Regard sur les JT

Voilà un type d’article qu’un journaliste-écrivain du nom de Michel Collon (Belge- voir son blog Investig’action) recommanderait comme excellent « article décrivant le mensonge des médias » qu’il nomme « Mediamensonge ». Pour moi les JT d’une manière générale sont des medias mensongés et les explications ci-dessous ne sont pas faites pour me réconcilier avec eux. MC

Images de poubelles calcinées, micros-trottoirs de passants ulcérés, débat sur le «repli communautaire » : les affrontements qui ont opposé cet été la police et des habitants de Trappes ont généré une nouvelle mise en scène du «mal des cités ». Une plongée de plusieurs années dans les cuisines du journal télévisé permet de comprendre comment se perpétuent ces clichés.

0n s’est aperçu que les banlieues étaient devenues pour nous des territoires étrangers, qu’il y avait une part du territoire français dont on ne comprenait plus la langue, la géographie, la sociologie. », expliquait en 2008 l’un des rédacteurs en chef des journaux télévisés de France 2.

Les habitants « ne comprennent pas ce qu’on dit et on ne comprend pas ce qu’ils disent. Ça nous a amenés à en tirer une conclusion immédiate et à nous dire : « Puisque nous sommes à l’étranger lorsque nous sommes en banlieue, faisons ce que nous faisons à l’étranger : payons-nous les services de fixeurs. »»

La reprise de ce terme, qui désigne à l’origine l’accompagnateur payé pour servir de chauffeur, de guide et d’interprète aux reporters dans les pays en guerre, n’est évidemment pas anodine. Ce glissement, qui témoigne d’un changement structurel de l’information sur les quartiers populaires, nous avons pu l’observer lors d’une enquête au sein de la rédaction de France 2 (1).

Le recours aux « fixeurs » met tout d’abord en lumière la lecture plus culturaliste que sociale, que les journalistes font de leurs difficultés d’accès à certaines zones d’habitation.

Parce qu’il a lui-même grandi dans une cité, le fixeur est crédité d’une compréhension naturelle de la banlieue et d’une maîtrise de ses codes – linguistiques, comportementaux, ethniques – prétendument spécifiques. Mais le recrutement de ce type d’intermédiaires révèle surtout la place croissante accordée à la médiatisation des « déviances » des quartiers populaires (2).

On attend des fixeurs qu’ils mobilisent leurs relations (famille, amis…) pour fournir clés en main les protagonistes de reportages sur l’économie souterraine (dealers, voleurs, trafiquants d’armes ou de voitures), la « violence en banlieue » (racket, antisémitisme, maltraitance des femmes), le « fondamentalisme musulman », l’absentéisme scolaire, etc.

C’est ainsi qu’ils justifient la mobilisation systématique d’intermédiaires chargés notamment d’assurer leur protection. « Sarcelles, fais gaffe, ça craint vraiment, conseille par exemple une journaliste à sa jeune collègue. N’y va pas seule. Fais-toi accompagner par quelqu’un de la mairie ou de la communauté, surtout si tu vas recueillir les impressions en bas des immeubles (elle mime la question de la journaliste) : « Alors Mohammed, t’es pas content ? » Le dispositif fonctionne comme une prophétie créatrice : le fait que le tournage se passe bien confirme l’utilité de ces personnes-relais.

Mais le recours aux intermédiaires se justifie aussi par la difficulté matérielle à réaliser en un laps de temps très court (parfois le matin pour le soir) des sujets « incarnés » et « vivants ». Une partie peu connue du travail des journalistes consiste à trouver, dans les quartiers populaires, ces entremetteurs – qui se distinguent des fixeurs par le fait qu’ils ne sont pas rémunérés par la rédaction – capables de présélectionner des habitants dont les trajectoires personnelles correspondent aux commandes de la hiérarchie. S’ils y parviennent, leur réputation sera scellée et leur nom circulera dans les salles de rédaction.

Travelling obligatoire sur les tours

La rencontre avec un seul intermédiaire peut déterminer toute une série de tournages. Début 2001, Denis fait par exemple la connaissance de Tariq, éducateur dans une ville du département de l’Essonne. Il est chargé de réaliser un reportage sur les « tournantes » (viols collectifs) et les relations entre garçons et filles dans les cités, et l’éducateur accepte de lui organiser une rencontre avec des jeunes.

