas de la garde des Sceaux, Christiane Taubira, suspectée d’avoir un fils en prison pour meurtre. Même chose pour la ministre de la santé, Marisol Touraine, à qui on a demandé des comptes éducatifs sous prétexte qu’elle avait un fils majeur condamné pour des faits délictueux. Depuis quand une mère est-elle comptable des faits et gestes d’un homme majeur et vacciné ?
On pourrait ajouter l’exemple des allusions grossières à l’encontre de Laurent Fabius, ministre des affaires étrangères, en raison des frasques financières et judiciaires de son fils Thomas, alors que ce dernier est largement en âge de répondre lui-même de ses agissements, aussi condamnables soient-ils. Naguère, Rachida Dati avait déjà été sommée de s’expliquer sur les mœurs de l’un de ses frères emprisonné pour trafic de drogue.
A qui le tour ?
Pour certains, le patronyme et le statut social fonctionnent comme des actes d’accusation virtuels. Une chose est de veiller à ce que ces présumés délinquants ne bénéficient d’aucun passe-droit en raison de leur nom. Autre chose est, sans preuve, de mettre tout le monde dans le même panier d’infamie au nom du précepte : si ce n’est toi, c’est donc ton père (ou ta mère, ou ta sœur).
L’affaire est amplifiée par des réseaux sociaux transformés en exutoire à jugement expéditif, sur fond de délire conspirationnistes. Sur la toile prolifèrent des Fouquier-Tinville d’opérette, auto désignés en accusateurs médiatiques. Parfois, les mêmes qui s’offusquent à juste titre de la couronne de gloire tressée au-dessus de la tête du bijoutier de Nice peuvent s’ériger en procureurs prêts à édicter des peines de mort morales.
Comme disait Voltaire : « Un jugement trop prompt est souvent sans justice ».
Source Marianne 2 Permalien