Traître ou héros ?

Voici une définition du héros : quelqu’un qui, lorsqu’il a le choix entre une bonne action qui va lui coûter très cher et une mauvaise action dont il va tirer de grands avantages personnels, choisit la première solution.

(…)  Qu’en est-il d’Edward Snowden, cet homme de 29 ans, ancien employé des services de renseignements (il a travaillé pour la CIA avant d’être employé par différents sous-traitants de la NSA, comme Booz Allen Hamilton), qui a avoué le 9 juin être à l’origine des révélations sur le programme de surveillance des communications téléphoniques décidé par le gouvernement américain ?

Doit-on le considérer comme un héros du fait qu’il protège la vie privée des citoyens à ses risques et périls ou comme un criminel qu’il faut poursuivre pour avoir révélé des secrets aux terroristes ?

Maintenant qu’on a mis un visage sur cette affaire, son dénouement pourrait dépendre en grande partie de la réponse qu’on apportera à cette question.

Soit Snowden se retrouvera derrière les barreaux et les autorités continueront à espionner sans contrainte, soit il sera adulé et les pouvoirs publics reculeront.

A l’aune de la pureté des intentions – et si ses dires sont confirmés -, Snowden pourrait fort bien avoir l’étoffe d’un héros.

Il semble n’avoir rien à gagner personnellement dans cette affaire. Et beaucoup à perdre : il a sacrifié une belle carrière et 200.000 dollars de revenus annuels, sa famille et sa petite amie, pour vivre en cavale, si ce n’est en captivité.

Il affirme de façon convaincante qu’il n’a agi qu’après avoir conclu qu’il fallait faire vite pour stopper un programme signifiant la fin de la vie privée telle qu’on la conçoit généralement et menaçant la démocratie « dans son existence » même.

Ces préoccupations sont très largement partagées. Et, contrairement à ceux qui ont révélé de manière discutable des secrets d’état – Julian Assange, de WikiLeaks, ou le soldat Bradley Manning, actuellement en procès et qui encourt une peine de prison à vie -, Snowden a été sélectif dans ses révéla­tions, laissant de côté des informations dont il pensait qu’elles pourraient mettre en danger certaines personnes.

De plus, à chaque nouvelle fuite, il est devenu plus évident que Snowden avait agi à bon escient. Il a suscité un débat public sur des programmes extrêmement indiscrets qui aurait dû avoir lieu avant leur lancement. Une base de données secrète pistant de façon permanente les faits et gestes de chaque Américain représente de fait une menace pour la démocratie si elle est alimentée indéfiniment.

Il n’en reste pas moins que la voie empruntée par Snowden vers l’héroïsme est semée d’embûches.

Les intentions pures de Snowden et les conséquences heureuses (de ses révélations) n’enlèvent rien au fait qu’il a transgressé la loi et révélé des informations à la fois classées secrètes et d’une grande utilité pour repérer les terroristes. Les autorités ne peuvent pas laisser passer un tel délit sans créer un précédent qui mettrait des secrets très sensibles à la portée du premier venu.

Snowden se dit prêt à une telle éventualité. (…)

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Publié le 9 juin USA TODAY  McLean, Virginie  Quotidien, 1.800.000 ex.  www.usatoday.com  Lancé en 1982, c’est le seul quotidien national du pays avec The Wall Street Journal. 

Lu dans « Courrier international » N° 1180 – Titre original : Edward Snowden, traître ou héros ?