Après les attentats du 11-Septembre, Tariq présentera à Denis un jeune de sa commune « converti à l’islam » : « J’étais très content de tomber sur un truc comme ça. Comme le môme était délinquant, Tariq le connaissait, c ‘est lui qui m’avait donné son numéro de téléphone », se souvient Denis, encore reconnaissant.

Deux jours plus tard, toujours dans la même ville, l’éducateur fournit à Denis des adolescents qui ont pris l’habitude de se réunir dans les halls d’immeuble. Puis c’est à l’occasion d’un reportage sur le « sentiment d’insécurité » que Tariq présente à Denis trois étudiants se plaignant d’être régulièrement contrôlés par la police.

Cette logique de préparation des reportages favorise une surexposition de certaines cités.

Une grande partie des soixante-dix-neuf reportages relatifs à la banlieue réalisés par Denis entre 2000 et 2007 pour les journaux de France 2, ont pour décor les villes où le journaliste dispose de relais. Principalement dans l’Essonne, où Tariq est implanté (deux villes cumulent quinze reportages), et dans le Val-de-Marne, dont la fixeuse de France 2 est originaire.

Les sollicitations que les médias adressent à certains interlocuteurs sont si nombreuses qu’elles génèrent des routines de travail chez les accompagnateurs. En 2003, deux équipes de France 2 se rendent à Sarcelles à neuf jours d’intervalle. Chaque fois, le maire de la ville, en véritable tour-opérateur de cité, conduit la visite selon un parcours quasi identique : la synagogue, le salon de thé de la « communauté juive », le marché « métissé », lieu de rencontre des « soixante-dix communautés de la ville », le bar PMU où se retrouvent les « vieux Maghrébins » venus jouer aux courses, la mosquée (4)…

Les parcours proposés par les intermédiaires sont à l’évidence inspirés de leurs expériences répétées dans l’accueil de journalistes. Qu’il s’agisse des visites standardisées, des suggestions faites au cameraman (filmer une passante en burqa, le bar de « vieux Maghrébins »…) ou encore de la présélection des protagonistes des reportages, de nombreuses situations démontrent l’intériorisation par les entremetteurs des codes iconographiques du journalisme en banlieue. Parce qu’il devance les éventuels besoins du reporter, l’accompagnateur apparaît aussi comme le promoteur et le passeur de pratiques journalistiques-types.

Il faut dire que l’attention des journalistes en déambulation dans les quartiers populaires est principalement consacrée à un repérage des situations, paysages et protagonistes évoquant au mieux « la banlieue ». Ainsi, les images de barres et de tours, pourtant minoritaires dans l’habitat de ces villes, paraissent constitutives du genre visuel de ces reportages.

En particulier leur déclinaison sous forme de travelling : ce procédé offre une solution esthétique (animer des images d’immeubles par définition immobiles), tout en répondant aux impératifs de sécurité – il permet aux reporters de rester à l’abri dans leur véhicule, sans même devoir s’arrêter. « Ah! que serait un sujet sur la banlieue sans le travelling sur les tours ? », s’esclaffe une monteuse en découvrant les rushes- images brutes issues du tournage -d’un journaliste envoyé à Clichy-sous-Bois.

Ces prises de vues semblent faire à ce point partie de la routine de fabrication des reportages dans les quartiers populaires que les monteurs en puisent fréquemment dans les archives lorsque les équipes n’ont pas eu la possibilité d’en filmer.

D’autres composantes de la représentation des cités s’ajoutent à la collecte journalistique.

En analysant l’ensemble des images filmées par les équipes d’Olivier ou de Denis dans deux banlieues différentes, on constate que le cameraman privilégie en fait les mêmes images, pour lesquelles il s’efforce de diversifier les modes de captation : cadrages larges, rapprochés ou en mouvement sur les immeubles, les balcons, les couloirs obscurs, les antennes paraboliques, les tags, les traces de dégradation…

Au cours d’une déambulation à Clichy-sous-Bois, Pierre, le journaliste-rédacteur, aperçoit deux panneaux noircis par un incendie, encore fixés à une barrière, à côté d’une école primaire. Il se tourne vers le journaliste-reporter d’images (JRI) : « Tu me fais un plan ! » L’autre s’exécute et réalise d’abord des images des deux pancartes, avant de manipuler sa caméra de bas en haut pour capturer dans un même mouvement les panneaux, puis la tour d’immeuble et les paraboles en arrière-plan.

