Quelle récession démocratique est « cachée » dans cette « poussée » electoraliste ?
Après la première circonscription de l’Oise, en mars dernier, lors d’une précédente élection législative partielle, le Front national vient à nouveau de frôler l’élection d’un troisième député à l’Assemblée nationale. Il n’avait, jusqu’à l’an dernier, réussi à n’en faire élire qu’un seul au scrutin majoritaire, c’était en 1997, lors d’une triangulaire. Hier, cantonné à des scores électoraux, certes, importants, mais loin des majorités nécessaires à l’accession au pouvoir, le FN fait désormais régulièrement jeu égal avec le PS et l’UMP.
Alors que ce parti était auparavant battu à plate couture en cas de duel avec la gauche ou avec la droite, l’issue d’une pareille configuration est désormais incertaine. Et tout concourt, dans la situation économique et sociale, à faire prospérer cette machine à exploiter la désespérance.
Que la droite ait laissé le pays dans une situation lamentable après 10 années de pouvoir et, un an après l’alternance est certain, pourtant des promesses électoralistes d’Hollande au Bourget laissaient entrevoir une reprise en mains de la situation, mais la situation continue de se dégrader à coups de politiques dont les électeurs peinent de plus en plus à faire la différence avec le gouvernement précédent – hollande restant aux ordres de Merkel et Bruxelles.
Pour le politologue Laurent Bouvet, le score élevé du FN à Villeneuve-sur-Lot exprime le rejet « des pouvoirs traditionnels, à commencer par le pouvoir socialiste ».
L’UMP, dirigée par un président Jean-François Copé pris les doigts dans le pot de confiture de la fraude lors du scrutin interne, a bien du mal à être plus crédible. Après des décennies d’alternance sans alternatives, seuls 30 % des Français disent continuer à faire confiance aux politiques (LH2, avril 2013).
La multiplication des affaires concernant la fraude fiscale, les financements occultes ou les détournements de fonds publics achève de mettre au jour un système oligarchique contre lequel Mme le Pen prétend se battre.
Dans ce contexte, le « tous pourris » prospère, et le FN joue l’oie blanche, en dépit des nombreuses condamnations dont il a fait l’objet, et apparaît vierge aux yeux d’une partie du peuple, « le seul qu’on n’a pas encore essayé ».
Dans le fief de Jérôme Cahuzac, ce n’est pas sans effet. Bien aidée par le système médiatique, l’opération « dédiabolisation », entamée par Mme Le Pen depuis plusieurs années, permet de rendre plus attractive la prétendue alternative du FN.
L’effet repoussoir du parti d’extrême droite s’effrite.
Ainsi, quand 75 % de Français estimaient, en 1999, que le FN « est un danger pour la démocratie » (IFOP, Fondation Jean-Jaurès), ils ne sont désormais plus que 47 % à le penser en janvier 2013, pour la même proportion qui pense le contraire (SOFRES, janvier 2013). 35%) des Français pensent désormais également que le FN « apporte des solutions efficaces aux problèmes du pays », ainsi que le parti frontiste est en capacité de « participer à un gouvernement », soit 10 points de plus qu’en janvier 2011, lorsque Mme Le Pen en prend la tête.
Des résultats obtenus également par une stratégie qui mêle les vieux thèmes chers au FN, sur l’immigration et la sécurité, désormais mâtinés d’un vernis social sous l’impulsion de Florian Philippot, le vice-président du parti. Lutte contre la finance, les délocalisations, l’Europe libérale, le FN chasse à présent sur tout l’échiquier politique.
Les résultats de Villeneuve-sur-Lot montrent que, désormais, une part non négligeable des électeurs de gauche au premier tour n’hésitent plus à se reporter sur le FN au second.
Le FN joue à fond la carte de la protection contre la mondialisation, qui brouille les identités et impose les régressions sociales. En la matière, la sortie de l’euro est un étendard qui lui a permis d’incarner la contestation, mais qu’il utilise plus modérément aujourd’hui, conscient que 70 % des Français n’y sont pas favorables.
Face à ce péril montant, le PS au pouvoir fait la sourde oreille en invoquant la dispersion des voix à gauche pour expliquer son élimination à Villeneuve-sur-Lot.
Jean‑François Copé, de son côté, prend ses conseils auprès de Patrick Buisson, chantre de la droitisation et de la chasse sur les terres du FN en flirtant avec les idées de celui-ci. Une stratégie payante pour le candidat Sarkozy, en 2007, qui se retourne désormais contre ses auteurs en validant ces thèses.
32 % des Français se disent aujourd’hui d’accord avec les idées du FN, quand ils n’étaient que 18 %, il y a 3 ans.
Le rapport au FN devenant la principale pomme de discorde à l’UMP, notamment entre François Fillon et Jean-François Copé.
Les premières enquêtes sur les prochains scrutins européens et municipaux montrent un FN en position de réaliser de gros scores et ainsi d’empuantir encore un peu plus cet air de plus en plus irrespirable qui permet aux groupuscules néofascistes de réapparaître au grand jour.
Il est temps que la République se réveille.
Cedric Clerin HD N°21198