La Chine est-elle en train de racheter la France?

Le Club Med bientôt sous pavillon chinois?

Alors que le spécialiste des villages de vacances entend quitter la Bourse, deux de ses principaux actionnaires, le fonds français Axa Private Equity et le conglomérat chinois Fosun ont lancé une offre d’achat amicale. Si elle aboutit, chacun posséderait 42 % du capital —8 % restant aux mains des managers du Club, qui garderaient ainsi la clé du pouvoir. « Il me paraissait très important que la majorité du capital reste française », a déclaré le PDG, Henri Giscard d’Estaing, fils de l’ex-président de la République, heureux toutefois de s’ouvrir ainsi un peu plus un marché chinois en pleine expansion. Et cette précision est en effet de nature à rassurer pas mal de monde.

Qu’ils soient de France ou d’ailleurs, les actionnaires ont pourtant les mêmes exigences de rentabilité. Mais les croyances demeurent : le capitaliste hexagonal apparaît comme plus maîtrisable que l’étranger, a fortiori lorsqu’il est chinois. Déjà accusés d’inonder la France de produits bon marché, les Chinois sont maintenant volontiers soupçonnés de « racheter » la France.

Quelques cas emblématiques ont sans doute marqué les esprits. Les Conserves de Provence passées sous le contrôle de Chalkis (2004), le Choco BN croqués par Bright Food (2010), quelques grands crus du Bordelais (château Belfont-Bercier) rachetés par des industriels chinois, 30 % de la branche exploration-production de GDF Suez passés aux mains du fonds souverain CIC… La Chine a effectivement beaucoup de capitaux à investir, qu’ils proviennent des fortunes de ses nouveaux milliardaires, de ses groupes industriels publics, ou de ses fonds gérés par l’État, comme China Investment Corporation (CIC) ou State Administration of Foreign Exchange (SAFE) Company.

Après trente ans de croissance tirée par les exportations, le pays a accumulé plus de 3440 milliards de dollars (2 646 milliards d’euros) de réserves de devises et a l’intention de diversifier ses placements jusqu’ici largement cantonnés aux bons du Trésor américains, notamment pour limiter sa dépendance aux fluctuations de la devise des États-Unis. La crise financière puis économique lui a offert pas mal de possibilités dans l’Union européenne (privatisations en Grèce, entreprises en difficulté ou à la recherche de capitaux…). Entre 2009 et 2011, la part de l’Europe est ainsi passée de 2 % à 10 % dans le total des investissements directs à l’étranger de la Chine.

La France qui était en 2011, en nombre de projets créateurs d’emplois, la troisième terre d’accueil des investissements chinois en Europe, après le Royaume-Uni et l’Allemagne, est devenue la première en 2012 et recueille 21 % des projets de ce pays dirigés vers l’Europe. (31 projets en 2012, 23 en 2011.3 de plus en incluant Hong Kong), selon l’Agence française pour les investissements internationaux. Et la Chine est très loin d’être la première nation à investir en France : elle n’occupe que le huitième rang en 2012 (elle était au onzième sur la période 2007-2011), très loin derrière les États-Unis (156 projets) et l’Allemagne (113 projets).

À combien se montent ces investissements chinois en France ?

Les évaluations divergent. Selon le cabinet de conseil Rhodium Group, sur la période 2000-2011, ils auraient atteint 5,72 milliards de dollars, soit 4,4 milliards d’euros. À Pékin, en janvier dernier, le ministre de l’Économie, Pierre Moscovici, avait, lui, avancé le chiffre de 3,4 milliards d’euros. Et précisé que les investissements français en Chine étaient quatre fois supérieures – soit 13 milliards d’euros.

Au bout du compte, 4 000 entreprises françaises seraient implantées en Chine : des PME aux grands groupes, Carrefour, PSA, Lafarge, Alstom, Suez Environnement, Schneider Electric, Saint-Gobain… Contre une centaine de sociétés chinoises en France employant quelque 9 000 personnes (2 000 de plus en incluant Hong Kong). La Chine n’est pas en train de racheter la France. En revanche, la mondialisation du capital invite à réfléchir aux stratégies de résistance à ses méfaits.

Dominique Sicot