Mais il faut aussi mettre en mots une galerie de personnages récurrents : l’imam, l’éducateur, les « jeunes » méritants ou déviants, les victimes de nuisances, etc. Ce format anticipe l’appréciation des chefs, ainsi que d’un public que l’on imagine imprégné des mêmes présupposés ; il prévoit tout à la fois où seront les personnages, ce qu’ils seront, mais aussi ce qu’ils diront. Les journalistes se doivent ainsi de développer des talents de dialoguistes et de metteurs en scène, car, au journal télévisé, la parole et les situations sont moins recueillies que coproduites.

La progression de ces thèmes, qui s’explique notamment par la multiplication des prises de position des partis politiques, met au jour l’alignement progressif de France 2 sur ses concurrentes privées.

En 2012, selon l’Institut national de l’audiovisuel (INA), le journal télévisé (JT) de M6 a couvert 517 faits divers, notamment dans les banlieues, contre 472 pour celui de TF1 et à peine moins 454 pour France 2. Des chiffres peu étonnants lorsqu’on sait que la plupart des cadres de la chaîne publique, promus à l’aube des années 2000, viennent du privé et ont apporté leurs méthodes de travail.

Lorsqu’ils travaillaient à TF1, en parallèle de leurs reportages pour le journal télévisé, les journalistes Guilaine Chenu (devenue présentatrice d’« Envoyé spécial » sur France 2), Benoît Duquesne (« Complément d’enquête ») et David Pujadas (JT de 20 heures) ont par exemple multiplié les sujets sur le thème de l’islam dans les banlieues pour l’émission « Le Droit de savoir ».

En 1995, Pujadas a même coécrit un livre, «  La Tentation du jihad. L’islam politique en France » (Jean-Claude Lattés), qui entendait « mettre en évidence les mécanismes de ce « jihad de banlieue » ». Il y compile différents reportages réalisés pour TF1, dont l’un, diffusé en octobre 1993, intitulé « Immigration, l’intégration en perdition ». On y voit le futur présentateur de France 2, aller à la rencontre d’« habitants de cités » pour dresser le constat de l’incompatibilité des modes de vie des « communautés noire », « asiatique » et « maghrébine » avec leur intégration dans la société française. Selon le jeune reporter, les caractéristiques de la « vague du regroupement familial » (les « familles nombreuses », la « polygamie », l’« absence de sens des valeurs »…) ont conduit au « délabrement » et à la « formation de ghettos ».

Anticiper les attentes de la hiérarchie

C’est donc armés de ce genre de préjugés que les nouveaux hiérarques de la rédaction de France 2 tentent de convaincre l’ancienne équipe de rompre avec une couverture de la banlieue jugée « trop angéliste ». En particulier lors des conférences de rédaction, instance d’évaluation où se distribuent non seulement les sujets à traiter, mais aussi les bons et les mauvais points de la veille.

Celles-ci fonctionnent comme des moments d’incorporation in situ des routines professionnelles. Les deux principaux journaux de la chaîne, le « 13 heures » et le « 20 heures », font chacun l’objet de deux conférences de rédaction qui, la plupart du temps, ne réunissent que des membres de la hiérarchie.

A tour de rôle, les chefs de service (politique, société, informa-lions générales, culture) exposent les propositions de leurs équipes, l’avancée des tournages en cours, et s’efforcent de recueillir l’assentiment des chefs, seuls décisionnaires du sommaire du JT.

Ces derniers, qui ne signifient souvent leur niveau d’intérêt pour les propositions que par une simple expression du visage Ou une réaction rapide (une moue sceptique, une exclamation enthousiaste, quelques brèves questions…), formulent également des commandes de reportages très précises. Les chefs de service inclinent alors d’autant plus à s’aligner sur les attentes des rédacteurs en chef et des présentateurs – et même à les anticiper qu’ils sont en concurrence pour obtenir la programmation des productions de leurs équipes respectives.

Cette organisation induit une surenchère dont bénéficie la hiérarchie. En mars 2003, par exemple, en réponse à la demande d’un rédacteur en chef de s’intéresser aux « retombées en France de la guerre en Irak », le responsable du service politique propose un sujet sur le « rôle des élus » pour apaiser les tensions communautaires ; celui du service société envisage de réaliser des interviews dans les mosquées et les écoles de banlieue ; celui des informations générales veut recueillir l’avis de jeunes gens en bas des tours d’habitation, etc.

