Les vraies raisons de la hausse des tarifs de l’électricité

5% de hausse de l’électricité le 1er août, puis 5% en août 2014, soit la plus forte augmentation depuis 10 ans.

Sous-investissement dans le nucléaire et l’hydraulique, gaspillage et absence de réflexion sur les énergies renouvelables: voilà pour Marie-France Cailletaud, une des responsables du secteur de l’énergie à la CGT, qui explique l’envolée des tarifs, après la déréglementation et la privatisation du marché.

Depuis plusieurs années, nous alertions sur différents facteurs qui conduisent à cette augmentation des tarifs de l’électricité. Le premier facteur est le changement d’orientation d’EDF induit par la déréglementation du secteur, exigée par l’Union européenne et appliquée par les gouvernements successifs en France dans les années 1990 et 2000. EDF est passée d’un monopole public à la concurrence. Tout d’un coup, il y a eu une réorientation des investissements à l’international. Il fallait que l’entreprise aille conquérir de nouveaux marchés. Elle a donc pris des participations, acheté des entreprises au Brésil, aux États-Unis.

Ces choix n’étaient pas toujours judicieux. Mais, surtout, cela s’est fait au détriment de l’énergie en France. Cela a conduit à des sous-investissements importants aussi bien dans les moyens de production, pour le parc nucléaire comme pour les barrages hydrauliques, que dans les réseaux. Tout ce retard pris doit être rattrapé. On le paie aujourd’hui. EDF doit désormais faire ces investissements. Et pour cela, il faut emprunter.

Mais la déréglementation du secteur a aussi conduit à du gaspillage. On a déstructuré le système, on a désoptimisé un appareil de production qui fonctionnait bien. La déréglementation a imposé à EDF de séparer ses systèmes d’information, de distribution (ERDF), de transport (RTE) et de production, cela a coûté près de 200 millions d’euros. Par exemple, chez EDF, la partie commerciale a beaucoup grossi. Il a fallu investir pour garder ou conquérir des parts de marché. Beaucoup d’argent a été mis sur la table, sans que l’usager n’y gagne rien.

Enfin, ces augmentations sont aussi dues au déficit de la CSPE, la contribution au service public de l’électricité. Cette contribution est une taxe sur la facture de tous les usagers. Dans cette taxe, il y a la contribution de chacun à la lutte contre la précarité énergétique, aux zones non interconnectées, mais la plus importante composante est le coût de rachat des énergies renouvelables. Je ne dis absolument pas qu’il ne faut pas développer des énergies renouvelables. Il est nécessaire de les développer. Mais dans la mesure où les différents gouvernements n’ont jamais mené une réflexion industrielle, ni mis en œuvre de politiques de développement de filières industrielles des énergies renouvelables, ils ont seulement créé une incitation financière.

L’État, pour favoriser l’implantation de ces technologies (le photovoltaïque principalement et l’éolien) plus coûteuses, a fixé un prix garanti plus élevé que le prix du marché (racheté par EDF – NDLR). Des sociétés ont couvert des hangars ou des champs d’éoliennes et de panneaux photovoltaïques pour se faire des mines d’or. On parle de 5 milliards d’euros. Tous ces facteurs font qu’aujourd’hui EDF est dans l’obligation d’augmenter ses tarifs.

EDF, dont 87 % appartiennent à l’État, verse aussi des dividendes à ses actionnaires (2 milliards d’euros en 2012 -NDLR). Chez GDF comme chez EDF, des entreprises sont filialisées et font remonter les dividendes à la maison mère. Pour faire remonter ces dividendes, ces filiales sont obligées de s’endetter et d’emprunter. Au bout du compte, c’est toujours l’usager qui paie.

Mais n’oublions pas qu’il y a 8 millions de personnes en précarité énergétique et que ce chiffre est en train de s’envoler. Les coupures pour impayés ont explosé. C’est un sérieux problème dans un pays riche. Nous produisons beaucoup de richesses, la question c’est de mieux les partager et les utiliser. C’est pour cela que l’on réclame depuis longtemps une commission pluraliste, démocratique et transparente qui étudie les tarifs de l’énergie. Il reste une opacité sur les tarifs. Car plus il y a libéralisation, plus il y a complexité et opacité. Il faut donc s’attaquer à la déréglementation, sans cela, les tarifs vont continuer à augmenter.

Ce système nous conduit à des aberrations. Des moyens de production sont en train d’être fermés, c’est le cas des centrales thermiques de la SNET, rachetées par l’électricien allemand Eon. Ces centrales thermiques doivent être modernisées après 2015 en fonction de nouvelles normes environnementales pour limiter les émissions de CO2. Eon a reçu des subventions de Bruxelles pour les moderniser. Il ne l’a pas fait. Passé 2015, l’appareil de production va être fermé.

Or on vient de remporter un appel d’offres pour fournir la RATP, une entreprise 100 % publique, en électricité pendant trois ans pour 200 millions d’euros. Avec quoi Eon va-t-il fournir la RATP? Avec la loi NOME! Considérant que les tarifs d’EDF étaient trop bas pour la concurrence, l’Union européenne oblige EDF à vendre un quart de sa production électronucléaire à ses concurrents. Eon va fournir la RATP avec de l’électricité qu’il aura achetée à EDF à un tarif préférentiel.

Que faire face à cela? Nous avançons l’idée d’un pôle public de l’énergie, une structure dans laquelle toutes les entreprises de l’énergie, quel que soit leur statut, seraient regroupées. Il faut remettre tout le secteur sous contrôle public. Avec des droits d’intervention pour les citoyens, les salariés, les élus, pour qu’ils puissent vraiment agir sur les choix de gestion des entreprises. Il faut une véritable réappropriation sociale du secteur.

Marie-Claire Cailletaud – HD N°21213