La rivalité entre services permet aux responsables des JT de s’assurer de la confection de reportages sur mesure, même quand les rédacteurs expriment des réticences. En décembre 2006, par exemple, après la publication d’un communiqué de presse annonçant que « M. Nicolas Sarkozy accueille à Beauvau (siège du ministère de l’intérieur) des jeunes des quartiers populaires », plusieurs journalistes du service informations générales rechignent à couvrir cet « événement », considéré comme une opération de « récupération », voire de « manipulation » du ministre. Qu’importe : un responsable du service politique se porte candidat pour réaliser le reportage.

Ces modalités de fonctionnement ont pour effet d’aligner les propositions de sujets sur les schémas d’interprétation des responsables de la rédaction les plus éloignés du terrain, au point de définir souvent une banlieue hors sol. Dans la pratique quotidienne, le directeur de la rédaction, les présentateurs et les rédacteurs en chef du JT sont en effet doublement éloignés des quartiers populaires : non seulement ils ne partent plus en reportage, mais ils n’encadrent pas non plus directement les journalistes qui réalisent les sujets en question, cette tâche étant dévolue aux chefs de service. Ainsi, leur point de vue sur « les banlieues » se nourrit des seuls discours susceptibles de leur parvenir : celui des sources dominantes et des médias qui font référence à leurs yeux.

L’incitation à accumuler des contacts au sein des forces de l’ordre (source inépuisable de faits divers) constitue ainsi l’une des principales injonctions adressées aux jeunes reporters. Une préoccupation qui se traduit par l’assiduité des journalistes de la chaîne aux formations délivrées par l’Institut des hautes études de la sécurité intérieure (Ihesi) (3) : tous types de médias confondus, la rédaction de France 2 est celle qui y a inscrit le plus de journalistes.

Entre 1994 et 2011, pour le seul service des informations générales, sept d’entre eux ont fait partie des promotions de cet institut. En investissant dans ces « formations », la chaîne espère créer des liens de familiarité avec de futurs responsables de la sécurité : « Ça coûte quand même 8 000 euros par an à France 2, donc, quand on met un mec là-dessus, on essaie que ça soit pour quelque chose », reconnaît un ancien chef des informations générales devenu rédacteur en chef du JT.

Quatre jours par mois pendant un an, à l’occasion d’enseignements consacrés aux différentes dimensions de la sécurité, les journalistes inscrits côtoient une centaine de professionnels de la sécurité publique promis à une ascension dans leurs corps respectifs : commissaires, colonels de gendarmerie, magistrats, sous-préfets, directeurs des douanes, etc. A eux, ensuite, d’entretenir et de renforcer les liens avec leurs anciens camarades de formation. « Ce sont des gens que je vois encore, confie un reporter diplômé. Et on se tutoie, vous savez. C’est une espèce de rite, c’est de la sous-franc-maçonnerie je ne le vois pas autrement. On ritualise le réseau. »

Une telle stratégie s’avère payante. Pour la chaîne, qui dispose ainsi de reporters immédiatement opérationnels en mesure d’honorer les commandes hiérarchiques, mais également pour les journalistes. « Chaque fois que j’ai changé de service, c’est grâce à mon carnet d’adresses « police et justice », raconte une spécialiste du domaine, débauchée à quatre reprises entre 2000 et 2012, par TF I et par France 2. Il y a très peu de gens spécialisés en police c’est compliqué, il faut avoir la confiance des sources… Donc avoir un carnet d’adresses m’a quand même beaucoup permis d’avancer »

Mais à trop côtoyer les policiers, les journalistes finissent par adopter inconsciemment leur perception du monde social, leurs catégories d’analyse et parfois leur langage. Ainsi, dans les couloirs de France 2, guetter un événement ou une personnalité revient à « faire une planque », couvrir un cambriolage à « monter au braco ». GAV (garde à vue), VMA (vol à main armé), VV (vol avec violence) : les termes techniques policiers sont monnaie courante dans le service informations générales, qui traite les faits divers.

Le ministère de l’intérieur et ses services (préfectures, commissariats…) fonctionnent comme de véritables coproducteurs de l’information qui savent parfaitement anticiper et s’adapter aux conventions journalistiques de mise en scène. La sélection d’un reportage sur une « saisie de stups à Nanterre » est par exemple liée au fait qu’une caméra de la chaîne a été autorisée à accompagner les forces de police dans leurs opérations de fouille de voitures ou d’appartements. Le chef du service informations générales de France 2 se félicite publiquement de cette production, une « jolie opération des stups à Nanterre avec une prise pas mal, de l’argent », qui « vaut par le côté rock’n roll, avec le côté spectaculaire des mecs qui enfoncent les portes ».

Les discussions en conférence de rédaction s’apparentent bien souvent à des paris sur les sujets susceptibles d’être abordés par les autres chaînes. L’une des façons possibles pour un chef de service d’imposer «son» sujet consiste alors à faire valoir que les concurrents, eux, le traiteront. Ainsi, comme nous l’expliquent des journalistes-rédacteurs, certains reportages – rebaptisés ironiquement sujets « au cas où » – n’ont de chances d’aboutir qu’« au cas où » TF1 serait également présente.

Pour mener à bien ce travail de prédiction, l’ensemble des journalistes gardent un œil attentif sur les thématiques abordées par les autres médias. Les radios, bien sûr, mais aussi la presse écrite, et en particulier « Le Parisien ». Souvent cité comme une référence en conférence de rédaction, ce quotidien sert d’étalon pour évaluer la programmation du pôle des médias dits « populaires ». En plus de fournir presque clés en main des idées de sujets réalisables dans la journée par une équipe de télévision basée à Paris, il est perçu comme capable d’attirer un public varié.

Aussi les reportages placés en début de JT reprennent-ils souvent la hiérarchie de sa « une ». Avec pour effet l’imposition récurrente de « sujets banlieue », très largement traités par le quotidien, qui, compte tenu de sa zone de diffusion, produit un effet de loupe sur la région parisienne.

Une fois la sélection arrêtée en conférence de rédaction, les responsables du JT s’en remettent aux chefs de service pour transmettre aux reporters les consignes liées à chaque sujet retenu. « Ça répercute et ça descend d’un étage », précise une journaliste chargée des chroniques judiciaires. A l’étage encore inférieur, les journalistes expriment rarement la moindre critique théorique ou politique sur la définition du sujet qui leur est confié par les chefs de service : toute commande avalisée par la hiérarchie semble tenue pour légitime et réalisable, sauf impossibilité matérielle. Ainsi, quand il se voit confier un compte rendu sur « l’agression de CRS », même s’il souligne la difficulté à « tourner aux Tarterêts » (une cité de l’Essonne où « c’est très chaud ») et nous avoue ses doutes sur l’intérêt du reportage (« J’ai peur que ça donne un sujet pitoyable »), Denis fait contre mauvaise fortune bon cœur jusqu’à ce qu’il réussisse à démontrer que le sujet est irréalisable sur le plan pratique.

Face aux critiques qui leur sont adressées sur le « traitement des banlieues », les journalistes mettent en avant leurs difficultés à nouer des rapports de confiance avec les habitants des quartiers populaires.

°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°

(1) Sauf mention contraire, les citations et données utilisées ici sont extraites d’une enquête de terrain menée dans le cadre d’un doctorat de sociologie soutenu à l’université Paris-Diderot. Les observations à France 2 ont été effectuées entre 2003 et 2007, et les entretiens réalisés entre 2003 et 2009.

(2) Cf Laurent Bonelli, La France a peur Une histoire sociale de l’« insécurité», La Découverte, Paris, 2010.

(3) L’Ihesi a été rebaptisé Institut national des hautes études de sécurité (Inhes) en 2004, puis en 2010 Institut national des hautes études de la sécurité et de la justice (Inhesj). Lire aussi Pierre Rimbert, «Envahissants experts de la tolérance zéro», Le Monde diplomatique, février 2001.

(4)  Cf Julie Sedel, Les Médias et la banlieue, INA – Le Bord de l’eau, Paris-Lormont, 2013 (I » &I.: 2009).

°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°

JÉRÔME BERTHAUT Sociologue, maître de conférences à l’université de Bourgogne, membre du Cimeos et chercheur associé à l’unité de recherche Migrations et société (Urmis, Paris-Diderot). Auteur de La Banlieue du 20 heures U. Ethnographie de la production d’un lieu commun journalistique, Agone, coll. « L’ordre des choses », qui parait ce mois-ci.

Article paru dans Le monde Diplomatique Septembre 2013